En Turquie, les mag­a­zines satiriques tenaient vrai­ment une place à part. Nous ne l’ex­primerons jamais assez… Mais ils paient leur tribu autant du fait des poli­tiques lib­er­ti­cides con­cer­nant la presse, que du fait de la baisse des ventes papi­er due à l’u­til­i­sa­tion d’In­ter­net et la perte des habi­tudes de lecture.

Nous apprenons avec grande tristesse que Penguen fer­mera bien­tôt ses pages.

Penguen est un mag­a­zine satirique indépen­dant qui parait en Turquie et à Chypre. Heb­do­madaire, il sort tous les jeud­is. Un des mag­a­zines satiriques le plus ven­du de Turquie, il a été crée en 2002 par des humoristes qui vien­nent de l’é­cole de Gırgır*. 

[*] Gırgırfondé par l’humoriste Oğuz Aral en 1972, fut une “école” et un magazine satirique “culte” du pays, jusqu’à sa vente et la démission de son fondateur avec la quasi totalité de l’équipe. Il a ensuite perdu sa ligne éditoriale incisive et sa superbe, et finalement il a été fermé le 17 février 2017, sur l’ordre de Procureur , suite à la publication d’une caricature sur Moïse]
Penguen

Les car­i­ca­tur­istes du Penguen

Metin Üstün­dağ, Bahadır Baruter, Selçuk Erdem, Erdil Yaşaroğlu ayant quit­té LeMan, un autre mag­a­zine satirique, ont été les mem­bres de l’équipe ini­tiale de Penguen. Le pre­mier numéro de Penguen  paraît le 25 sep­tem­bre 2002. Cer­tains humoristes ont quit­té Penguen, en août 2007 pour créer Uykusuz de leur côté. A par­tir du n° 661 du 21 mai 2015, de nou­veaux auteurEs comme Ahmet Ümit, Ece Temelku­ran, Ozan Önen, Zeynep Deniz Özturhan et humoristes tels que Doruk­tan Turan, İlker Altungök, Emir Sağlam ont rejoint l’équipe. Penguen a donc aug­men­té le nom­bre de page à 24, et les a ouvertes à des textes humoris­tiques. Son prix est égale­ment passé de 3 livres turques à 4 (1€)

Le monde des Tayyip”
(cliquez sur l’im­age pour l’agrandir)

L’emblème du mag­a­zine, un “penguen” qui essaye de vol­er, a été dess­iné par Selçuk Erdem. Les cou­ver­tures de Penguen, que nos lec­tri­ces et lecteurs ont déjà croisées dans les chroniques de Mizah Haber, trait­ent en général de l’ac­tu­al­ité de Turquie. Avec sa ligne édi­to­ri­ale opposante et cri­tique, .….…..????bla bla

En sep­tem­bre 2005 lorsque Erdoğan, alors qu’il était Pre­mier Min­istre, avait ouvert un procès con­tre le dessi­na­teur Musa Kart, pour l’avoir dess­iné comme un chat, Penguen avait pub­lié pour dénon­cer la con­damna­tion de Musa, une cou­ver­ture représen­tant Erdoğan en divers ani­maux sour le titre de “Le biotope des Tayyip”. Tayyip Erdoğan avait alors porté plainte, cette fois con­tre Penguen, mais le tri­bunal avait con­sid­éré qu’il s’agis­sait de “cri­tique humoris­tique, sans dom­mage moral” et avait rejeté le procès. Notons tout de même que les mêmes choses se répè­tent sans cesse en Turquie, et que Musa Kart se trou­ve actuelle­ment en prison, tout comme ses col­lègues jour­nal­istes du quo­ti­di­en Cumhuriyet.

 Turquie • La prison, jusqu’à la caricature… sur Musa Kart.

L’équipe de Penguen a pub­lié un mes­sage à l’at­ten­tion de ses lec­tri­ces et lecteurs, pour expli­quer la fer­me­ture proche du mag­a­zine. Il nous reste donc qua­tre derniers numéros de Penguen à décou­vrir… Mais ce n’est pas pour autant que ses auteurEs et car­i­ca­tur­istes arrêteront de pro­duire de l’hu­mour et des caricatures…

Nous parta­geons, avec un pince­ment au cœur, le mes­sage de Penguen paru en turc sur son site Inter­net

Chers lecteur, lectrices

Com­ment vas tu ? Si tu nous le deman­des, nous, nous sommes tristes. Nous n’al­lons pas pou­voir con­tin­uer ce mag­a­zine que vous tenez dans vos mains, au delà des 4 numéros prochains.

