L’İHD (İns­an Hak­ları Derneği, Asso­ci­a­tion des Droits de l’Homme) est l’une des rares asso­ci­a­tions de la société civile turque à ne pas avoir été con­trainte à fer­mer ses portes par le régime, en Turquie. Puisque la recon­nais­sance inter­na­tionale de l’İHD, fondée en 1986, n’a pas per­mis au gou­verne­ment de la réduire au silence, celui-ci s’attaque à son fonc­tion­nement quo­ti­di­en et à ses membres.

Comme tout autre rassem­ble­ment, les man­i­fes­ta­tions qu’elle avait pour habi­tude d’organiser sont inter­dites et ses réu­nions sont placées sous étroite sur­veil­lance poli­cière. Il y a un mois, le prési­dent de l’antenne de Diyarbakır (et vice-prési­dent de l’İHD en Turquie) Raci Bili­ci a été détenu durant semaine et son domi­cile perqui­si­tion­né. Sa mise en exa­m­en sous con­trôle judi­ci­aire a été décidée au regard des rela­tions entretenues depuis 2011 avec d’autres organ­i­sa­tions civiles de Diyarbakır. Le prési­dent de la sec­tion de Mersin est actuelle­ment empris­on­né et les mem­bres de la sec­tion de Van com­pi­lent quant à eux pas moins de 14 pour­suites judiciaires.

İHD

Murat Melet, İHD Van

Défenseurs des droits de l’homme attaqués

Murat Melet, prési­dent de l’İHD de Van a récem­ment été placé en garde à vue à sa descente d’avion à l’aéroport d’Ankara : « le juge m’a demandé pourquoi nous étions si cri­tiques à l’égard du gou­verne­ment. On nous reproche nos rela­tions, notam­ment poli­tiques, alors que nous sommes prêts à tra­vailler avec tout le monde. D’ailleurs, l’Etat n’hésite pas à faire appel à nous pour servir d’intermédiaire avec la guéril­la pour négoci­er avec elle la libéra­tion de policiers ou mil­i­taires qu’elle détient. » L’organisation non-gou­verne­men­tale se veut sans liens poli­tiques, seule­ment intéressée par la défense des droits humains partout où ils sont bafoués. Comme le pou­voir n’a pas le peu de con­science qui lui reste tran­quille, il per­siste à voir d’un œil négatif l’İHD dont les rap­ports jet­tent un voile noir sur la poli­tique intérieure répres­sive de la Turquie. « Dans la plu­part des pays au monde, nos activ­ités en tant que défenseurs des Droits de l’Homme sont pro­tégées. Ici c’est le con­traire et dans le con­texte actuel, il est de plus en plus dif­fi­cile de men­er à bien nos mis­sions, regrette le soci­o­logue de for­ma­tion. La con­ven­tion sur les DDH à pour­tant était signée par la Turquie mais force est de con­stater qu’elle est plus forte pour la rat­i­fi­er que pour la met­tre en œuvre. »

« La Turquie est en train de devenir une deux­ième Syrie »

Les vio­la­tions aux droits inal­ién­ables de chaque femme et homme se sont envolées dans la province de Van l’an passé pour attein­dre le chiffre dra­ma­tique de 10 100. Murat Melet évoque le cas d’une femme d’Erciş, « sus­pec­tée d’avoir hébergé des com­bat­tants de la guéril­la. Pen­dant la nuit, sa mai­son a été incendiée et elle a été brûlée vive. Le gou­verne­ment a accusé le PKK, mais notre enquête nous a indiqué le con­traire… A Van, une autre femme a été dénon­cée pour son appar­te­nance sup­posée au PKK. La police a encer­clé sa mai­son et a don­né l’assaut. Blessée, elle est morte à l’hôpital. Elle était enceinte… Ces cas sont emblé­ma­tiques de la ving­taine d’assassinats de femmes com­mis dans la province de Van en 2016. Même s’il y avait des com­bat­tantes par­mi ces femmes, cela ne jus­ti­fie pas de tels actes. On assiste à chaque fois au même mode opéra­toire de la part des forces de l’ordre : encer­clement total de la zone où se trou­ve la per­son­ne sus­pec­tée, absence de négo­ci­a­tion, assaut et exé­cu­tion de la per­son­ne. » A Van, l’İHD avoue ne même plus s’attarder sur les gardes à vues et déten­tions arbi­traires, débor­dée comme ailleurs en Turquie par la charge de tra­vail. Ses mem­bres vivent avec la peur et les pres­sions, se réfugient dans l’humour noir : « c’est peut-être notre dernière ren­con­tre, notre dernier repas ensem­ble, alors prof­i­tons ! » est dev­enue une blague trop courante. L’espoir de lende­mains meilleurs est au plus bas et c’est le pire qui est entre­vu chaque jour. « La Turquie est en train de devenir une deux­ième Syrie. La police, les armes sont partout et le pou­voir cen­tral, omniprésent. »

