Bon ben, on y est ! Et voilà le résultat du référendum. 51% oui à 49% non, quasiment. On doit en être mécontents ? En perdre le moral ?
On a passé des semaines à faire campagne. Enfin, disons que les défenseurs du OUI ont mis le paquet. Facile pour eux, dotés d’une armée de médias achetés, affiches géantes à je ne sais combien d’euros le m2, meetings aux budgets de peplum. Nos yeux et oreilles ont été remplis d’ignobles propos, désignant toutTEs celles et ceux qui refusent le rêve d’Erdogan, la présidentialisation, comme “terroristes” voire “traîtres à la Patrie”.
Pendant ce temps là, des hommes et des hommes distribuant des tracts pour le NON ont connu gardes-à-vue ou au mieux coups de poings ou matraque. Les chansons de campagne se sont faites interdire parce qu’en kurde. Des lanceurs d’alerte, auteurEs, journalistes, avocatEs, militantEs, universitaires, et la moitié des membres et soutiens du HDP, du chauffeur aux maires et députéEs, croupissent en prison.
La période de campagne à armes inégales est donc terminée. Nous étions 58 366 647 électeurs et électrices à pouvoir voter dans 167 140 urnes. Autour de 50 000 000 ont votés. Nous fûmes 49% à mettre le bulletin, dans des conditions plus ou moins acceptables, dans un pays sous état d’urgence et atmosphère tendue. Et voilà que nos votes ont été manipulés en plus.
Une partie du peuple et pas des moindres, surtout au Sud-Est du pays, a fait comme elle a pu. Leurs villes étant quand même un peu saccagées, il fallait par endroit, que les électeurs et électrices se déplacent, parfois fassent 50 km pour atteindre les urnes. Des cars ont été organisés alors, par manque de moyens, en piochant dans les cagnottes réservées normalement à l’aide aux familles mises à la rue dont la plupart ont vu leur membres jetés en prison ou tués. Bien que parmi eux, il y en a qui ne croient plus aux urnes pour les mêmes raisons que les libertaires dont je vais vous parler ci-dessous, ces gens là, sont allés voter quand même, malgré la présence intimidante, des chars et blindés, les mêmes qui ont rasé leur ville, ressortis pour l’occasion, pour faire peur… Et le Reis nous dit ce soir à la télé qu’ils ont moins voté contre lui et qu’il y a du progrès…
Sur tout le pays 251 788 policiers et 128 445 gendarmes ont été déployés, comme l’avait annoncé préalablement le ministre de l’intérieur Süleyman Soylu, et 17 000 employés de sécurité bénévoles ont pris du service. Les chats ont quand même trouvé le moyen d’entrer dans les transfos pour provoquer des coupures d’électricité encore une fois, pour empêcher les dépouillements…
Les votes sont comptés. Des bulletins venus d’on ne sait où aussi.
Les sondages qui disait OUI, qui disaient NON ont eu tort et raison. Un NON/OUI est sorti des urnes, avec à peine plus d’un million 300 000 d’avance pour le OUI.… Pour une fois, le Reis pourra dire que les bonnes nouvelles sont venues de l’étranger… Parce que nos compatriotes qui ne subissent rien de ce qui se passe ici continuent à nous enfoncer visiblement si on regarde les résultats… Bon, je garde le moral, car ma ville a dit NON majoritairement. Faudra quand même que je me méfie d’un passant sur deux.
Pendant toute la campagne et la période qui l’a précédée, en voyant l’opposition se déchirer je me posais des questions… Ces femmes et hommes, de diverses tendances qui se sont réuniEs autour du NON, ont des arguments tellement différents. Les unEs disent que le NON, n’est pas un simple non à un projet de changement constitutionnel, mais un non à toutes les politiques menées par Erdoğan et son AKP au pouvoir depuis des années, non aux violences faites aux femmes, non à ce qu’est devenu l’école et l’université, non au musellement de la presse, non à la polarisation de la population, non à la discrimination des minorités, ethniques, religieuses, femmes, LGBTI tous confondus… Avec les mêmes arguments, les Kurdes expriment que “leur NON, est un NON de 100 ans”. Les autres glissaient dans cette campagne de refus, avec des nuances et pas des moindres “Si le OUI d’Erdoğan emporte, il se mettra à nouveau à la table des négociations avec les Kurdes, donc disons NON.” Il y a même eu des appels à voter NON de dernière minute, de la part de “personnalités” qui n’avaient jamais ouvert la bouche pour dénoncer ce qui se passait à “l’autre bout” du pays.
