Dans la salle de la cemevi1de Villiers-le-Bel, plusieurs centaines de Kurdes, venus de toute la région parisienne, voire plus loin encore, se serrent pour rendre un dernier hommage à Sakine Taş et présenter leurs condoléances à une famille durement touchée par la perte de leur fille. La jeune combattante du YJA-Star2est morte le 06 avril 2017 lors d’un bombardement de l’aviation turque sur les « zones de défense de Medya », dans les montagnes à la frontière entre Irak et Turquie. Bien loin des immeubles de Drancy où elle aura vécu quelque mois avant de rejoindre le PKK dans les montagnes du Kurdistan. Mais au plus près de ses convictions.
« Elle a décidé en novembre 2013 de rejoindre le PKK dans les montagnes. Pour faire partie de tout ce qui la touchait depuis qu’elle était née. » explique sa cousine Rojin.
Sakine est née à Kahramanmaraş dans la région d’Elbistan le 02 juin 1994. « Nous les Kurdes alévis en général, et à Maraş en particulier, nous subissons l’assimilation, on nous interdit de parler notre langue… Sakine elle est née dans tout ça, et elle s’intéressait au mouvement. » raconte Rojin. Maraş est tristement célèbre pour le massacre perpétré fin décembre 1978 par le MHP, organisation d’extrême droite, avec la complicité du gouvernement turc et au cours duquel plus d’un millier de personnes seront assassinées dans des circonstances atroces. Un traumatisme qui marque encore aujourd’hui les consciences des ses habitants.
« A l’école elle faisait des choses remarquables. Quand il y a eu un tremblement de terre dans la ville de Van, elle avait 14/15 ans à cette époque, elle essayait de récolter des affaires auprès des gens de sa ville pour aider les victimes. » Sakine lisait beaucoup, s’intéressait à tout. Après le lycée, elle voulait étudier la philosophie. C’est à cette période qu’elle et sa mère ont rejoint son père, installé depuis longtemps en France, ainsi que son frère et sa sœur qui y vivaient déjà. En France, elle a voulu reprendre les études, mais la guerre au Kurdistan l’a rattrapée.
« Quand elle est venue ici, elle a été très touchée par la mort de Sakine [Cansız], Fidan [Doğan] et Leyla [Saylemez]. » reprend Rojin. Les trois femmes ont été tué par un agent infiltré aux ordres des services de renseignement turc. « C’est là qu’elle a commencé à s’impliquer davantage, d’abord en se rapprochant du mouvement des jeunes Kurdes. Au fur et à mesure, à chaque fois qu’elle voyait quelqu’un qui mourrait, elle était touchée, elle voulait aider, faire quelque chose. »
Après avoir rejoint la guérilla, la jeune fille prend comme nom de guerre Sara Tolhidan – un choix qui ne doit rien au hasard. Sara est le nom de guérilla de Sakine Cansız, fondatrice du mouvement des femmes dans le PKK, et assassinée à Paris en janvier 2013 par un agent au service de l’état turc ; et tolhildan signifie « vengeance » en kurde. Quelque temps après son départ, sa famille a commencé à recevoir des lettres de sa part. Elle appelait de temps en temps, quand elle pouvait, notamment pour consoler sa mère. « On était tous fiers d’elle » termine Rojin.
Après les hommages rendus par des responsables du mouvement kurde et des parents de martyrs, le frère et le père de la jeune fille prennent la parole, durement affectés mais d’une dignité exemplaire. L’hommage se termine par une projection de photographies montrant Sakine avant et après avoir rejoint la guérilla. De l’adolescente en habit de fête à la combattante de 22 ans, le sourire est le même sur les clichés qui défilent. Mais au fil du temps, on voit le regard changer et se faire plus déterminé.
« Şehit namîrin » — les martyrs ne meurent pas – scande la foule à plusieurs reprises.
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