İHD

İHD Van

La paix n’est pas pour demain

A Diyarbakır, le secré­taire de l’İHD Abdülse­lam İnceören est inca­pable d’enluminer ce tableau bien som­bre. « J’ai con­nu les années 70, 80, 90 ; je n’ai jamais vu une telle répres­sion. C’est une com­bi­nai­son de men­aces, de limo­geages, de déten­tions mas­sives, de mis­es sous tutelle, de destruc­tions et de mas­sacres. Il n’y a plus d’Etat de droit, plus de sépa­ra­tion des pou­voirs » déplore-t-il. L’oppression paraît sans fin, ni dans le temps ni dans sa bru­tal­ité ou sa diversité.

Lors des enquêtes menées tant bien que mal par l’İHD, de nom­breuses pop­u­la­tions affir­ment avoir vu des hommes armés qui ne sem­blaient pas turc, qui ne par­laient pas turc. D’où vien­nent-ils ? Nul ne le sait. Tou­jours est-il que les zones d’interventions mil­i­taires se mul­ti­plient et s’élargissent à tra­vers le Kur­dis­tan ; « nous n’avons jamais vu un tel déploiement de la police et de l’armée dans nos villes et nos cam­pagnes » sou­tient mon­sieur İnceören. « Quand on voit que le min­istre de la Jus­tice déclare vis­er l’an­ni­hi­la­tion du mou­ve­ment kurde et que tout “com­plice” ou sou­tien de ce mou­ve­ment sera élim­iné, on ne voit pas les signes d’une amélio­ra­tion, au con­traire. On a l’impression qu’une guerre à grande échelle se pré­pare. » Selon lui, l’issue du référen­dum ne chang­era rien à un proces­sus déjà bien engagé. Cet homme, à la soix­an­taine d’années, a con­nu les putschs et dic­tatures mil­i­taires, les dis­pari­tions et assas­si­nats poli­tiques. Il a l’expérience des com­bats passés à défendre les lib­ertés et droits uni­versels, et voir cet homme de paix par­ler avec résig­na­tion d’une guerre qui se pro­file à l’horizon laisse sans voix.

Le mutisme européen

L’Europe aus­si reste sans voix et se con­tente d’un mur­mure d’indignation bien tardif.

Un silence cynique qui n’a pas fini de décevoir tous ceux en Turquie qui croit encore un peu en elle. De nom­breux regards por­tent vers l’ouest, con­scients que le poids des marchés et des réfugiés pèse bien plus que celui des grandes idées.

Dans le passé, l’UE accor­dait plus d’importance aux droits de l’homme, il y avait de la mobil­i­sa­tion autour de cela » con­state le secré­taire de l’İHD à Diyarbakır. “Désor­mais, le droit économique est supérieur au droit humain, il y a une indif­férence de l’Europe face à l’intolérable. Mal­gré toutes les très graves vio­la­tions de ces dernières années, elle n’a rien fait. Mais, de par son his­toire et sa cul­ture, nous avons tou­jours cette attente vis-à-vis d’elle”.

L’Europe aurait pour­tant tout intérêt à soutenir avec plus de vigueur les démoc­rates et défenseurs des droits de l’homme en Turquie.

Inca­pable d’une poli­tique com­mune, en proie à ses pro­pres doutes pop­ulistes, elle risque de voir sa léthargie lui coûter chère. Bien­tôt, ce ne sera pas seule­ment des mil­lions de réfugiés qu’elle aura devant sa porte, mais un Etat autori­taire, religieux et belliqueux, à la pour­suite de son glo­rieux passé et prêt à tout pour y par­venir. Le pou­voir turc par­le ouverte­ment de clash des reli­gions, des civil­i­sa­tions prenant ain­si en otage toute sa pop­u­la­tion… Les risques d’un con­flit intérieur à la Turquie sont bien réels et s’il devait avoir lieu, il ne man­querait pas de débor­der en Europe avec les mil­lions d’expatriés turcs vivant sur son sol. Il serait irre­spon­s­able de laiss­er som­br­er dans l’obscurantisme la Turquie, car­refour naturel du monde et des civilisations.

La paix, le dia­logue et le respect des droits de l’homme ne sont jamais acquis où que ce soit dans le monde. Il est du devoir européen de soutenir ceux qui se bat­tent au quo­ti­di­en pour les sauve­g­arder. L’Europe n’a pas le droit de les abandonner.


Rédaction par Kedistan. | Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Kedistan’ın tüm yayınlarını, yazar ve çevirmenlerin emeğine saygı göstererek, kaynak ve link vererek paylaşabilirisiniz. Teşekkürler.
Kerema xwe dema hun nivîsên Kedistanê parve dikin, ji bo rêzgirtina maf û keda nivîskar û wergêr, lînk û navê malperê wek çavkanî diyar bikin. Spas