Une semaine avant le référendum, selon la constitution, nous sommes entrés dans la trêve électorale. C’est à dire que plus personne n’a droit de faire campagne pour un OUI ou pour un NON, sauf le Président de la République “neutre”, comme chacun sait, pour son OUI… Le YSK, “Conseil Suprême des Elections” surveille l’interdiction et veille au grain… Paraît-il. On est en “démocratie” ou on ne l’est pas, quand même ! Faut respecter les formes…
Selon la loi, le Premier ministre, les ministres et députés, ne sont plus autorisés à partir du 9 avril, à utiliser les moyens de l’Etat pour la propagande, notamment les véhicules officiels (bien que contourné en remplaçant les plaques d’immatriculation des véhicules officiels, par des plaques civiles…) Durant cette semaine, les cérémonies protocolaires, d’accueil ou de départ, d’inauguration etc… qui sont souvent transformées en meeting de propagande, seront toutes suspendus. Les fonctionnaires n’ont plus le droit de participer aux meetings et cérémonies. Mais la plus grande partie de ces interdictions ne concernent pas le Président de République, qui est en principe, neutre. Comment croire une seconde que le “Reis” obéira à la constitution, alors que c’est son pouvoir absolu qui se joue…
Hier, dimanche, était donc le dernier jour de campagne, un temps fort, comme on dit. De grands meetings se sont donc tenus dans plusieurs villes.
A Istanbul, le meeting de l’AKP à Yenikapı, a réuni les pro OUI ce 8 avril. Comme ils sont dingues de tout ce qui est démesuré et peut grandir la figure du chef, c’est devant une scène géante de 16 mètres de large, 95 mètres de hauteur et pesant 600 tonnes, que les bras se sont levés. Il y a eu le défilé de propos habituels, devant la foule, répondant par le signe “Rabia” (quatre doigts représentant les quatre piliers de l’islam) et aussi le loup des ultra-nationalistes.
Le HDP, lui, a fait son meeting pour le NON le même jour, à Kadıköy, sur la rive asiatique d’Istanbul, un des quartiers bastions du CHP (le parti social libéral issu du kémalisme). Couleurs, drapeaux, chansons, NON, NON et NON…
Maintenant nous allons attendre…
Et voir bientôt, comment cela va se dérouler en pratique un référendum sous état d’urgence. Comment cela va se traduire, dans cette ambiance tendue à mort, avec des centaines de milliers de personnes opposantes licenciées, des milliers en prison, y compris 150 journalistes, auteurEs, avocatEs, universitaires, et… politiques, particulièrement les femmes et hommes du HDP, une douzaine de députéEs dont les coprésidentEs du parti, des responsables, en totalité environ 5000 membres de tous niveaux.
Lors de la campagne, nous avons entendu plein de chansons pour le NON, dont celle du HDP “Bejîn Na”, qui a été vite interdite, parce qu’en kurde… Nous avons vu des personnes distribuant des tracts arrêtéEs, ou agresséEs, au choix… Pour le NON, souvent, la trêve électorale avait de l’avance, dans ses interdictions.
Dans les derniers jours, des appels pour le NON se sont pourtant multipliés avant la clôture. Des appels de différents groupes, corporatifs ou militants, de femmes, d’universitaires, de politiques, d’ intellectuelLEs, de personnalités, d’organisations, syndicats, qui se sont rejoints pour le NON. On a même entendu, enfin, la voix de ceux et celles qui étaient restés relativement silencieux, et qui ont fini par inviter à minima à ne pas s’abstenir et à voter… C’est déjà ça et mieux que rien.
Quelques voix se sont aussi levées, venant de l’AKP même, pour annoncer publiquement leur refus du projet de “présidentialisation” d’Erdoğan et expliquer leurs motivations. Le fait qu’à l’intérieur de l’AKP tout le monde n’était pas d’accord pour le sacre du “Reis”, était déjà un secret de polichinelle. Plusieurs députés avouaient discrètement et sous anonymat avoir levé la main pour le OUI par crainte, mais que le cœur et la raison n’y étaient pas.
Le ministre d’intérieur Süleyman Soylu a déclaré que, parallèlement aux 251 788 policiers et 128 445 gendarmes qui seront déployés le jour du référendum le 16 avril, 17 000 employés de sécurité bénévoles seront de service. C’est certainement pour éviter que les chats n’entrent sournoisement dans les transfos pour provoquer des coupures d’électricité encore une fois, lors des dépouillements.
Le ministre a annoncé aussi, que ce jour-là, tous les lieux de loisirs seront fermés et que dans les restaurants la vente d’alcool ne serait pas autorisée. 140 urnes seront disposées et 55 millions 319 mille 222 électrices et électeurs auront la possibilité de dire OUI, NON ou merde…
Je me demande maintenant, comment se déroulera un référendum sous état d’urgence, dans les villes kurdes saignées, détruites, rasées et vidées de leur âmes telles que Nusaybin, Cizre, Silopi, Sur, Yüksekova, Şırnak, Silvan parmi d’autres… Ou encore dans des municipalités dont les mairies ont confisquées à leurs éluEs par le peuple… Dans des quartiers où il n’y a plus de maison, où seront disposées les urnes ? Avec quelle “liberté” et avec quelle confiance, énergie et motivation les populations dont on a cassé les toits sur la tête et et qu’on a forcé à l’exode ou condamné aux tentes, iront-elles voter ?
A mon âge mes pieds ne me portent plus très loin, mais partout où je passe, les murs immenses sont occupés par le “Reis”, dont le portrait orné d’un énorme “EVET” (oui), me regarde. Ces éléments de campagne géants du Président de République “neutre”, omniprésent et omniscient, seront-ils retirés maintenant qu’on est dans l’interdiction ? Les télés, “voix de son maître” arrêteront-elles de se dépêcher d’établir des “directs” même quand il commence à parler dans son sommeil ? J’ai des doutes…
» Images extraites de “Turquie : Un goût de dictature”, un excellent reportage réalisé par Elvire Berhaya-Lazarus et Mathieu Cellard pour ‘Sept à Huit’ émis le dimanche 8 avril.
Par contre les affiches pour le NON, sont enlevées. Par exemple celle-ci… Le 14 avril, la police fait enlever un grand calicot pour le “non” qui avait été apposé devant le siège du CHP à Çankaya (Ankara).
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A l’étranger, les urnes sont closes. 1 million 241 mille ressortissants turcs ont utilisé leur droit de vote, parfois dans des conditions questionnantes, passant par des urnes disposées dans des locaux d’associations religieuses ou mosquées, prétextant l’exiguïté des locaux des consulats, allant jusqu’à des heurts où des couteaux haineux parlent plus facilement que les bulletins, comme à Bruxelles, où un couteau est allé trancher la gorge de Sultan Uğraş, et blesser gravement cette femme kurde de 66 ans, une battante, connue et appréciée dans la communauté kurde, sous son surnom “Dayîka” (maman) Sultan…
Et pour clore la période de campagne, une dernière étincelle de campagne a jailli à Saint-Herblain (Nantes, en France) hier soir. Un “incendie criminel”, selon la police française, a consumé le Centre culturel kurde.
Alors, d’ici le 16 avril, on peut encore avoir quelques surprises durant la trêve électorale, et le matin du 17, se réveiller avec dans la bouche, un goût de cendres…