Emrah Serbes l’auteur de “Deliduman” était à Paris, le mardi 2 mai à la librairie Le Divan pour présenter son livre, paru chez Belleville éditions sous le titre “Taksim moonwalk”, et traduit par Ali Terzioğlu et Jocelyne Burkmann.
Taksim moonwalk (Deliduman) raconte à travers le vécu de Çağlar et de sa soeur Çiğdem, la résistance de Gezi de 2013. Comme le présente les éditions Belleville il est “LE roman de Gezi”.
Istanbul, été 2013. Un moment fort pour la Turquie. Toutes les générations se retrouvent sur les places publiques du pays pour manifester leur droit à la liberté. Pendant des mois, les Stambouliotes, soutenus et rejoints par d’autres provinces, vont défendre un parc public, Gezi, devenu le symbole de leur révolution. Belleville se fait le porte-voix de ce mouvement populaire.
Pour approfondir : L'histoire de Gezi Istanbul 2013 • La Résistance de Gezi Les graffitis débordants d'humour Gezi : les murs se souviennent
Une histoire du présent
Çağlar a dix-sept ans et une petite soeur qu’il aime par-dessus tout, Çiğdem. Elle est tout ce qu’il lui reste comme famille. Leur père est parti, leur mère dépressive, leur oncle est un politicien véreux. Pour échapper au pessimisme ambiant, rien de tel qu’un concours de talents. Et Çiğdem n’en manque pas : elle maîtrise le moonwalk comme personne !
Alors qu’ils ne sont plus qu’à quelques marches de la gloire, le monde en décide autrement… En ce mois de mai 2013, les projecteurs se braquent sur le parc de Gezi et les manifestations stambouliotes. Çağlar en est sûr, c’est la chance de leur vie. C’est décidé, Çiğdem dansera au milieu des lacrymos et des chars antiémeutes. YouTube et les internautes se chargeront du reste…
Istanbul-Paris / Paris-Istanbul
Dorothy, de Belleville éditions, nous envoie un retour” spécial Kedistan” et un exemplaire dédicacé du Taksim moonwalk, et les kedi qui ont raté ce chaleureux rendez-vous ronronnent de plaisir.
En mai 2013, je travaillais dans une librairie française à İstanbul. J’assistais tous les soirs aux affrontements, aux débarquements des TOMA, [canons à eau] sur l’avenue İstiklal, aux fuites des manifestants sous les jets des gaz poivre. J’entendais à 21 heures tapantes les cuillères en bois frapper les casseroles. La ferveur de la foule révoltée était palpable. Marie m’a rejointe et nous avons rencontré Anatolia Lit, l’agence qui représente Emrah à l’international.
Quatre ans plus tard, presque jour pour jour, Taksim moonwalk débarque en librairie, et Emrah Serbes à Paris. Dans son livre, Gezi, les TOMA, les casseroles. Mais surtout toute la beauté et la complexité de la population en Turquie, qui ne peut se résumer à un fragment de son histoire récente. Son humour, son courage, son insoumission.
Après la lecture du roman d’Emrah et quelques visionnages de Behzat Ç, nous nous attendions à un sacré personnage. Et nous n’avons pas été déçues ! Ce furent deux petites journées extrêmement bien remplies. Nous avons filé direction plein Nord, au Salon du livre d’expression populaire et de critique sociale d’Arras. Emrah a été interviewé par la radio libre PFM (retranscription ICI), et a signé de belles piles de Taksim moonwalk, qui était présenté en avant-première sur le salon. Le lendemain, nous étions à la librairie Le Divan à Paris pour une rencontre avec un public dense et attentif malgré la morosité de l’entre-deux tours. Deux journées incroyables qui nous rappellent à quel point il est important de publier ces voix d’ailleurs. Qu’elles ne soient pas tenues au silence, en particulier dans des pays au cœur d’une actualité qui leur fait profondément écho.
Taksim moonwalk est un roman déjanté, rock, révolutionnaire, pop, tendre et surtout humain. Un petit bout de cette Turquie captivante que nous sommes fières de vous rapporter depuis nos valises jusqu’en librairie. Bonne lecture, et beat it !
