Aujour­d’hui c’est mardi.

Mar­di ban­cal, traîne la pat­te… Mer­cre­di sub­mergé. L’ar­rivée du jeu­di se fait sen­tir dès mercredi.

Ven­dre­di, jour saint, tous à la mosquée. Same­di c’est la fête, aérez vous la tête. Dimanche : jour de marché, on vide les poches. Lun­di on con­somme et on retra­vaille pour mieux con­som­mer. La semaine est bouclée, et on rembobine…

Salı sallanır. Çarşambayı sel aldı. Perşembenin gelişi çarşambadan belli olur. Cuma mübarek gün, herkes camiye… Cumartesi cumanın ertesi, kafaları dağıt. Pazar alışveriş. Pazartesi tüketmek için çalış… Hafta bitti. Başa sarıyoruz.

Qu’est-ce donc que cette “ran­don­née” heb­do­madaire deman­derez-vous ? Allez, pour mieux com­pren­dre, faisons un petit tour en mêlant musique, vocab­u­laire, géo­gra­phie, légendes…

Pour com­mencer, une “ran­don­née”, tek­er­leme en turc, est soit réc­itée lors des jeux d’en­fant, soit un préam­bule que les conteurs/ses réci­tent avant le con­te. Ce sont en quelque sorte des petits con­tes à part entière dans le con­te. Par l’en­chaine­ment de petites phras­es, à tra­vers lesquelles on par­court un chemin en suiv­ant le rythme pro­pre à chaque ran­don­née. Le fil con­duc­teur peut être la for­mule répéti­tive d’un événe­ment, les ran­don­nées s’ap­puyant tout par­ti­c­ulière­ment sur des jeux de mots et de sonorités. Et celles-ci sont très dif­fi­ciles à traduire d’une langue à l’autre…

Celle que je vous pro­pose aujour­d’hui, est donc une adap­ta­tion très libre…

Haf­ta, “semaine” en turc, vient du perse. Celles et ceux qui se sont amuséEs au backgam­mon en Turquie, ou qui ont au moins observé une table bien sonore de tavla, se sou­vien­dront, tout joueur/se qui se respecte sait compter jusqu’au six en perse : Yek, du, se, cehar, penç, şeş… Le mot haf­ta, vient du heft, qui n’est autre que le “sept” en perse.

Les noms des jours de la semaine sont tout un mélange linguistique…

Pazar, “dimanche” vient du perse. Pré­cisé­ment de ba : manger et zar : lieu. C’est donc le marché. Notre bon vieux Bazar.

Lun­di, se dit pazarte­si. Pazar erte­si : le lende­main du pazar, du dimanche.

Salı veut dire en hebreu, “troisième”. Com­prenez, troisième jour après le jour du marché et le lende­main. Notons un jeu de mot vocal avec le verbe sal­lan­mak, qui veut dire traîn­er la pat­te ou se bal­ancer, être ban­cal… “Le mar­di est ban­cal, traîne la patte”

Çarşam­ba, cehar, qua­tre en perse : cehar şenbe, qua­trième jour.
Pour mer­cre­di, une référence : une chan­son pop­u­laire Çarşam­ba’yı sel aldı. (L’eau a pris Çarşamba).

On va s’at­tarder un peu sur le mer­cre­di, car Çarşam­ba est aus­si un dis­trict de Sam­sun, en Turquie. La ville se trou­ve dans la plaine por­tant le même nom, et cette plaine lit­torale est for­mée par les allu­vions du fleuve Yeşilır­mak qui se déverse dans la mer Noire. Cette région fer­tile a été habitée à par­tir de 4000 avant J.C. et a tra­ver­sé dif­férentes civil­i­sa­tions. Par sa posi­tion géo­graphique, il n’est pas dif­fi­cile d’imag­in­er que ces ter­res aient subi de nom­breuses inon­da­tions tout au long des siè­cles. Ce qui est devenu encore plus courant, ces dernières années, car des travaux pour des grands pro­jets de routes et de cen­trales ther­miques ont com­plète­ment désta­bil­isé les équili­bres naturels dans la région de la Mer Noire.

