C’est toujours agréable de prendre la route à la saison de tous les réveils, où les arbres s’enguirlandent de bourgeons, les près se pointillent de fleurs, et les agneaux goûtent à l’herbe fraîche. Une saison propice à sortir des grisailles et laisser s’épanouir les désirs d’un nouveau monde, retrouver des forces pour les luttes. Le soleil aidant…
Ce 8 avril, on se met donc sur la route, la voiture mangeant le bitume face au soleil d’un printemps matinal qui pique les yeux. Destination Tarnac. C’était dans l’agenda.
Au fait, juste un aparté pour dire pourquoi les kedi, alors qu’ils refusent 9 invitations sur 10, ont accepté, un week-end d’avril, de faire 5 heures de route pour participer à une journée “Kurdistan/Turquie”, à Tarnac.
Tarnac, et son “magasin général”, est un village qui comme beaucoup d’autres crevait de sa ruralité au début des années 2000, et est soudain devenu un repaire “d’ennemis de l’intérieur”, par le miracle de l’anti-terrorisme et d’une ministre de l’Intérieur en besoin de notoriété, autour de 2008… On ne développera pas sur “l’affaire”, tant elle est ubuesque. Mais on vous invite quand même fortement à revenir ouvrir ce lien “tiroir” vers une archive made in Kedistan. Alors, les kedi auraient-ils cédé au voyeurisme ? Ou avaient-ils besoin d’enrichir et de diversifier les écoutes ? Les leurs et celles des “services”, cela va de soit.
Tarnac, son “collectif” qui lient pratiques politiques, pratiques concrètes, pour construire un peu dans le réel ce que pourraient signifier ces mots lus ailleurs “La commune, c’est ce qui se passe quand des êtres se trouvent, s’entendent et décident de cheminer ensemble”… Alors, les kedi auraient-ils voulu prendre, le temps d’une rencontre Kurdistan, d’un concert et d’un repas turco-kurde, une bouffée d’air ? Il y a de ça. Se ressourcer, comme dit le “Président” de l’association “Les amis du Kedistan”, quand il va séjourner un temps sur la ZAD de Notre Dame des Landes.
Et parcourir les lieux collectifs autour de la ferme du plateau sous un soleil d’avril, avec Benjamin et d’autres amiEs, y voir en construction ce qui a de très loin déjà dépassé le stade de “projets”, a apporté de quoi crédibiliser un combat pour le “communalisme”, contenu dans le processus politique en cours au Rojava, dont nous avons discuté lors du débat. Alors, on comprend mieux ce qui a présidé à cette “conférence-repas-concert”, et le cycle d’auto-information dont elle a fait partie.
Après avoir arpenté quelques nationales à paysages multiples, on échange un bout de Limousin contre un bout de Corrèze. La route serpente entre les collines arborées, toutes en rondeurs, parsemées de pâturages d’un vert vivifiant. On s’amuse à compter les vaches, on apprendra plus tard qu’elles n’ont rien à voir avec l’appellation “Plateau de mille vaches”. Le nom viendrait selon différentes théorie étymologiques de “lieu élevé et vide”, du gaulois melo, signifiant ” lieu élevé, montagne” et de l’adjectif latin vacua, “vide, abandonnée”. Ou encore, dans l’ancien français : mi “au milieu”, le (article), vaque “lieu inhabité”… Sans oublier l’étymologie du terme local vacca “source”… on serait peut être sur le plateau des mille sources…
“Mais c’est incroyable ! Mes paysages imaginaires dessinés existent vraiment !”
Naz
Terminus, Tarnac !
Un accueil on ne peut plus chaleureux… Nous comprenons rapidement que c’est un lieu de passage et de réalisation de projets collectifs, comme à la ZAD de Nddl. L’accueil ne pourrait pas être autre. Nous sommes heureux de voir des amiEs, rencontréEs à distance, en chair et en os, retrouver d’autres, croiséEs pour diverses occasions, et pouvoir les serrer à nouveau dans nos bras.
Les membres du groupe Aman Aman sont déjà là. Nous l’avions écouté sur Internet, ils seront ce soir, sur scène avec Sex, Drugs & Rebetiko. Annouck du groupe Aman Aman est accompagnée de Noémi, toutes les deux réalisatrices du film documentaire “Une autre montagne” qui vient de sortir. Et, surprise ! Deux des trois personnages du film, Sinem et Ergül sont aussi venues… Embrassades, presqu’aux larmes…
Nous rencontrons aussi Zeki, Leyla et leur fille. Nous avions lu une interview de Zeki, militant kurde, sur Lundi Matin
Il y a aussi des camarades venues de Barcelone, un groupe de filles dont Alex, qui a récemment fait un séjour au Rojava et Bakur, et qui partageront avec nous expériences et témoignages.
Salle comble
La salle est pleine pour le débat… On dira environ… 200 personnes.
Benjamin est là pour présenter ce premier acte d’une série.