Penguen s’est doté d’ailes et a pris son envol en 2002. Nous en avons tra­ver­sé des choses. Vous le savez, parce que pen­dant tout ces temps vous avez été avec nous. C’est votre vent qui rem­plis­sait nos ailes.… Nous aus­si, c’est en lisant les mag­a­zine satiriques que nous avons eu envie de faire ce tra­vail, et nous avons essayé comme nous avons pu, de con­tin­uer cette tra­di­tion de mag­a­zine dont nous étions tombés amoureuxS­ES. A un point, nous nous sommes trou­vés blo­qués. Il est main­tenant temps de vol­er vers d’autres aventures.

Notre prob­lème vient du fait que nous avons per­du l’habi­tude de lire des mag­a­zines, des jour­naux. La presse écrite devient de plus en plus petite, mon­di­ale­ment, et l’u­til­i­sa­tion d’in­ter­net, les smart­phones, sont entrés dans nos vies.

Notre prob­lème est en résumé ceci : Nous ne lisons plus les mag­a­zines. Nous avons per­du l’habi­tude de lire des mag­a­zines. Et pas que les mag­a­zines satiriques. La presse écrite se restreint de plus en plus mon­di­ale­ment. D’abord Inter­net, ensuite les smart­phones, sont entrés dans nos vies et nos habi­tudes de lec­ture de mag­a­zines, de jour­naux ont petit à petit dimin­ué. S’a­joutent dessus, les sites, les comptes sur les réseaux soci­aux, qui pub­lient nos car­i­ca­tures sans autori­sa­tion, en essayant de ramass­er des revenus de pub­lic­ité sur le dos de notre tra­vail, sans qu’ils pro­duisent quoi que ce soit. Mais, ne nous com­prenez pas mal, il ne s’ag­it pas de vous le reprocher, car nous com­prenons nos lec­tri­ces et lecteurs qui veu­lent attein­dre des car­i­ca­tur­istes où qu’ils/elles soient, et l’en­t­hou­si­asme de ceux et celles qui parta­gent nos dessins avec leurs amies sur leur page nous émeut. S’il était pos­si­ble de faire paraitre le mag­a­zine avec des “like” de Facebook… 

En tout cas, nos dif­fi­cultés ne sont pas nou­velles. Avec des con­ces­sions, nous avons pu arriv­er jusqu’à aujourd’hui.

La presse se retréc­it dans le monde, mais dans notre pays c’est encore plus dif­fi­cile. L’e­space de lib­erté se restreint de plus en plus, le tra­vail des jour­nal­istes devient plus dif­fi­cile, et les humoristes n’ont pas de facil­ités non plus. Mal­gré cette ambiance, nous avons essayé d’ap­porter, comme nous avons pu, un peu de souf­fle. Nous voulons faire notre mag­a­zine bien aimé, à la façon que nous aimons. Si nous ne pou­vons pas le con­tin­uer en gar­dant la qual­ité dont nous rêvons, nous préférons ne pas continuer.

Il y a d’un côté ceux qui dis­ent “bien fait pour leur gueule”. Ils sont con­tents de la fer­me­ture d’un mag­a­zine qu’ils n’ont jamais lu. Qu’ils ne se réjouis­sent pas trop. L’hu­mour et la car­i­ca­ture, con­tin­ueront d’une façon ou d’autre, et garderont l’op­po­si­tion et la cri­tique qui sont leur essence même. Nous aimons écrire et dessin­er, et nous n’avons pas envie de cesser.

Quand la nou­velle a été annon­cée, les lecteurs et lec­tri­ces étaient autant tristes que nous. Nous avons reçu des cen­taines de let­tres de sou­tien. Cer­tainEs ont demandé “que pou­vaient ils-elles faire”, ou pro­posé de l’aide finan­cière. Des sug­ges­tions que vous nous avez faites comme “achetons le mag­a­zine en plusieurs exem­plaires”, ou “aug­mentez le prix”, sont à nos yeux une richesse énorme. Le fait que vous pen­siez à nous, nous suf­fit. Mais tout cela seraient des solu­tions éphémères. Comme nous l’avons dit, le prob­lème est le fait que nous ayons per­du notre habi­tude de lire. Depuis que ce mag­a­zine a com­mencé à paraitre en tant qu’édi­tion indépen­dante, nous avons pu sur­vivre avec le sou­tien de ses lec­tri­ces et lecteurs. Nous n’avons pas pris de pub­lic­ités, nous ne sommes pas entrés dans les milieux oppor­tunistes. Si nous avons pu faire une édi­tion opposante, nous l’avons pu le faire avec la force que nous avons tiré de vous. Ce sou­tien, que vous nous avez apporté jusqu’à main­tenant, est pour nous, déjà suff­isant. Mer­ci beau­coup… Que pou­vons-nous vous deman­der de plus ?