Selon la légende, la chan­son Çarşam­ba’yı sel aldı racon­terait l’his­toire d’un cou­ple d’amoureux. Inévitable­ment, on retrou­ve un “scé­nario d’amour ren­du impos­si­ble”. Oui, encore une fois, se mêlent à l’amour les dif­férences de class­es, la dom­i­na­tion, le dés­espoir, la révolte, et la mort…
Ahmet et Melek s’aimaient, dit la légende. Mais Mehmet Ali, le fils du agha (seigneur) du vil­lage se mit en tête d’avoir Melek. Qu’elle en aime un autre et se refuse à lui, peu lui impor­tait, Mehmet Ali l’en­l­e­va et l’emmena à la mon­tagne. Ahmet apprenant cela, devint fou, prit son arme et se mit à chercher Melek, en hurlant son nom dans la montagne.
Un jour, une légère pluie com­mença de tomber. Ensuite le ciel se fendît et l’eau tom­ba en avalanche. Le niveau des eaux du Yeşilir­mak mon­ta comme jamais et engloutit des vil­lages entiers. Après le déluge, les vil­la­geois trou­vèrent, à l’embouchure de la riv­ière Abdal et de Yeşilır­mak, les corps d’Ah­met et Melek, allongés sur un rocher, la main dans la main. Larmes et lamen­ta­tions s’élevèrent. Et là, le rocher se fendît et se sépara en sept, faisant naître sept sources… Ces lamen­ta­tions seraient arrivées jusqu’à nos jours, en don­nant donc cette chan­son pop­u­laire, Çarşam­ba’yı sel aldı…

Çarşamba submergé par l’eau
J’ai aimé une bien aimée, l’étranger l’a prise, aman aman.
J’ai aimé un bien aimé, l’étranger l’a prise
J’aurais dû ne pas l’aimer
Mes mains sont restées sur mon coeur, aman aman.
Mes mains sont restées sur mon coeur

Ô c’est quoi, c’est quoi, aman aman.
C’é­tait donc mon destin.
Aimer secrète­ment, aman aman.
C’é­tait donc une chemise de feu

Les étés de Çarşamba
Ses agneaux sont tous jeunes, aman aman
Le Dieu a écrit sur mon front
Ces lignes noires sur mon front, aman aman
Ces lignes noires sur mon front

Ô les mon­tagnes, immenses mon­tagnes, aman aman
Ma bien aimée pleure loin
Ceux dont la bien aimé est belle, aman aman
Ils souf­frent et ils pleurent.

On l’é­coute ?
C’est Zara, la chanteuse kurde qui chante…

Revenons donc à notre semaine…

Nous savions, avant notre inter­mède musi­cal, que Çarşam­ba,  voulait dire en perse : cehar şenbe, qua­trième jour.

Pour perşem­be c’est pareil, penç şenbe, cinquième jour. Il existe une expres­sion turque, util­isée pour dire que les choses peu­vent être prévis­i­bles… “Perşem­benin gelişi çarsam­badan bel­li olur”, “l’ar­rivée du jeu­di se voit dès mer­cre­di”. Notre mer­cre­di étant inondé, c’est un peu mal bar­ré pour jeudi…

Le ven­dre­di, cuma vient de l’arabe, et veut dire “rassem­ble­ment”. C’est le jour saint pour les musul­mans, donc le jour de rassem­ble­ment à la mosquée.

Cumarte­si, le same­di, est juste le lende­main du cuma, un jour si impor­tant ; cuma erte­si. Le same­di, le week-end est là, on se lâche.

Voilà, on a fait le tour heb­do­madaire, et hop, on revient au début.

Main­tenant que vous savez tout… On revient aus­si au début de notre article.

Aujour­d’hui c’est mardi.

Mar­di ban­cal, traîne la pat­te… Mer­cre­di sub­mergé par l’eau. L’ar­rivée du jeu­di se fait sen­tir dès mer­cre­di. Ven­dre­di, jour saint, tous à la mosquée. Same­di c’est la fête, aérez vous la tête. Dimanche : jour du marché, on vide les poches. Lun­di on con­somme et on retra­vaille pour mieux con­som­mer. La semaine est bouclée, et on rembobine…

C’é­tait un arti­cle comme ça, juste pour le fun, un mar­di matin… His­toire de souf­fler sur les nuages gris, voir un peu autre chose que la noirceur de l’ac­tu­al­ité, en atten­dant ce que mer­cre­di annon­cera pour la suite…

Oserai-je, un : “Je vous souhaite une excel­lente semaine” ?


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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.