Kazım Kızıl, alias “Ka”, jour­nal­iste, video-activiste est en prison depuis le 17 avril… Il a écrit une let­tre d’en­tre les murs, pub­liée par Bianet.

En voici la tra­duc­tion francophone.

Chers lec­tri­ces et lecteurs de Bianet

Je vous écris ces lignes depuis la cour des quartiers B‑7-gauche de la prison type T de Men­e­men à Izmir, “parsemée” de fer à la place de fleurs.

C’est assez tra­gi-comique d’écrire un arti­cle dont le sujet est “je”, et de le faire depuis une prison, pour Bianet, pour lequel j’ai écrit dans le passé, un arti­cle con­cer­nant les réfugiés, et don­né des vidéos et pho­togra­phies pour illus­tr­er cer­tains arti­cles (l’ironie du sort, ces arti­cles con­cer­naient la lib­erté de presse) et qui tra­vaille depuis des années, d’une façon insis­tante et per­ma­nente pour que la notion de “jour­nal­isme de Paix” trou­ve sa place dans nos médias.

J’ai débuté dans ce “tra­vail” il y a dix ans, avec la pho­togra­phie. Des 1er mai, des 21 mai, des 6 mai…

Quant à ma pre­mière vidéo, je l’avais filmée, le 1er mai avant Gezi [2013] à Okmey­danı. Avec la nais­sance de la résis­tance Gezi, j’ai com­mencé à pro­duire des vidéos, majori­taire­ment d’ac­tions, ensuite celles-ci ont lais­sé leur place à des video-reportages, puis aux doc­u­men­taires. Bien que j’ai  con­tin­ué à tra­vailler plutôt sur des doc­u­men­taires, mon lien avec “la rue” n’a jamais été coupé.

A part le suivi des dates retenues préal­able­ment, je me suis penché sur des sujets comme, l’Inter­rup­tion volon­taire de la gross­ese, les actions menées sur Inter­net, la résis­tance des vic­times du trem­ble­ment de terre à Van, et celles des vil­la­geois à Yır­ca, les cat­a­stro­phes minières à Soma, d’i­non­da­tion à Hopa, les destruc­tions à Cizre et à Sur, les réfugiés à Izmir, Suruç et en Suisse, les résis­tances de Kazo­va [coopéra­tive ouvrière], de Greif [usine de sacs], et d’İZBAN [Trans­port ban­lieu Izmir], les march­es fémin­istes et LGBTI à Istan­bul et à Paris… Protes­ta­tions, com­mé­mora­tions, résis­tances, mobil­i­sa­tions, grèves et hélas, funérailles, funérailles, funérailles…

Des cen­taines de vidéos, des mil­liers de pho­tos, des dizaines de mil­liers de mots…

Même si les temps, les lieux, et les sujets étaient dif­férents, tous les travaux que j’ai effec­tués ont un point en com­mun, ils sont focal­isés sur le “droit”.

Bien que le mot me paraisse vidé de son sens et froid, la cor­re­spon­dance de mon tra­vail dans la lit­téra­ture, est le “video-activisme”. Mise à part ma présence physique sur les lieux [en tant que per­son­ne], le but prin­ci­pal de ma présence est “enreg­istr­er et trans­met­tre”. C’est à dire, être un “mon­treur”… Aupar­a­vant, les fron­tières entre ce qui est “mon­tré”, celui/celle qui est “mon­treur” et celui/celle “qui voit” étaient définies, et actuelle­ment ces fron­tières sont dev­enues rel­a­tive­ment floues. Le pas­sage entre ces notions arrive telle­ment rapi­de­ment et subite­ment, qu’unE jour­nal­iste, pho­tographe, activiste ou unE citoyenNE qui fait du “jour­nal­isme pop­u­laire” [expli­ca­tion] qui court après l’in­for­ma­tion avec son cray­on, sa caméra, son appareil pho­to à la main, peut se trou­ver instan­ta­né­ment comme le sujet même de cette information…