Le but recherché est simple, et quelque part est le même que celui qui présida à l’existence de Kedistan, bien que le magazine se consacre à la Turquie et la Mésopotamie. Il s’agit de montrer, en s’informant et en se formant par les échanges et le débat, que chacun des “processus” en germe, en cours, voire s’étant parfois éloignés sur d’autres trajectoires, qui dans les faits sont une “insurrection” contre l’ordre capitaliste mondial et une réponse à sa prédation écologique et sociale, entrent tous en résonance et nous intéressent autant qu’ils peuvent nous offrir des utopies créatrices à mettre en musique… Enfin, il l’a dit avec des mots plus simples, et il a présenté les centres d’intérêt des futurs débats… Mais nos oreilles de kedi ont mal enregistré, tant nous étions concentrés sur notre intervention d’après. D’autres rencontres pour se saisir ensemble, depuis ici, du chaos du “monde tel qu’il est” sont d’ores et déjà en préparation pour les mois qui viennent, sur la révolution syrienne, sur la révolution et la guerre en Ukraine, sur la résistance indigène au Mexique, sur les soulèvements au Nord-Soudan, pour ne citer que les premières… le programme complet du cycle sera disponible très bientôt.
Nous sommes donc intervenus longuement, (trop longuement), en cherchant à donner une cohérence et fournir quelque analyse, à propos des 15 dernières années qui virent Erdoğan accéder aux différentes marches du pouvoir en Turquie, jusqu’à ce référendum prochain du 16 avril.
Très vaste panorama ; tentatives pour répondre au manque d’informations des unEs, aux questionnements des autres, aux lieux communs peut être de certainEs. Entre le rôle joué par les négociations d’adhésion à l’UE, l’instrumentalisation ensuite des “retournements européens”, la place et la genèse des “protestations” de la période Gezi, l’embellie du “processus de négociations” avec le mouvement kurde durant la trêve, la recherche permanente de bouter le pouvoir de l’armée hors de la constitution, il y avait largement matière à impasses pourtant, tant ces quinze années sont encore sujets d’analyses. Enfin, décrire la marche de la démocrature vers une forme de totalitarisme bigot et nationaliste… Et s’attarder très longuement sur les années 2015/2016, pour en dénoncer les massacres, les replacer dans une sorte de campagne électorale du crime, en détailler les conséquences politiques, était tout autant indispensable. Et, pour bien faire savoir ce contre quoi ce totalitarisme commet ses exactions, examiner les propositions de futur vivable faites par l’opposition démocratique, mises en pratique dans les régions à majorité kurde, permettait de faire la liaison avec l’intervention qui suivait, des camarades espagnoles… Cinquante articles de Kedistan ré-écrits en une heure, sans oublier quelques projections “parlantes”.
Alex et ses amies, dans le peu de temps qu’on leur a laissé ensuite, (encore mille excuses…) développèrent sur leur parcours au Bakur (Kurdistan de Turquie) et au Rojava (Kurdistan Nord Syrie, aujourd’hui Confédération Nord Syrie). Elles insistèrent bien sûr sur le projet communaliste, la place prépondérante qu’y occupent les femmes, tout en mettant en lumière leur place et leur rôle dans le fonctionnement de la société civile, des coopératives, tout autant que leur “excellence” dans leurs engagements non mixte (dixit Alex). Les libertaires catalanEs sont particulièrement sensibles aux propositions et expériences du Confédéralisme démocratique, et de ce fait d’autant plus critiques qu’elles soutiennent cette démarche. Nous vous renvoyons là à la même démarche critique du livre de Pierre Bance, jinéologie en sus…
Chacun s’est accordé sur le fait que deux heures et demie ne suffisaient pas. Et nous fûmes même confortés en entendant le public présent exprimer “cela aurait pu durer encore davantage, sans problème…”
Un changement de disposition plus tard, et plus de 100 personnes, parmi celles restées ou de nouveaux arrivantEs, dégustent la cuisine kurde. Excellent menu, concocté collectivement sous l’oeil attentif de Leyla. Un autre moment de partage et d’apprentissage… Ce n’est pas pour rien que nous avons croisé en arrivant, femmes et hommes avec la farine sur les mains, visages et cheveux. Excellent le “imam bayıldı” (en français : “imam s’est évanoui”, entendez, “de plaisir”). A tomber, le pilav aux vermicelles, dont notre auteure préférée Mamie Eyan révélait la recette et les secrets dans une chronique récente… Et le baklava maison était mortel. Et même si notre repas fut un peu écourté par des échanges demandés par la radio locale du Plateau, Radio Vassivière, nous avons encore là, pu faire des rencontres.
Puis, place à la musique. Les deux concerts ont été aussi des régals.
A très bientôt…
Oui, voilà, tout simplement, les kedi sont allés à Tarnac parce qu’ils y ont vu de la lumière. Et celles et ceux qui, autour de la table, étaient parfois aussi venuEs de loin, porteusEs de lumière elles et eux aussi, tout autant que d’images et de musique, ont rechargé nos “piles” pour un temps, au sortir de l’hiver… Retrouver après ça, la tâche d’éclairer la nuit de Turquie en sera d’autant facilitée.
C’est sûr, bien trop court pour “connaître”, mais assez long pour avoir envie d’y revenir.
Mais chuuuut, on nous écoute et on nous lit.
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