A la suite des attaques répétées de la Turquie con­tre le Roja­va et la con­fédéra­tion Nord Syrie, Ilham Ahmed, co-prési­dente du Con­seil démoc­ra­tique de Syrie, s’ex­prime ain­si dans le Wash­ing­ton Post, à des­ti­na­tion d’un pub­lic améri­cain, rappelons-le.

Ilham Ahmed

Mar­di, la Turquie a bom­bardé le siège des com­bat­tants kur­des dans le nord de la Syrie, tuant 20 de nos soldats.

Immé­di­ate­ment après l’at­taque, les dirigeants de nos forces — appelés Groupes de pro­tec­tion du peu­ple ou YPG — se sont pré­cip­ités, de leur cen­tre d’opéra­tions près de Raqqa où ils com­bat­tent avec l’ap­pui de l’ar­mée améri­caine pour pouss­er l’É­tat islamique hors de sa forter­esse syri­enne, vers le site des attaques. Le colonel améri­cain et d’autres officiers qui ont accom­pa­g­né les com­man­dants des YPG, ont été à la ren­con­tre des dizaines de mil­liers de man­i­fes­tants, y com­pris les mères de sol­dats décédés en se bat­tant con­tre l’E­tat islamique. Ceux-ci ont posé aux Améri­cains une sim­ple question :

Com­ment est-il pos­si­ble que nos sol­dats se bat­tent avec vous con­tre Daech alors que votre Turquie alliée nous attaque ici ?”

Ce n’est pas la pre­mière fois que la Turquie nous attaque. Les avions turcs et l’ar­tillerie bom­bar­dent le nord de la Syrie depuis plus d’un an, et les forces turques ont envahi le pays l’an­née dernière. Dans chaque cas, les Turcs ont agi sous de faux pré­textes. Ils pré­ten­dent avoir envahi la Syrie pour com­bat­tre le ter­ror­isme, et pour­tant les groupes qu’ils sou­ti­en­nent sur le ter­rain ( Ahrar Al Sham et Nour Eddin Al Zan­ki) parta­gent la même idéolo­gie dji­hadiste con­tre laque­lle les Etats-Unis se battent.
Les Turcs ont déclaré qu’ils ont bom­bardé notre quarti­er général parce qu’ils ont affir­mé que notre ter­ri­toire est util­isé pour lancer des attaques con­tre la Turquie. Mais ces accu­sa­tions sont sans fonde­ment. Per­me­t­tez-moi d’être aus­si clair que pos­si­ble: nous n’avons jamais util­isé le nord de la Syrie pour lancer une quel­conque attaque con­tre la Turquie. Si le prési­dent turc Recep Tayyip Erdoğan ne nous fait pas con­fi­ance lorsque nous le dis­ons, bien. Mais pourquoi ne peut-il pas faire con­fi­ance au per­son­nel améri­cain présent dans notre région qui l’as­sure de la même chose ?

Erdoğan jus­ti­fie ces attaques illé­gales tou­jours avec la même reven­di­ca­tion sans fonde­ment: que le YPG est le même que le Kur­dis­tan Work­ers ‘Par­ty (PKK), qui lutte actuelle­ment con­tre le gou­verne­ment en Turquie. Cette affir­ma­tion repose sur le fait que nous parta­geons un “fon­da­teur” et de nom­breuses valeurs intel­lectuelles avec le PKK — mais cela vaut égale­ment pour le Par­ti démoc­rate pop­u­laire (HDP), un par­ti poli­tique légal en Turquie, avec 58 mem­bres au par­lement turc. Ils ne sont pas plus PKK que nous, et toute ten­ta­tive de nous assim­i­l­er au PKK est fausse.

Erdoğan le sait. Il sait que notre lead­er­ship poli­tique et mil­i­taire est com­plète­ment dis­tinct de celui du PKK. Il sait que toute ten­ta­tive de com­bin­er YPG avec PKK serait con­traire à notre valeur fon­da­men­tale de la décen­tral­i­sa­tion du pou­voir. Il sait que nous n’u­til­isons pas le nord de la Syrie pour lancer des attaques con­tre la Turquie. Il sait tout cela. Il s’en moque.

Erdoğan essaie de forcer les États-Unis à choisir entre nous et la Turquie. Nous ne pen­sons pas qu’un tel choix soit néces­saire, mais il vaut la con­sid­éra­tion de ce que cela implique. Nous, le Con­seil démoc­ra­tique de la Syrie, sommes une alliance de par­tis pro­gres­sistes et démoc­ra­tiques qui régis­sent la Fédéra­tion de Syrie du Nord. Bien que nous soyons assiégés de tous les côtés (par l’É­tat islamique, le régime d’As­sad et la Turquie d’Er­doğan), notre région est plus sta­ble que n’im­porte quelle autre par­tie du pays. Dans les faits, en plus de notre pop­u­la­tion de 3 mil­lions, nous avons pris 500 000 réfugiés sup­plé­men­taires (chré­tiens, sun­nites, chi­ites, arméniens et Yézidis), venus de toute la Syrie.

