Trois romans d’Ah­met Altan, “Kılıç Yarası Gibi” (Comme une blessure de sabre), paru en 1998, “İsyan Gün­lerinde Aşk” (L’amour au temps des révoltes), en 2001, et “Ölmek Kolay­dır Sevmek­ten” (Mourir est plus facile qu’aimer) en 2015, tien­nent une place impor­tante dans sa car­rière d’écrivain. L’au­teur est actuelle­ment en phase d’écri­t­ure, der­rière les murs de la prison de Silivri à Istan­bul, d’un qua­trième tome qui com­plètera cette série. Un “Osman­lı Kuar­teti” (Quar­tet ottoman) qui sera bien­tôt pub­lié en plusieurs langues…

San­dro Fer­ri, con­nu comme l’édi­teur de l’écrivaine Ele­na Fer­rante, dont les qua­tre tomes des Romans de Napoli ont bat­tu les records de vente dans le monde, a signé cette semaine un con­trat avec Ahmet Altan pour les droits du Quar­tet ottoman. Les œuvres paraitront aux Etats-Unis, en Angleterre et en Ital­ie, por­tant les éti­quettes d’Europa Edi­tions situées à New York pour la ver­sion en anglais, et, pour la ver­sion en ital­ien, Edi­zioni e/o situées à Rome, toutes les deux sous la direc­tion de San­dro Ferri.

Vous ne pouvez pas emprisonner les romans !

Accusé d’avoir soutenu la ten­ta­tive de coup d’E­tat du 15 juil­let 2016, parce qu’il aurait fait pass­er des mes­sages “sub­lim­inaux” dans les jours précé­dant la ten­ta­tive lors d’une émis­sion de télévi­sion, Ahmet Altan a été mis en garde-à-vue le 10 sep­tem­bre 2016, en même temps que son frère, Mehmet Altan. Après 12 jours de garde-à-vue, Ahmet a été libéré par le tri­bunal devant lequel il a com­paru, mais moins de 24 heures après sa libéra­tion, il a été arrêté à nou­veau, sur ordre du pro­cureur. Tous deux sont incarcérés.

Nous apprenons, aujour­d’hui même, que le réquisi­toire qui con­cerne 17 “sus­pects” dans l’en­quête inti­t­ulé “FETÖ — Organ­i­sa­tion ter­ror­iste Güleniste”, a été présen­té par Can Tun­cay, pro­cureur du bureau des “Crimes organ­isées et ter­ror­isme” du Bureau du Pro­cureur d’Is­tan­bul. Le Prési­dent de République Recep Tayyip Erdoğan, la prési­dence de l’Assem­blée Nationale et le gou­verne­ment actuel, font par­tie des plaig­nants. Sur les 17 accuséEs, six sont actuelle­ment en prison. Ahmet Altan en fait donc par­tie. Un des accusés com­para­itra en lib­erté pro­vi­soire, et 10 per­son­nes sont “en fuite”. Le réquisi­toire, qui s’é­tale sur 247 pages, demande pour 16 accuséEs la per­pé­tu­ité incom­press­ible, trois fois pour cha­cun… Ahmet Altan est con­cerné. Rap­pelons-le, la per­pé­tu­ité incom­press­ible, est le sub­sti­tut de la peine de mort, depuis son abo­li­tion en 2004 en Turquie.

Ahmet a donc signé le con­trat qui présen­tera ses livres au pub­lic inter­na­tion­al, alors qu’il est détenu dans la prison de Silivri, depuis le 23 sep­tem­bre 2016. Comme pour la qua­si total­ité des otages poli­tiques jetés dans les pris­ons de Turquie, les con­di­tions car­cérales y sont indignes. Notons aus­si, qu’une grève de la faim se pour­suit depuis plus de 50 jours, dans les pris­ons turques. En ce qui con­cerne Ahmet Altan, actuelle­ment, il ne peut avoir qu’une heure de vis­ite par semaine, et n’est pas autorisé à envoy­er ou recevoir du cour­ri­er. Il con­tin­ue d’écrire, mais il ne peut sor­tir ses écrits de la prison.

Ahmet AltanMal­gré les bar­reaux et les dif­fi­cultés, ses lec­tri­ces et lecteurs ont pu retrou­ver Ahmet, après son arresta­tion, avec Yabani Manolyalar” (Les mag­no­lias sauvages) paru chez Ever­est le 18 jan­vi­er 2017.