Ce livre a été vendu à plus de cent mille exemplaires en Turquie et est paru en différentes langues en Allemagne, Croatie, Bulgarie, aux EtatUnis, et Pays-Bas… Voilà, aujourd’hui il est à votre disposition en français… Allez donc faire un tour dans votre librairie préférée… en moonwalk si vous êtes caps ! Ou bien rendez-vous sur la boutique en ligne de Belleville en cliquant ICI. Les frais de port seront offerts pour les lectrices et lecteurs de Kedistan avec le mot de passe “kedi”. En bonus, vous pouvez tester le moonwalk chez-vous, discrètement. Elle n’est pas belle la vie ?
Selim Ileri : “Votre livre est un tournant”
Emrah a écrit Deliduman, aussitôt après la Résistance de Gezi. L’écrivain Selim Ileri à la sortie de Deliduman pointait ce livre, dans “Lettre ouverte à Emrah Serbes”, publié le 4 juillet 2014, sur Kitap Radikal, comme “un tournant”.
Dans cette lettre sincère, Selim Ileri faisait un aveu en nous révélant que dans une pâtisserie, il s’était d’abord tu devant les compliment des amiEs qui avaient lu et aimé Deliduman… Et il s’adressait à Emrah :
Alors que je ne vous avais jamais lu, ni jamais ouvert Deliduman, je n’ai pas pu m’empêcher de vous transformer vite fait en un écrivain en carton, sans même prononcer le nom d’Emrah Serbes, et d’exprimer ‑avec toute ma méchanceté- que tout au long de ma vie d’auteur de près de cinquante ans, de nombreux jeunes écrivainEs ou de futurEs écrivainEs, étaient apparuEs en brillant, puis s’étaient éteintEs et avaient disparuEs. Vous qui avez écrit Cağlar, qui cache le surpoids de Çiğdem, vous pouvez deviner la suite. Regrets… et une honte secrète. Mes déclarations d’avis, dans des pâtisseries du haut de mon égo gonflé par mes 65 ans. Je suis rentré triste à la maison, ce soir, la honte secrète perdurait.
Le lendemain, j’ai fait acheter Deliduman dans une librairie à Kadıköy. Dès la première page, votre langage, votre style de récit, les mots que vous avez choisi, issus de ces temps nouveaux et que vous avez rendu vôtres, m’ont impressionné.
(…)
Je suis rendu ce soir à la chapitre 15, je ne peux plus m’empêcher, je vais vous écrire. Ensuite je reprendrai la lecture.
Deliduman est un livre important. Parce qu’il est le roman de l’instant présent. Pour moi, c’est un exercice difficile, car rien n’a trouvé sa place, aucun fait n’est assis, les comptes ne sont pas faits… Vous avez vaincu ce problème et avec Deliduman vous avez crée un tournant. Vous prouvez qu’un roman “jeune” existe désormais. J’espère que votre chemin sera sans embuches.
Note d’après lecture : J’ai fini Deliduman. L’ambiance schizoïde dans laquelle nous vivons ! Je suis obligé de vous féliciter encore une fois, avec toute ma jalousie.
Qui est cet Emrah ?
Emrah Serbes est un sacré personnage, l’auteur populaire par essence. Son oeuvre se retrouve partout, depuis les tables des libraires jusqu’aux petits écrans. Il a choisi Gezi pour libérer sa parole et exprimer sa vision de la Turquie. Il en a fait un roman satirique et très tendre sur la jeune génération, plein d’une ironie mordante. On y suit les tribulations loufoques de Cağlar et de sa soeur, fuyant les lacrymos de la police ou piégés dans les méandres d’une administration corrompue. Pire encore, nos nouveaux héros sont confrontés à une frange de la société qui ne les comprend pas. Un texte révélateur sur une Turquie déchirée entre ses traditions et son aspiration au changement.
Né en 1981 à Yalova, au bord de la mer Marmara, dans une famille modeste, Emrah Serbes est un jeune auteur devenu très populaire en Turquie. Passionné de théâtre, scénariste pour la télévision, il mène à travers son oeuvre un combat pour sa génération. Fin connaisseur de sa langue, il se fait parfois poète, parfois charretier… mais toujours avec tendresse et humour noir.
Quant aux traductrice/teurs Jocelyne Burkmann et Ali Terzioğlu, ils se rencontrèrent en 2006 à Istanbul au lycée Pierre Loti où ils travaillent, lui comme professeur d’histoire et de communication, elle de français. Ils se rapprochent autour de la traduction d’un texte d’Oğuz Atay. Une aventure littéraire qui devient vite amoureuse. Depuis, ils traduisent ensemble de grands noms de la littérature turque, comme Pınar Selek.