Mal­heureuse­ment, il existe un con­traste fla­grant entre notre société démoc­ra­tique, égal­i­taire et pro­gres­siste et celle de notre voisin, où Erdoğan con­solide le pou­voir et fait de la Turquie un état total­i­taire. Cela a été démon­tré par sa récente “vic­toire” lors du référen­dum con­sti­tu­tion­nel de ce mois, qu’il a mené après avoir arrêté un grand nom­bre de lég­is­la­teurs, de dirigeants poli­tiques, de jour­nal­istes, de syn­di­cal­istes et de dirigeants mil­i­taires qui ne sont pas d’ac­cord avec le réc­it poli­tique du prési­dent turc.
Ironique­ment, en pous­sant les États-Unis à choisir entre nous et lui, Erdoğan ne fait que rap­pel­er davan­tage le fait que la Turquie n’est pas un véri­ta­ble allié des États-Unis. Con­sid­érez ceci : alors que nous lut­tons pour le droit de notre peu­ple à faire cess­er la tyran­nie, Erdoğan nie tyran­nique­ment cette lib­erté à son pro­pre peu­ple. Alors que nous nous bat­tons et nous agis­sons côte à côte avec l’ar­mée améri­caine dans la cam­pagne con­tre l’E­tat islamique, Erdoğan fait le lit du ter­ror­isme et sou­tient des groupes qui s’op­posent ouverte­ment aux idéaux djihadistes.

Si Erdoğan était un véri­ta­ble allié améri­cain, alors, au lieu de dépos­er des bombes sur le siège du YPG, qui héberge actuelle­ment plus de 1 000 mil­i­taires améri­cains, la Turquie chercherait à détru­ire Al-Qaï­da, qui a mis en place des bases à Idlib, juste le long de la Fron­tière turque. Al-Qae­da à Idlib fait par­tie des plus grands affil­iés à l’his­toire de l’or­gan­i­sa­tion islamiste. (C’est d’après les respon­s­ables améri­cains, d’ailleurs.) Pour­tant, la Turquie ne fait rien.

Alors que la Turquie ferme les yeux sur le ter­ror­isme, les Forces démoc­ra­tiques syri­ennes (SDF), où le YPG joue un rôle impor­tant, se trou­vent à seule­ment  10 milles de Raqqa, la soi-dis­ant cap­i­tale du cal­i­fat auto­proclamé de l’É­tat islamique. Le SDF con­trôle égale­ment 70 pour cent d’une autre ville stratégique appelée Tabqqa et est en plein con­trôle de sa base aéri­enne qui a été retirée à l’É­tat islamique par le SDF. Au cours du dernier mois, le SDF a retiré des dizaines de vil­lages autour de Raqqa des mains de l’É­tat islamique, et nous ne nous arrêterons pas avant que le dernier par­ti­san du cal­i­fat ait été vaincu.

Pour être clair, nous ne voulons pas aug­menter le con­flit avec la Turquie. Oui, nous croyons qu’Er­doğan, qui fait soi-dis­ant les gros yeux sur le ter­ror­isme aspire à con­stru­ire en fait son état total­i­taire. Il est du mau­vais côté de l’his­toire. Il porte son agres­sion vers l’ex­térieur, nous, nous regar­dons vers l’in­térieur, dans un esprit d’op­ti­misme et de pro­grès, vers une meilleure Syrie.

Nous ne croyons pas que les États-Unis doivent choisir entre nous et la Turquie. Chaque jour qui passe, cepen­dant, il devient plus clair que nous sommes objec­tive­ment le véri­ta­ble allié des États-Unis  dans ce conflit.

Cet appel de bon sens, dans un cadre géo-poli­tique et diplo­ma­tique qui n’en recèle aucun, accom­pa­gne la demande d’une “zone d’ex­clu­sion aéri­enne” qui, à min­i­ma, serait une pro­tec­tion vitale pour les pop­u­la­tions nord syriennes.

Tout le monde com­prend par­faite­ment que le régime turc, fort y com­pris de sa grande tricherie référendaire, qui dans les faits institue con­sti­tu­tion­nelle­ment un régime d’ex­cep­tion avec mode de fonc­tion­nement d’é­tat d’ur­gence, cherche à repren­dre pied dans l’im­broglio du scé­nario d’après Daech. Il a con­nu une défaite suite à l’ir­rup­tion de ses troupes sur le ter­ri­toire syrien il y a déjà quelques mois, freiné sur le ter­rain par la présence mil­i­taire et diplo­ma­tique russe, s’est trou­vé mis à l’é­cart de l’of­fen­sive en Irak con­tre Mossoul, et empêché pour celle en cours con­tre Raqqa. Les rela­tions changeantes entre le nou­veau gou­verne­ment améri­cain et le gou­verne­ment russe ne facili­tent pas non plus la tâche d’Er­doğan dans cette ten­ta­tive de retour dans le jeu diplo­ma­tique, d’au­tant que le statu quo de l’UE ne l’y aide pas.

Erdoğan a donc choisi, comme en 2015, un dou­ble jeu oppor­tuniste, qui en dés­espoir de cause, lui per­me­t­trait d’af­faib­lir le Roja­va, quelle qu’en soit l’issue.

C’est donc bien une exi­gence, human­i­taire et poli­tique, que de per­me­t­tre aux pop­u­la­tions du Nord de la Syrie, d’être pro­tégées de toutes attaques aéri­ennes, et en l’oc­curence aujour­d’hui de celles du régime turc.

Pour plus d’in­for­ma­tions factuelles, images et vidéos, reportez vous au dernier jour­nal de Ron­ahi TV.

La ver­sion en turc sur Gazete Duvar.


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