Son roman Son Oyun (Endgame) est paru en jan­vi­er dernier, égale­ment chez Edi­zioni e/o sous le titre de Scrit­tore e assas­si­no (L’écrivain et l’as­sas­sin). Suite aux cri­tiques très favor­ables de ce dernier roman en Ital­ie, la mai­son d’édi­tion a porté une propo­si­tion con­cer­nant les droits mon­di­aux du Quar­tet ottoman à la prison. Le con­trat con­cerne égale­ment les droits inter­na­tionaux pour le ciné­ma et la télévision.

Endgame est traduit vers l’anglais par Alexan­der Dawe. Il est paru déjà en 2015 et 2016, au Cana­da (chez Harp­er Collins), au Roy­aume-Uni (chez Canon­gate) et en Aus­tralie (chez Allen & Unwin). Aux Etats-Unis, il sera pub­lié par Europa Edi­tion et pren­dra place dans les rayons des libraires dès le 18 avril.

Ahmet, tou­jours en prison, otage poli­tique du régime, ne pour­ra pas accom­pa­g­n­er la paru­tion de son livre, être présent pour les sig­na­tures et ren­con­tres plan­i­fiées pour l’événe­ment, mais les “cri­tiques” pré-paru­tion, recueil­lies par sa mai­son d’édi­tion, sont com­mu­niquées à l’écrivain par l’in­ter­mé­di­aire de ses avocats.

Ahmet AltanVoici au hasard quelques extraits résumés, dans le style con­venu des 4èmes de cou­ver­ture, que l’on vous donne à lire pour exem­ples, et où il n’est pas fait état de son incarcération :

Kirkus Reviews • L’écrivain, en util­isant des per­son­nages et des tech­niques de nar­ra­tion admirables, crée une expéri­ence de lec­ture, une fic­tion hal­lu­ci­nante, dont l’at­mo­sphère rap­pelle à la fois L’é­tranger de Camus et Le par­rain de Mario Puzo.

Library jour­nal • Le pre­mier livre d’Al­tan pub­lié aux Etats-Unis est un roman dont le style est fort, créatif et déli­cieuse­ment noir. Il n’est pas éton­nant qu’Al­tan soit un auteur best-sell­er dans son pays, et qu’il soit récom­pen­sé par des prix… Dans Endgame, les prob­lèmes exis­ten­tiels et l’at­mo­sphère se mélan­gent d’une façon par­faite, avec une nar­ra­tion qui fonc­tionne, inven­tive et déli­cieuse­ment noire. Vive­ment recommandé.

Pub­lish­ers Week­ly • Une petite ville, en proie à des ten­sions dues à un vieux secret, est mise en ébul­li­tion… Pas­sant par des ques­tion­nements méta­physiques, des aller-retours entre les rela­tions pro­fondes que le nar­ra­teur, un écrivain incon­nu, con­stru­it avec les habi­tants du vil­lage, par­ti­c­ulière­ment avec Zuhal, Ahmet Altan crée une atmo­sphère à la fois forte et dis­tante. Cha­cun des fils sont savam­ment conçus et tra­vail­lés et se rejoignent à la fin, comme promis. Il est par­fois dif­fi­cile de pénétr­er les per­son­nages d’Al­tan, mais l’his­toire qu’il racon­te est fasci­nante, énig­ma­tique et inoubliable.

Dans le dernier tome du Quartet, le récit se situe en 1915

Ahmet Altan a pub­lié Kılıç Yarası Gibi, le pre­mier tome du Quar­tet ottoman, en 1998. Ce livre, qui a obtenu le prix du roman Yunus Nadi, racon­te l’his­toire d’Os­man, un homme qui, à tra­vers les objets et meubles de famille dans sa mai­son, se remé­more ses proches au début du XXème siè­cle à Istan­bul, à Paris, et à Thes­sa­lonique. Le héros dia­logue avec eux, avec “ses morts”. Et ce faisant, Ahmet Altan met en scène des per­son­nages inspirés du passé de sa pro­pre famille, tout en évo­quant des per­son­nes réelles, qui ont vécu au moment de l’ef­fon­drement de l’Em­pire ottoman.