Ces fron­tières ont dis­paru pour moi encore une fois, le 17 avril à Bor­no­va à Izmir. J’ai été mis en garde-à-vue, alors que je fil­mais les étu­di­antEs qui protes­taient con­tre les tricheries au sujet du référen­dum. Mal­gré le fait que je por­tais autour de mon cou, les cartes pro­fes­sion­nelles des TGS [carte de jour­nal­iste nationale turque] et FIJ [carte de jour­nal­iste inter­na­tionale] et que je cla­mais “je suis de la presse”, je me suis retrou­vé d’abord à la Direc­tion de la sécu­rité, ensuite 5 jours après, au bureau du Pro­cureur, puis, avec une demande d’ar­resta­tion, devant le Juge, après trois jours d’isole­ment, dans les quartiers B‑7 gauche de la prison type T de Men­e­men à Izmir. Je pense qu’il n’est pas utile de vous expli­quer, com­bi­en cette péri­ode de 14 jours, que j’ai pu cas­er là, dans une seule phrase, avec une courte réflex­ion, est dif­fi­cile pour quelqu’un qui la vit la pre­mière fois.

Le côté le plus trag­ique que je vis est peut être ceci :
Dans le bureau de la sécu­rité où j’ai été amené après la garde-à-vue, l’ac­cu­sa­tion qui a été portée à mon encon­tre était “oppo­si­tion à la Loi de man­i­fes­ta­tions et de rassem­ble­ments n°2911”. Au palais de jus­tice où j’ai été amené ensuite, le pro­cureur qui n’a même pas trou­vé utile de m’in­ter­roger, m’a envoyé devant le tri­bunal et a demandé mon arresta­tion, avec le chef d’ac­cu­sa­tion “Insulte au Prési­dent de République”. Or, pen­dant toute la durée de l’événe­ment, la seule phrase que j’avais com­posée était “Je suis de la presse”.

Je sup­pose que dans la durée de quelques heures, écoulée entre ma sor­tie de la Direc­tion de la sécu­rité et mon arrivée au tri­bunal, c’est ce “crime” (!) qui a été trou­vé comme étant adap­té pour moi. Le fait de penser que cette sit­u­a­tion qui, dans des con­di­tions nor­males, serait qual­i­fiée par la lit­téra­ture juridique, d’ ”erreur juridi­ci­aire”, ne soit pas inten­tion­nelle, serait d’un opti­misme exagéré…

Et main­tenant ?

Main­tenant, nous sommes 20 à être dans un quarti­er dont la capac­ité était de 10 per­son­nes, qui a été aug­men­tée à 14 avec des lits super­posés sup­plé­men­taires. La répres­sion et la vio­lence psy­chologiques qui ont com­mencé depuis la garde-à-vue, par des agres­sions, direc­tives, aver­tisse­ments, ont lais­sé sa place à des con­di­tions physiques dif­fi­ciles. Moi et les cama­rades étu­di­ants qui ont été égale­ment arrêtés lors de la protes­ta­tion, nous dor­mons par terre. Les con­di­tions d’aéra­tion et d’hy­giène min­i­males sont absentes. Les repas sont insuff­isants pour une ali­men­ta­tion humaine. Manque d’eau chaude, impos­si­bil­ité d’aller au ser­vice médi­cal, même pour les urgences, et le fait que 20 per­son­nes soient entassées dans un espace de 25 m² sur deux étages, sont les dif­fi­cultés essen­tielles. Et les con­di­tions physiques appor­tent les prob­lèmes psy­chologiques, naturellement…

Même si les con­di­tions psy­chologiques et physiques sont dif­fi­ciles, les détenus avec lesquels nous parta­geons les quartiers, (com­mençant pas notre respon­s­able de quartiers, grand frère Yıl­maz) ne nous privent pas de leur sou­tien matériel et moral.

Ces jours-ci, en atten­dant la réponse aux requêtes d’ap­pel que nous avons adressées au tri­bunal, j’es­saye de m’habituer à la prison. Notre plus grande source de moral, sont les mes­sages de celles et ceux qui sont “dehors”, qui nous mon­trent que nous ne sommes pas seuls… et je vous remer­cie toutes et tous pour cela. 

En espérant retrou­ver le plus rapi­de­ment pos­si­ble, ma caméra et les rues, j’en­voie des salu­ta­tions et ami­tiés, à pleines brassées.

Vive la lib­erté de s’in­former du peu­ple ! Vive le vidéo-activisme !

