Cet homme de 70 ans, por­tant une barbe blanche de sage, assis sur la place de Kışla à Der­sim, s’ap­pelle Kemal Gün. Quant à la sculp­ture qui l’ac­com­pa­gne, elle est celle de Seyîd Riza, un impor­tant pir, chef spir­ituel, et trib­al kurde zaza qui a dirigé la révolte de Der­sim (1937–1938) con­tre l’ar­mée turque.

Kemal Gün, assis au pied du pir, est un père… Kemal est en grève de la faim, il clame depuis des semaines, son unique reven­di­ca­tion, “Je veux le corps de mon fils”.

Si vous êtes lec­trice et lecteur de Kedis­tan  vous con­nais­sez Nuriye Gül­men et Semih Öza­kça, les enseignants licen­ciés par décret, qui pour­suiv­ent une grève de la faim depuis 11 mars. Vous pou­vez d’ailleurs lire les arti­cles qui les con­cer­nent et avoir de leurs nou­velles en suiv­ant ce lien… Le 8 mai dernier, Nuriye et Semih dédi­aient par sol­i­dar­ité leur 61ème jour de grève à Kemal Gün.

Et le 8 mai était le 47ème jour de sa grève de la faim à lui. Son état est égale­ment cri­tique. Selon les symp­tômes, une fonte mus­cu­laire a été diag­nos­tiquée chez Kemal.

Où est la dépouille de mon fils ?

Murat, le fils de Kemal Gün, est un des 11 mil­i­tants du DHKC1qui ont été tués le 7 novem­bre 2016, lors des bom­barde­ments aériens dans la Val­lée du ruis­seau Çed, entre Hozat et Dersim.

Les dépouilles de 10 de ces jeunes n’ont tou­jours pas été remis­es à leurs familles.

Que s’était-il passé ?

Le lende­main de l’opéra­tion, les médias pro-régime ou nation­al­istes écrivaient ceci, “Le 7 novem­bre l’ar­mée turque avait local­isé les ter­ror­istes du DHKP‑C dans la Val­lée du ruis­seau de Çed, mais la zone étant rocheuse, elle a préféré” les neu­tralis­er par un bom­barde­ment aérien. Les 11 ter­ror­istes, qui se cachaient dans un abri, ont été tués. Après l’opéra­tion, lors des recherch­es sur la zone, les corps de 7 ter­ror­istes ont été trou­vés dans l’abri, ont été sor­tis et envoyés à l’in­sti­tut médi­co légal de Malatya. Quant aux 4 autres corps, ils n’ont pas pu être sor­tis à cause de l’éboule­ment causé par le bombardement.”

Murat fils de Kemal Gün

Murat

Toutes les démarch­es et requêtes des familles afin de récupér­er les dépouilles de leurs proches étant restées sans réponse, le 29 jan­vi­er 2017 elles ont organ­isé une con­férence de presse. L’av­o­cate Oya Aslan, mem­bre du HHB (L’Office du Droit du peu­ple) les accom­pa­g­nait et pré­ci­sait que quel que soit le crime d’une per­son­ne, le devoir de l’E­tat est de l’ar­rêter en vie. Tuer par bom­barde­ment aérien les per­son­nes qui ne se trou­vent pas dans une action ou un affron­te­ment, qui ont été repérées dans une zone décou­verte, est totale­ment inac­cept­able. Ceci est un crime inten­tion­nel. Elle soulig­nait que la Pré­fec­ture de Der­sim avait bien ouvert une enquête, mais que celle-ci n’é­tait pas menée et que cela allait à l’en­con­tre du “Pro­to­cole de Minnesota”.

Le 25 févri­er,  les pères de Murat Gün et d’Ay­sun Saban, qui font par­tie des 11 morts, Kemal Gün et Saba­hat­tin Saban ont entamé une grève de la faim à Der­sim. Ils ont une seule reven­di­ca­tion, c’est de pou­voir récupér­er les corps de leur enfants afin de les inhumer selon leurs traditions.

Une lueur d’espoir…

Le 1er mars, les équipes de la gen­darmerie infor­ment les familles Gün et Saban qu’un tra­vail d’ex­trac­tion sera fait dans l’abri bom­bardé, sur ordre du Pro­cureur de République. 

Les deux pères pensent alors arrêter leur grève de la faim. Mais, lors des recherch­es, selon les autorités, “des morceaux de corps et osse­ments appar­tenant à 3 per­son­nes ont été trou­vées sous l’abri bom­bardé, et les restes ont été envoyés à l’in­sti­tut médi­co légal de Malatya, afin de les identifier.” 

Depuis début mars, les familles n’ont tou­jours rien obtenu…

Père Kemal”  pour­suit donc sa grève de la faim jusqu’à ce jour.

Il répète tou­jours la même requête : Je ne par­ti­rai pas d’i­ci tant que je n’au­rais pas récupéré le corps de mon fils, ne serait-ce qu’un bout d’os. J’ai peut être les mus­cles qui fondent, mais ma volon­té et ma fierté me font tenir. J’y lais­serai peut être ma vie, mais je ne bougerai pas d’i­ci. Je veux la dépouille de mon enfant.”

Kemal Gün

Notons enfin que l’E­tat ne recule devant rien. Puisqu’il “occupe l’e­space pub­lic”, Kemal reçoit régulière­ment des procès ver­baux le som­mant de pay­er une amende de 227 livres turques (58€) par jour, pour sa présence dans ces lieux : sous état d’ur­gence, les sit-in, rassem­ble­ments et man­i­fes­ta­tions sont inter­dits. Non seule­ment l’E­tat ne lui rend pas la dépouille de son fils, mais Kemal se retrou­ve avec une dette de 16 798 livres turques (env­i­ron 4300€) envers l’Etat !

Uni­ver­si­taires, sig­nataires de l’ap­pel de la Paix, en sou­tien à Kemal à Der­sim. Ils por­tent les pan­car­tes de sou­tien à Nuriye Gül­men, uni­ver­si­taire, et Semih Öza­kça enseignant.

Vous pou­vez suiv­re Kemal Gün sur son compte Twit­ter : @dersimkemalbaba, lui envoy­er des sou­tiens et relay­er ses appels…

Ajout du 24 mai :

La semaine dernière les autorités avaient infor­mé Engin Gökoğlu, l’av­o­cat de Kemal, que les osse­ments de Murat allaient être “envoyés par car­go”. L’av­o­cat avait fait une requête pour que le “col­is” soit envoyé par avion, afin d’ac­célér­er la procé­dure de trans­port et Kemal avait déclaré qu’il pour­suiv­rait la grève de la faim, tant que sa demande n’a pas abouti.

Aujour­d’hui nous sommes au 90ème jour de sa grève de la faim.

La Pré­fec­ture de Tunceli a enfin con­tac­té Kemal pour lui dire : “Les osse­ments de ton fils sont à la Pré­fec­ture, viens les chercher. Mais tu n’es pas autorisé à l’in­humer à Dersim”.

Bey­han, la fille de Kemal et son avo­cat se sont entretenus avec la Pré­fec­ture. La famille a décidé de d’in­humer Murat à Hozat. Après des funérailles qui se dérouleront demain, au cemevi (lieu de culte alévi) de Hozat, Murat sera enter­ré donc dans cette ville.

Fin de l’his­toire. Seule­ment par­mi tant d’autres.
Kemal a gag­né son com­bat après 90 jours de souffrances…


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