Le 10 mai dernier, Ali Ulvi et Aysin Büyü­kno­hutçu, con­nus comme des défenseurs de l’en­vi­ron­nement ont été retrou­vés assas­s­inés dans leur mai­son à la mon­tagne, dans le yay­la (plateau) de Kızıl­cık, situé à Finike, dis­trict d’An­talya. Ils avait été tués le jour même par les balles d’un fusil de chas­se, ils avaient 61 ans, tous les deux.

Un fait divers, ou une de ces mar­ques, là encore, de la pré­da­tion pour le prof­it présen­tée par le pou­voir autori­taire comme le “pro­grès et la moder­nité” pour la Turquie ?

Cet assas­si­nat, qui a endeuil­lé Antalya, pose ques­tions : Qui est der­rière ce meurtre? Et quelles sont les véri­ta­bles raisons ?

Nous apprenons qu’un homme de 31 ans, Ali Yamuç, qui avait été vu “tourn­er autour de la mai­son du cou­ple dans les derniers jours” a été arrêté dans le cadre l’en­quête de la police. Yamuç en est venu aux aveux lors de son pre­mier inter­roga­toire, en exp­ri­mant qu’il était l’au­teur du dou­ble meurtre, qu’il n’avait pas de tra­vail et d’ar­gent, et qu’il a com­mis l’as­sas­si­nat pour des raisons crapuleuses…

L’av­o­cat du cou­ple Büyü­kno­hutçu, İsm­ail Tunç­bilek a demandé aux autorités, un appro­fondisse­ment de l’en­quête. Il va donc fal­loir atten­dre, pour savoir si der­rière l’au­teur déclaré de ce crime, il n’y aurait pas d’autres  “com­man­di­taires”, comme beau­coup de per­son­nes le soupçonnent.

Ses soupçons et ques­tion­nements sont légitimes.

Pour com­pren­dre, il faut savoir qui étaient Ali Ulvi et Aysin Büyü­kno­hutçu, et regarder un peu de près à Ala­cadağ, où le cou­ple vivait.

fait divers

Ali Ulvi et Aysin, souhaitaient pass­er leur retraite dans leur mai­son et jardin à Ala­cadağ, dans la nature, en cul­ti­vant et pro­duisant. Ils ont réal­isé un rêve qui inspire beau­coup de per­son­nes. Ils pro­dui­saient des légumes, des oeufs, du miel, de la purée de tomate, des pâtes, du pain, pour eux mêmes, et ils les partageait large­ment dans leur entourage.

Mais, il y a déjà plusieurs années, l’en­vi­ron­nement par­a­disi­aque de la famille Büyü­kno­hutçu a com­mencé à se détériorer.

Les par­celles de forêts de cèdres, qui se raré­fient dans le monde, gar­daient encore leur inten­sité dans cette région d’An­talya. Une par­tie des 427 hectares de ces par­celles arborées avait été mise sous pro­tec­tion en 1990, en tant que “Zone de pro­tec­tion de la nature”.

A par­tir de la moitié des années 2000, des mines de mar­bre ont com­mencé à être ouvertes, l’une après l’autre. Ces car­rières ont avancé jusqu’aux fron­tières de la zone pro­tégée et com­mencé à men­ac­er égale­ment la région où le cou­ple Büyü­kno­hutçu vivait.

La zone pro­tégée… enfin, en principe…

Cette région qui devait être pro­tégée comme les prunelles des yeux, avec des espèces d’ar­bres rares, et des “arbres mon­u­ments”, ain­si que des édi­fices his­toriques, s’est retrou­vée donc sous la men­ace d’une dis­pari­tion, devant le pil­lage intense d’ex­trac­tion de mar­bre. Les cica­tri­ces géantes ouvertes, sur les pentes qui entourent la val­lée de Finike, pays des orangers, étaient vis­i­bles à des kilo­mètres de distance.
“L’o­r­ange de Finike” a livré un com­bat de survie, con­tre les car­rières de mar­bre. Aus­si bien les pro­duc­teurs, que les habi­tants, qui ont ouvert de nom­breux procès.

Ali Ulvi et Aysin, étaient des défenseurs de la nature, et lut­taient con­tre le pil­lage du pat­ri­moine naturel dans lequel ils vivaient. En quelque sorte, ils essayaient avec d’autres, de pro­téger les richess­es qu’on peut qual­i­fi­er de “nationales” comme les forêts de cèdre et de pins, les verg­ers d’o­r­angers et de grenadiers, les riv­ières et les sources, qu’en principe l’E­tat devrait pro­téger et non pas négocier.…

Ali Ulvi porte parole de la “Plate­forme de lutte con­tre les car­rière d’ex­trac­tion de pier­res”, avec Aysin et d’autres cama­rades, ont gag­né des procès ouverts con­tre les car­rières qui fonc­tion­naient illé­gale­ment et sans aucun con­trôle. Les licences de cer­tains exploitants ont été supprimées.