Dans les “morts” d’Os­man, il y a les mem­bres d’une famille aisée, qui, sécu­lar­isés, vivent en inter­péné­tra­tion avec l’E­tat, ser­vant l’ar­mée ottomane comme officiers, ou le Palais comme greffiers. Cette famille est mise en rela­tion avec Şeyh Yusuf Efen­di, qui lui, reste à dis­tance de la poli­tique et du Palais, mais  garde une forte attache avec le Divin.

Dans les trois pre­miers tomes de la série, la trame du réc­it se situe au moment de la chute de l’Em­pire ottoman. Elle s’ap­puie sur des événe­ments con­crets et his­toriques : la péri­ode de la “Sec­onde ère con­sti­tu­tion­nelle ottomane” de 1908 à 1920,  l“Inci­dent du 31 mars”, (date du Cal­en­dri­er rumi, cor­re­spon­dant au 13 avril 1909), une rébel­lion des con­ser­va­teurs réac­tion­naires de Con­stan­tino­ple con­tre la restau­ra­tion de la Con­sti­tu­tion de l’Em­pire ottoman de 1876, mise en place par le biais de la Révo­lu­tion des Jeune-Turcs. Le réc­it tra­verse aus­si “la chute d’Ab­dül­hamit”, sul­tan de l’Em­pire ottoman et cal­ife des musul­mans, du 31 août 1876 jusqu’à sa des­ti­tu­tion par les Jeunes-Turcs le 27 avril 1909, lors de  “la défaite dans guer­res des Balka­ns”… Il est donc pos­si­ble de décrypter ce que sera la struc­ture idéologique de la République fondée ultérieurement.

Dans le dernier tome, en cours d’écri­t­ure et dont le titre n’a pas encore été divul­gué, Ahmet Altan se focalise sur la péri­ode de 1915, et se penche une nou­velle fois sur les Batailles des Dar­d­anelles et le Géno­cide arménien. Les thèmes sont abor­dés par l’en­trem­ise des per­son­nages avec lesquels les lecteurs et lec­tri­ces d’Ah­met Altan ont déjà fait con­nais­sance dans ses romans précédents.

Plusieurs remarques et une conclusion sont nécessaires cependant…

Si Ahmet Altan s’im­pose comme un écrivain et con­va­inc aujour­d’hui des édi­teurs à entre­pren­dre plus large­ment sa tra­duc­tion et/ou sa dif­fu­sion, ses déjà lec­tri­ces et lecteurs ne pour­ront que s’en réjouir. Mais, les mêmes n’ac­cepteraient pas que celles et ceux qui, juste­ment, trou­vent des qual­ités à ses oeu­vres, restent par ailleurs les bras croisés devant le sort “d’in­jus­tice” qui est le sien.

Ahmet Altan, et son frère, ont un par­cours judi­ci­aire qui recoupe tous les grands refoulés his­toriques de la Turquie, tous les “com­plots” de pou­voir, toutes les divi­sions dans la mosaïque des peu­ples de Turquie, imposées par la turcité. Son par­cours “per­son­nel” comme jour­nal­iste n’a jamais var­ié, quel que soit l’or­gane de presse où il a tra­vail­lé. Et c’est sans doute ce qui lui a valu des inim­i­tiés mul­ti­ples, et a tou­jours attiré les foudres des pou­voirs suc­ces­sifs. Il serait donc incom­préhen­si­ble de sépar­er son écri­t­ure et l’homme en deux. Sign­er sim­ple­ment des “con­trats” sans se souci­er du sort poli­tique qui est le sien dans l’u­nivers car­céral turc relèverait du “busi­ness”, et les lec­tri­ces et lecteurs espèrent avec force retrou­ver San­dro Fer­ri, ain­si que les autres édi­teurs d’Ah­met, à leurs côtés dans une cam­pagne indis­pens­able pour exiger sa libération.

Il y a là, le même enjeu que celui qui a présidé à l’ex­i­gence de libéra­tion de l’écrivaine Aslı Erdoğan.

Kedis­tan n’a donc pas fini de vous par­ler d’Ah­met Altan. Nous espérons en cela retrou­ver toutes les con­sciences, tous les sup­ports médias, tous les lieux cul­turels et les libraires, qui depuis l’an­née 2016, se sont mobil­isées pour Aslı Erdoğan, et davan­tage encore.

Free Ahmet Altan !…

Survolez aussi le Dossier spécial Ahmet Altan 
Librement inspiré des articles du T24/K24 et de Bianet

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