Le questionnement qui me préoccupe le plus, c’est de voir toute cette masse qui se dynamise mais qui ne se focalise que sur le référendum. Un référendum sur le changement constitutionnel, c’est bien beau, son résultat est utile, pour prendre la tension, et mesurer comment Erdoğan est soutenu et suivi… Mais je me disais que quelque soit ce qui sort des urnes, Erdoğan ferait son possible, trouverait un subterfuge pour pousser le bouchon jusqu’au bout de son projet. Son porte parole n’annonçait-il pas clairement récemment, “Même si les Turcs rejetaient la réforme constitutionnelle lors du référendum du 16 avril, le projet ne sera pas abandonné”. Il n’aura pas besoin de le faire… Il vient de dire à la télé que la Nation turque était désormais la sienne.
Y en a qui parle de la triche. Mais qu’est-ce qu’ils croyaient ? Que l’AKP a une morale ? Dans la démocrature, c’est le chef qui a le pouvoir de d’inventer la réalité des chiffres. L’important, c’est de savoir à quoi on doit s’attendre, pas de pleurer sur la morale… On pleure assez comme ça. Le régime AKP ne tombera pas sur un cours de morale démocratique. Et il nous en prépare de bien pires.
Les libertaires, publiaient il y a environs un mois, un long texte qui allait dans le même sens que mes craintes et questionnements. Si je résume avec mes mots, ce communiqué disait “En principe, nous sommes contre le vote, les élections et référendum… Mais nous ne jugeons pas celles et ceux qui veulent voter NON. Par solidarité, nous les soutenons. Mais nous tenons à exprimer notre avis. Un changement doit être radical et cela ne peut être fait par les urnes. Le fait de se concentrer sur le vote, enlève toute possibilité de s’organiser véritablement. Selon nos constats, nous pensons que la chose la plus importante serait que la population s’organise dans l’idéal pour une révolution, et au point où le pays se trouve, pour faire face à une guerre civile. Par conséquent cette campagne est à nos yeux, une période trompeuse qui ne fait que retarder ce qui doit se passer”. En gros, méfions-nous, vous allez vous retrouver comme un poisson sorti de l’eau…
Et j’apprends aujourd’hui, pendant que les unEs votaient, et que les autres boudaient, que les groupes anarchistes ont fait plusieurs actions simultanées dans divers quartiers à Istanbul, accrochant des bannières avec des slogans “Retrouvez-vous les unEs et les autres, organisez-vous, luttez ensemble !” “Oui à la rébellion, non à l’Etat”, “L’Etat produit la guerre”, “Pas d’élection mais révolution. Pas d’Etat mais Commune” “Ne sois pas larbin des larbins. Tu n’as pas de représentantE autre que toi-même”. Et le texte communiqué à l’occasion, disait à peu près ce que j’ai dans la tête, mais je n’arrive pas à formuler avec ces mots : “Ne laissez pas éteindre votre désir de révolution dans dans urnes, ou sous l’ombre des milieux autoritaires et réformistes. Ne dépensez pas votre énergie en empruntant des raccourcis devenus des labyrinthes, canalisez le vers la lutte pour la liberté. Organisez-vous, coordonnez-vous, agissez.”
Ils n’ont pas tort les gars et les filles. Qu’ils/elles me pardonnent, tout en me posant ces questions, je suis allée voter quand même.
Et voilà, ce soir, nous avons donc la réponse. C’est OUI paraît-il.
Quand même… Je ne suis pas une fan de statistiques, mais quand je compte, je remarque que les pro-Erdoğan (AKP et consorts) ont perdu plusieurs millions de soutiens depuis les élections de novembre 2015. Les ultra-nationalistes dans le tas, n’ont pas suivi beaucoup le OUI sans doute… Ajouté à cela la fraude autorisée par la Commission électorale…
Tout le monde va faire la gueule avec le résultat d’aujourd’hui, sans voir qu’en fait, plus il cogne le Reis maintenant, plus il purge, moins il récolte vraiment… Et ça, c’est important pour demain, cette tendance qui s’inverse un peu. Lui le sait bien, qui crie pourtant victoire, mais on peut penser qu’il va taper encore plus fort, alors que les “démoralisés” des urnes ne verront même pas que leur nombre se renforce, pour résister demain, maintenant que ses pleins pouvoirs sont estampillés et que les gouvernements européens auront une raison de le féliciter.
C’est la démocratie non ?
Ben quoi, vous vous attendiez à du plus sérieux ? A chaud comme ça, ce serait pas raisonnable… Laisser moi recompter.
Attendons la suite…