 Finike, victoire contre les exploitants de marbre

Il n’y a pas très longtemps, un des exploitants avait ouvert à l’en­con­tre du cou­ple, un procès, en leur deman­dant une indem­ni­sa­tion de 100 mille livres turques (250 mille €). Peu de temps avant son assas­si­nat, Ali Ulvi, avait par­lé à ses amis et proches, d’un nou­veau pro­jet d’ex­trac­tion qui se pro­fi­lait à Ördübek, une des yay­la les plus pré­cieuses de la région, et il avait exprimé qu’il souhaitait s’en­tretenir avec les autorités concernées…

Les proches et cama­rades d’Ali Ulvi et Aysin, sont con­va­in­cus qu’ils ont été assas­s­inés, non pas pour les vol­er, comme l’au­teur pré­sumé le pré­tend, mais pour la lutte qu’ils menaient pour la pro­tec­tion des mon­tagnes et forêts sous menace.

Le cou­ple avait égale­ment sig­nalé le 5 mai dans la nuit, un début d’in­cendie foresti­er près de leur mai­son. “Nous y avons échap­pé belle !” avait pub­lié Ali Ulvi sur les réseaux soci­aux. Selon l’av­o­cat, İsm­ail Tunç­bilek, ceci peut être une pre­mière ten­ta­tive d’as­sas­si­nat. “C’est le sus­pect même qui a sig­nalé l’in­cendie au cou­ple. C’est curieux, car le début d’in­cendie n’é­tait pas vis­i­ble depuis la cabane qu’il occupe habituelle­ment. Il a peut être pen­sé qu’ils allaient tout de suite courir vers la forêt. Or, ils ont appelé les pom­piers et les voisins, et se sont ren­dus sur place à plusieurs.”

L’av­o­cat pré­cise qu’après l’in­cendie, le sus­pect, en dif­fi­culté et en errance, avait demandé de l’ar­gent à Ali Ulvi Büyü­kno­hutçu, qui l’avait aidé, mais avait prévenu son avo­cat “Ismail, je soupçonne cet homme. Il peut avoir des liens avec des entre­pris­es. Entre­prise x.… ou une autre. Je ne suis pas tran­quille. Cet incendie me parait suspect.”

fait divers

Ali Ulvi et Aysin, ont été inhumés le 13 mai. Lors des funérailles, et la con­férence de presse qui a suivi, leurs proches et amiEs promet­taient de con­tin­uer leur lutte et “la garde de la mon­tagne”, ain­si que faire tout leur pos­si­ble pour que l’en­quête soit menée, jusqu’à ce que les vrais motifs de leur assas­si­nat et l’i­den­tité des com­man­di­taires soient mis à la lumière du jour. Simul­tané­ment, à Istan­bul, à Galatasaray, plusieurs organ­i­sa­tions de société civile, et divers­es plate­formes de défense de la nature, fai­saient une con­férence de presse com­mune pour appel­er les autorités à clar­i­fi­er ce dou­ble assassinat.

Il est évi­dent que  le mas­sacre d’un cou­ple, défenseur act­if de la nature, présen­té comme fait divers cra­puleux, est perçu égale­ment comme un men­ace adressée à tous les autres qui défend­ent les biens naturels du peu­ple et du monde.

Si une foule enragée, des médias, s’au­torisent à accuser dans un lan­gage éhon­té et ignare, les per­son­nes qui défend­ent la vie, comme le cou­ple Büyü­kno­hutçu, en les trai­tant de “traitres à la Patrie qui refusent le pro­grès”, ou encore “instru­ments des forces extérieures”, ce n’est pas sans rai­son. Cette vision du pro­grès liée au prof­it, à la destruc­tion, à la pré­da­tion, découle du haut, com­mençant par les poli­tiques au som­met de l’E­tat. Dans les espaces naturels, qui ne sont sans doute pas vis­i­bles, depuis les bureaux dans lesquels l’oli­garchie au pou­voir s’est enrac­inée, ni depuis les villes, la destruc­tion a atteint un degré terrifiant.

Mer­ci à Yusuf Yavuz, jour­nal­iste, auteur, pour ses deux arti­cles qui nous ont servi de sources, ici et .

Ajout du 18 mai :

Le sus­pect, Ali Yumaç, est passé aux aveux. Il a bien don­né la descrip­tion d’un homme qui tra­vaille à la car­rière de mar­bre, surnom­mé “Çirkin” (Laid), 65–70 ans, taille 1m65 env­i­ron, cheveux blancs, mal rasé, et qui cir­cule à bord d’un 4x4 noir. L’homme lui aurait pro­posé de tuer le cou­ple en lui don­nant 3000 Livres turques d’a­vance, et lui pro­posant 47 000 Livres “après l’af­faire”. Il lui aurait lais­sé “le choix de l’arme et de la méth­ode”. Ali Yumaç a ajouté qu’il avait réclamé une arme auprès des pro­prié­taires de la car­rière du mar­bre, mais que sa demande avait été refusée. Le sus­pect a fourni les numéros d’im­ma­tric­u­la­tion du véhicule à la police. Il a exprimé qu’il con­nais­sait cet homme depuis près d’un an, et qu’après le dou­ble assas­si­nat, il avait ten­té de le join­dre sans succès.

Une con­fir­ma­tion qui n’au­rait jamais eu lieu sans la mobil­i­sa­tion des sou­tiens du cou­ple assassiné…


Hommage

Il est impos­si­ble d’ex­pli­quer la nature, l’ar­bre, à des gens qui, quand on par­le du” vert” pensent “Dol­lar”… Car ils détru­isent le vert pour un autre vert !”
Ali Ulvi Büyü­kno­hutçu, sur Face­book 22 jan­vi­er 2016


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