Après que l’im­age du petit Aylan ait échoué sur les rives de notre tristesse, les morts con­tin­u­ent, vous le savez ? Non ?

Oui, on le sait toutes et tous. Je ne sais pas si on s’habitue et si on devient imper­méable, parce que nos pro­pres vies pren­nent le dessus ou encore, qu’à force de se sen­tir impuis­santEs, nos cœurs se trans­for­ment en pier­res et qu’on ne ressent plus rien… Je ne sais pas.

Et puis, tout à coup, il y a un nom, un vis­age, une his­toire, qui nous réveille de notre paralysie, fait un effet de choc, comme fut le cas pour l’im­age d’Ay­lan. Vous n’allez pas dire le con­traire, on le savait ce qui se pas­sait, avant que cette image vienne se graver dans la mémoire col­lec­tive des indignations.

C’est revenu. Depuis que j’ai lu cette nou­velle et vu sa pho­to, je n’ar­rive pas à sor­tir son vis­age de ma tête.

Barış Yazgı, 22 ans, vio­loniste, a péri dans la mer Egée, avec 15 réfugiés.” écrit le jour­nal, “Il ser­rait encore son vio­lon dans ses bras sans vie.”

Barış et Yazgı se traduisent en français comme “paix” et “des­tin”. Pour lui, le des­tin fut tracé par un fonc­tion­naire d’am­bas­sade… pour qu’il soit à son tour, vic­time des murs et bar­rières dressées… Le savent-ils, lorsqu’ils pren­nent une déci­sion de refus pour quelqu’un qui veut quit­ter la Turquie, que la mort rôde en mer Egée ?

Barış vivait dans le quarti­er Fatih, à Istan­bul, avec son frère Cen­giz, musi­cien lui aus­si. Il avait un autre grand frère qui habitait lui, en Bel­gique. Barış était allé chez lui récem­ment. Il y était resté sept mois, et une fois son visa épuisé, il était revenu en Turquie. Barış jouait dans le groupe Ensem­ble avec Caner Sırt­maç et il avait des pro­jets. “Il voulait retourn­er en Bel­gique, faire des études de musique et devenir un vir­tu­ose” dis­ent ses proches. “C’est tout ce qu’il voulait”. Il a demandé alors, à nou­veau, un visa. Ne pou­vant pas jus­ti­fi­er un tra­vail suff­isam­ment rémunéré et une assur­ance, sa demande a été refusée. 

Je com­prends qu’il veuille par­tir Barış. Quel avenir pou­vait-il espér­er ici, aujour­d’hui, en Turquie, pour un jeune musi­cien ? En plus, il jouait du clas­sique dans un pays où l’art, surtout con­sid­éré “occi­den­tal”, donc “mécréant”, est regardé de tra­vers de plus en plus. Et encore, je choi­sis mes mots… Que vouliez-vous qu’il fasse le gamin ? Il n’avait plus qu’un choix… Par­tir sur ce qu’on appelle ici trag­ique­ment, “la route de l’e­spoir”, et partager le des­tin des réfugiés.

Avant hier, la mer a englouti un nième bateau rem­pli de vies. Les équipes de sauve­tage ont repêché 16 corps au large, entre la pénin­sule Sivrice de Çanakkale et l’île grecque de Les­bos. C’est à la morgue de l’hôpi­tal Ayvacık que les vic­times ont pu être iden­ti­fiées. L’une d’en­tre elles, ser­rait tou­jours dans ses bras, un vio­lon dans son étui. 

Barış Yazgı né à Siirt, 22 ans, mort noyé.”, ont-ils du écrire sur la triste éti­quette de la morgue. Je m’en­fonce six pieds sous terre, en lisant que dans l’é­tui, il n’y avait pas que son vio­lon, auquel il tenait j’imag­ine, comme aux prunelles de ses yeux, mais aus­si des par­ti­tions man­u­scrites de ses compositions.

Barış a été enter­ré hier. Lors de ses funérailles, aux­quelles par­tic­i­paient sa famille et amiEs”, ajoute le jour­nal, “les ağıt que sa mère a chan­té bri­saient le coeur…”

Nous nous accro­chons cha­cunE à quelque chose. Pour Barış, c’é­tait la musique. Il s’est accroché à son vio­lon jusqu’à son dernier soupir.

 en complément : L’humanité appelle à l’aide par la fenêtre !

En févri­er 2017, Caner Sırt­maç au vio­lon, avec le groupe Ensem­ble. Ils jouent “Czardas” de Vit­to­rio Monti
Barış est à droite…


Traductions & rédaction par Kedistan. | Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Kedistan’ın tüm yayınlarını, yazar ve çevirmenlerin emeğine saygı göstererek, kaynak ve link vererek paylaşabilirisiniz. Teşekkürler.
Kerema xwe dema hun nivîsên Kedistanê parve dikin, ji bo rêzgirtina maf û keda nivîskar û wergêr, lînk û navê malperê wek çavkanî diyar bikin. Spas
Mamie Eyan on FacebookMamie Eyan on Twitter
Mamie Eyan
Chroniqueuse
Ten­dress­es, coups de gueule et révolte ! Bil­lets d’humeur…