Nous ne don­nons le nom “Penguen” à per­son­ne, ni nous le ven­dons. Cette aven­ture se ter­mine, mais on se retrou­vera dans d’autres aven­tures. Peut être que tu le sais, nous avons une appli qui s’ap­pelle “Penguen App”. Nous con­tin­uerons à nous amuser dessus, nous t’in­vi­tons, toi aussi.

Cher lecteur, lec­trice, notre amiE, t’avions nous dit déjà com­bi­en nous t’ai­mons ? Nous t’ai­mons beau­coup. Mer­ci pour tout.

Pour nous soutenir, achète nos derniers numéros et télécharge notre appli gra­tu­ite, Penguen App, avec laque­lle tu peux con­tin­uer à nous suivre.

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Allez, finis­sons mal­gré tout, avec sourire. LeMan, parait cette semaine, avec une cou­verte “deux-en-un”. C’est un dou­ble clin d’œil, liant la fer­me­ture de Penguen, aux rumeurs qui souf­flent que “Çaykur”, mono­pole pub­lic de l’ex­ploita­tion du thé en Turquie, serait ven­du aux Qataris.

Sur la cou­ver­ture vide, une annonce, ren­con­trée sou­vent dans les rues des grandes villes turques, col­lée sur les fenêtre des apparte­ments vides…
“A ven­dre aux Qataris, mag­a­zine satirique, pro­pre et soigné. ”

Les mag­a­zines satiriques ont cha­cun son his­toire. Nous n’avons pas oublié com­ment après la paru­tion de son numéro « spé­cial coup d’état » les locaux de LeMan ont été attaqué, et la dis­tri­b­u­tion de ce numéro a été interdite.

Ersin Karab­u­lut, un des dessi­na­teurs par­le de Penguen dans le n° 504 d’Uykusuz, paru le 27 avril, et il annonce la fin de Hort­lak, un men­su­el satirique con­coc­té au sein d’Uykusuz, pour les mêmes motifs. “Pensez-vous vrai­ment que si Penguen part, Uykusuz peut sur­vivre ?” dit-il.

Le monde change très rapi­de­ment. Bien sur qu’il faut suiv­re. Mais je ne pense pas que pub­li­er le pdf d’un numéro entier sur Inter­net soit la bonne façon de suiv­re. C’est une péri­ode de tran­si­tion, mais pas une trans­for­ma­tions tech­nologique. Acheter les mag­a­zines est une ques­tion de goût. Même, sou­vent, une ques­tion de vision de monde. Dans nos vies, surtout dans des pays comme le nôtre, où les têtes sont con­fus­es, il y a des choses à préserv­er. Si nous ne com­prenons pas qu’elles doivent être pro­tégées et sur­vivre, ces choses devien­dront juste un regret partagé sur Twit­ter “Aaaah­hh nooon, je n’crois paas ! Tout ce qui est beau dis­parait un par un :(((((“, et après vous avoir apporté deux RT, ils dis­paraitront à leur tour dans l’espace.”

Ce sont des sit­u­a­tions socié­tales et leur con­séquences. Ce n’est pas seule­ment Inter­net etc… Peut être un jour quelques per­son­nes créeront d’in­croy­ables mag­a­zines et qu’ils se ven­dront super bien, et il y ‘en aura d’autres à naître. Ce serait bien. Je le dis avec sincérité. Mais, à ce jour, il nous reste encore de belles petites choses dans nos mains. Les mag­a­zines satiriques font par­tie de ces choses. C’est une tra­di­tion anci­enne qui nous appar­tient. Soutenez, même ceux qui ne vous plaisent pas trop, pour qu’ils obti­en­nent la chance ce s’amélior­er. Ils ne peu­vent pas sur­vivre autrement, et en mourant ils emporteront une part de nous même.”

Soutenez-les, achetez-les, lisez-les, offrez-les… Il ne faut pas qu’ils disparaissent.


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Le petit mag­a­zine qui ne se laisse pas caress­er dans le sens du poil.