Alors que le tandem laïcité-voile, ce dernier étant supposé incarner la tyrannie religieuse absolue, est remis au goût du jour dans les débats mous de la période électorale, un essai passionnant fait le point sur toutes ces controverses en les mettant dans un contexte historique social et politique
De la burqa afghane à la hijabista mondialisée, de Carol Mann, qui paraît ces jours-ci chez l’Harmattan, commence par une véritable histoire sociologique de cet élément de costume qui se porte sur sa forme plissée et grillagée. Ayant fait son doctorat à l’EHESS sur les femmes afghanes, Carol Mann a eu le temps de faire des recherches approfondies avec des résultats d’ailleurs surprenants.
Le fond du problème pour l’auteure est l’analyse du processus qui a transformé la burqa afghane de casus belli pour les Américains, après la destruction des tours jumelles à New York en 2001 (le fameux naïneélévèn) en emblème de liberté quinze ans plus tard par les mêmes supposés défenseur.e.s des droits humains, dont la LDH et Amnesty, qui précédemment y avaient vu le symbole absolu de l’asservissement des femmes.
Le voile demeure un vaste sujet de débats, crispations et controverses en France particulièrement. Une confusion totale règne concernant la terminologie — le niqab, le hijab, le foulard, le jilbab, on fait à peine la différence : ça couvre la tête, c’est musulman et hop ! bonjour les terroristes. Et pourtant, on confond tout : d’un côté, il y a des variantes du foulard, dont le hijab, qui ne couvrent, tout au plus, que le crâne et non pas le visage et le cou, et surtout son contraire, le voile intégral, qui comme son nom l’indique, enveloppe la tête et le corps entier, invisibilisant la personne en dessous, devenue anonyme. Si ce costume (le niqab, la burqa) est obligatoire en Arabie Saoudite par exemple, il ne l’est pas ailleurs, et d’ailleurs interdit en France, aux Pays-Bas en Belgique et même en Tchétchénie et au Maroc, pourtant musulmans.
Et pourtant, ces quelques centimètres carrés de tissus ne sont pas forcément symbole de répression, comme l’essor de la mode musulmane des jeunes dans les pays anglo-saxons aussi bien que les pays musulmans de l’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et une partie de l’Extrême-Orient le démontre. La figure de la hijabista a émergé, autrement dit la jeune femme généralement de classe moyenne, qui a décidé de vivre sur son corps sa foi musulmane de façon moderne et branchée selon des référents de la mode, surtout dans les pays où le port du voile n’est pas obligatoire.
Carol Mann a enquêté dans de nombreux pays du Moyen-Orient (y compris le Rojava et le KRG) pour analyser les différentes modes : le contraste entre la Turquie, où le foulard n’est pas (encore) obligatoire et l’Iran, où l’obligation produit les détournements les plus exorbitants, est très intéressant. De même que les différences entre le foulard sunnite et shia sur les trottoirs de Beyrouth, peu faciles à décoder démontrent une politisation inattendue de l’apparence. Ce look, foulard, tuniques, le tout empreint d’une modestie souvent paradoxale tant elle est ostentatoire, accompagnée de maquillage toujours appuyé, génère toute une industrie extrêmement rentable.
Et pourtant, en France, on se souviendra de l’hystérie, au printemps 2016 qui a saisi certains ténors du gouvernement français et des intellectuelles dont, Elisabeth Badinter, entre autres, découvrant ce fait de société pourtant banal en dehors de la Gaule profonde. Comme si cette mode était obligatoirement le costume du terrorisme… On aura droit à la même hystérie autour du burkini…
Mais pourtant, les débats se poursuivent et s’enlisent. Il faut absolument distinguer le problème, tout au plus le limiter au niqab en noir intégral, interdit comme on l’a vu dans de nombreux pays, y compris des musulmans. En dépit des vociférations du Front National, en 2016 on ne comptait que 687 femmes portant la burqa/niqab en France. Ce n’est guère un phénomène de société, mais l’ombre portée de cette peur ne peut être vaincue que par… la mode portée par les intrépides Hijabistas, joyeuse, colorée, libérée, jouissive au grand dam des Islamistes, qui la condamnent, justement, pour son impiété libertine…
Le ton enlevé et vif de cet essai invite à la lecture, d’autant que l’auteure, bien connue de nos services kedistaniens est spécialiste de genre et conflits armés, qu’elle enseigne, et la présidente de l’association Women in War.
Carol Mann
De la burqa afghane à la hijabista mondialisée
Carol Mann est chercheure associée à l’UMR 8238 LEGS (laboratoire d’études de genre et de sexualité), université paris 8 où elle enseigne et fait un cours sur “Genre et conflits armés”. Elle dirige également une association humanitaire, “FemAid” et une association académique “Women in War”.
Elle a publié de nombreux ouvrages sur cette thématique, dont le tout dernier De la Burqa afghane à la hijabista mondialisée vient de paraître chez l’Harmattan. Elle est notamment l’auteur de Femmes de Sarajevo (Le Croquant) et Femmes afghanes en guerre (Pygmalion). Vous trouverez ces ouvrages chez votre libraire habituel…
Carol Mann est aussi une “habituée” du Kedistan, puisqu’elle nous propose chaque fois aussi de nous faire le relai de ses articles de blog.
Rappelons nous également de cette soirée de solidarité à Paris, Kurdistan en flammes.