Kazım Kızıl

* Si vous souhaitez envoy­er des let­tres (moi, je le voudrais telle­ment) voici mon adresse :  Kazım Kızıl İzmir Men­e­men T Tipi Kapalı Ceza­e­vi Sol B 7 Koğuşu

Le dernier doc­u­men­taire de Kazım s’in­ti­t­ule Nere­desin Arkadaşım (Où est-tu mon amiE ?) et il racon­te la vie des ouvri­erEs du tabac, par­ti­c­ulière­ment celle des ouvri­ers enfants. Il par­le de leurs dif­fi­cultés, leur espoirs et dés­espoirs. Un point impor­tant, Kazım, fut lui même un ouvri­er enfant du tabac. Le doc­u­men­taire été pro­jeté le 6 mai, lors du Fes­ti­val du film ouvri­er à Istan­bul ain­si que lors de pro­jec­tions spé­ciales, dont une au Cen­tre Cul­turel Français à Istanbul. 

Nere­desin Arkadaşım” existe aus­si en ver­sion sous-titrée en anglais. Pour toute infor­ma­tion et demande de pro­jec­tion con­tac­ter le pro­duc­teur du film, Yunus Erdu­ran : yunuse@yetenekakademisi.com

Vous pou­vez vision­ner le pre­mier doc­u­men­taire de Kazım, Ölmez Ağaç: Yır­ca Direnişi” (L’ar­bre éter­nel : La résis­tance de Yır­ca) au “The tree of eter­ni­ty”. Pour infos con­tac­ter Mer­van Kızıl : mervankizil@hotmail.com

 
Kazım Kızıl, journaliste et réalisateur, jeté en prison ! 
Et regardez son film “The tree of eternity” 

Qui est Kazım Kızıl ?

Kazım KızılKazım Kızıl est né à Manisa en 1983, a fait l’école primaire et le lycée à Hatay et à Diyarbakır. Ensuite, il a fait des études de pharmacologie et il a obtenu son diplôme en 2009 à la faculté de Pharmacie de l’Université d’Egée. Il a commencé la photo en 2005, lors de ses études universitaires. Depuis, il n’a jamais cessé de travailler l’image, principalement la vidéo, à partir de 2013.
Son documentaire, “Ölmez Ağaç: Yırca Direnişi”, en français “L’arbre éternel : Résistance de Yırca” qui raconte la lutte de la population de Yırca, contre les centrales thermiques, a été primé de nombreuses fois. Il continue à travailler sur des documentaires abordant les thématiques comme les droits humains, la lutte des femmes, les problèmes des réfugiés, l’écologie, et produit des vidéos contenant majoritairement des portraits et témoignages.
Kazım, défend l’idée, que non seulement le “produit” mais les phases de “production” doivent être politiques et soutien l’idée que la force d’une vidéo doit être mesurée par sa capacité à mettre les gens en dynamique. Kazım vit depuis 15 ans à Izmir, mais il traverse le pays depuis des années, en long en large, de Suruç à Yırca, de Cizre à Hopa, de Lice à Soma
Avant son arrestation, il travaillait sur le documentaire intitulé “Neredesin Arkadaşım” (Où es-tu mon ami?) prenant comme thème, les enfants ouvriers dans l’agriculture. La première du film est programmé lors du Festival international des films ouvriers, qui se déroulera du 1er au 7 mai prochains.
Kazım est également un des fondateurs/trices du “Kamera Sokak” (Caméra Rue) un collectif d’information populaire et de “vidéoactivisme”. C’est une des premières initiatives qui ont été entreprises avec l’idée “Si on ferme nos journaux et télés, nous serons notre propre média”, répondant au manque d’information du à la censure, l’autocensure, et dans les dernières périodes, la fermeture des médias, et les purges dans les rangs des journalistes. Kamera Sokak sur Facebook et sur Twitter

Kazım par­le de son tra­vail. (Vidéo en turc sous titré en anglais.)

Je suis quelqu’un qui doc­u­mente les révoltes, les protes­ta­tions et les résis­tances. D’un côté il y a la police, de l’autre côté, les résis­tants. Je ne suis pas la per­son­ne qui les pho­togra­phie, et doc­u­mente tout cela de l’ex­térieur. Mon côté est ce côté, je suis du côté des résistants. 

Nous util­isons la pho­togra­phie, la vidéo et tout le reste, comme des out­ils. Peut être que si j’é­tais un bon lanceur de pier­res, je lancerais des pier­res. Mais je ne lance très bien les cail­loux, le domaine où je suis le plus doué sont la pho­togra­phie et la vidéo.

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Page Facebook | Twitter @KazimKizil (géré actuellement par son frère)
#freekazimkizil

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Magnifiques courtes vidéos sur son FB et surtout sur Vimeo
Vidéos, photos, textes sur son site perso SacedeKa

 


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