Les “inter­dic­tions” faites aux min­istres turcs de l’AKP de tenir meet­ing dans dif­férents pays européens ou lan­ders alle­mands font éruc­ter Erdoğan.

Une par­tie de la “gôche” européenne appelle au calme, à la rai­son, et par exem­ple, le gou­verne­ment français laisse volon­tiers le min­istre des affaires étrangères turc tenir meet­ing et con­férence de presse à Metz, durant lesquelles il reprend les qual­i­fi­cat­ifs de “nazis” à l’en­con­tre de pays européens voisins.

Doit-on placer le débat sur le terrain de “la liberté d’expression” ?

Erdoğan n’hésite pas à le faire, et son out­rance cou­tu­mière y trou­ve un ter­rain favor­able. “Nazisme” con­tre “nou­velle démoc­ra­tie turque d’après 15 juil­let”, voilà à peu près le niveau des discours.

Et, en écho, toutes les droites et extrêmes droites xéno­phobes européennes enton­nent le cré­do de l’in­ter­dic­tion de “meet­ings islamistes” sur le sol des belles démocraties.
Nous voilà dans le choc de “civil­i­sa­tions”, ou du moins son avatar…

Et quand tout cela se fait, tant aux Pays-Bas, qu’en France ou en Alle­magne, sur fond d’échéances élec­torales en cours, ou immi­nentes, cela devient argu­ments de cam­pagne pour iden­ti­taires de tous bords.

Nous voilà revenus à des instru­men­tal­i­sa­tions poli­tiques, favor­ables de part et d’autre, au ren­force­ment des courants pop­ulistes iden­ti­taires, avec toute la divi­sion que cela sup­pose, et toutes les con­fu­sions et brouil­lages surtout.
Voilà donc remis en selle le faux débat sur la Turquie et l’Eu­rope, entre autres, qui a cours depuis plus d’une décennie.

Pour rap­pel, et pour faire court, l’ac­ces­sion au pou­voir d’Er­doğan, mais surtout sa crédi­bil­ité, doivent beau­coup à son aura “mod­erniste européenne” dont il enfi­la le cos­tume, et à l’adéqua­tion entre les pro­pres ori­en­ta­tions économiques libérales de ses “sou­tiens” et la finance inter­na­tionale, dont l’eu­ropéenne, en recherche d’in­vestisse­ments juteux. Le repli “poli­tique” européen qui suiv­it a qua­si effacé cette “embel­lie”… Et cet efface­ment a d’ailleurs autant servi les des­seins poli­tiques pop­ulistes du régime AKP, que ceux des droites européennes, dont les politi­ciens sur­faient sur la xéno­pho­bie et les “iden­tités nationales”.
Comme pour le putsch man­qué de juil­let, le repli européen d’alors fut un “cadeau du ciel” pour Erdoğan, con­fron­té qu’il était aux “ouver­tures” démoc­ra­tiques du proces­sus de rap­proche­ment, qui sus­ci­taient en Turquie même, des rup­tures, tant dans la jeunesse que par­mi les représen­ta­tions des “minorités”.

L’il­lu­sion démoc­ra­tique européenne aurait pu lier les mains d’un régime dont le seul but était pour­tant de se main­tenir au pou­voir, et d’en faire prof­iter ses secteurs économiques et financiers alliés, tout en main­tenant un ver­rouil­lage autori­taire. Le dernier livre d’Ah­met İnsel développe très bien cet aspect, et pose la ques­tion de savoir com­ment ces dou­bles mou­ve­ments de replis, européens et turcs, ont favorisés des class­es poli­tiques au pou­voir, en dialec­tique, de part et d’autre du Bosphore…
Bref, dire que ce qui se passe en Turquiesec­oue inévitable­ment l’Eu­rope entière, et vice-ver­sa, ne se lit pas que chez l’écrivaine Aslı Erdoğan, mais dans la réal­ité des vingt dernières années.

Et c’est bien encore le cas avec ces meet­ings de cam­pagne pour le OUI au change­ment con­sti­tu­tion­nel, ani­més par des min­istres en per­son­ne, ten­tant de s’im­pos­er mal­gré les mis­es en garde et les inter­dic­tions. L’oc­ca­sion était trop belle pour Erdoğan, et sa capac­ité de vocif­éra­tion, pour ne pas en appel­er à nou­veau au “Monde”
En pas­sant, nous pou­vons soulign­er qu’en­voy­er des “min­istres” pour prêch­er la bonne parole du Reis, était de fait une provo­ca­tion totale­ment réfléchie, alors que le Con­seil de l’Eu­rope s’é­tait divisé en ce début d’an­née sur une prise en compte des rap­ports mul­ti­ples sur “les atteintes au droits humains et les men­aces pour la paix” et leur inscrip­tion à l’or­dre du jour de cette assem­blée, liée à la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Les pres­sions mul­ti­ples du gou­verne­ment AKP, les aides de ses nou­veaux alliés (Russie) et l’ab­sten­tion de gou­verne­ments soci­aux démoc­rates européens avaient per­mis pour un temps de repouss­er l’ex­a­m­en poli­tique des répres­sions en cours et des crimes actuels et exac­tions passées au Bakur.

Il était donc facile et prévis­i­ble, pour un Erdoğan, d’en­fon­cer le fer dans le ven­tre mou européen, à l’oc­ca­sion de cette cam­pagne référendaire pour son sacre.
On est à la fois dans la psy­cholo­gie poli­tique du per­son­nage, et dans la néces­sité de trou­ver “offi­cielle­ment” des voix dans la dias­po­ra turque (3 mil­lions de per­son­nes en Europe, soit plus d’un mil­lion d’élec­tri­ces et d’ électeurs poten­tiellEs) et la rad­i­calis­er, con­fron­tée qu’elle est de plus en plus ici à la divul­ga­tion des crimes du régime, par voies de médias, même édul­corées. Garan­tir une marge pour la triche qui ne man­quera pas avec les voix de la dias­po­ra fait aus­si par­tie de l’objectif.

Mais cette “aubaine” pour Erdoğan, en est égale­ment une pour toutes les voix iden­ti­taires qui s’ex­pri­ment dans les pays européens et por­tent le poi­son du racisme et de la divi­sion dans les class­es pop­u­laires et pas que…

Nous sommes bien loin de “je cause avec tout le monde, et je laisse causer tout le monde”, ou, pour le dire plus poli­tique­ment cor­rect, “la lib­erté d’expression”.

En Turquie, les mil­liers de tuéEs du Bakur ne sont plus là pour la réclamer.
Les otages poli­tiques empris­on­nés ou en procès en cas­cade, non plus. Les familles, pro­jetées dans la mis­ère sociale, du fait des purges et des arresta­tions, sont autant priées de se taire, que réduites au silence par la men­ace et la répres­sion s’il le faut. Toutes ses paroles-là se sont éteintes, sont empêchées, et les mots ren­trés dans les gorges par force.
Alors, inter­dire à un min­istre des bass­es œuvres de l’AKP de s’ex­primer peut-il être mis en bal­ance avec ce silence de mort imposé ? Ma lib­erté d’ex­pres­sion n’i­rait pas jusqu’à faciliter la prise de parole de l’assassin.

N’y a‑t-il pas déjà dans la dias­po­ra turque européenne suff­isam­ment de loups gris ou de sup­port­ers d’AKP pour faire cam­pagne pour le sacre du Reis ?
La parole même de toute oppo­si­tion n’est-elle pas muselée déjà, avec la fer­me­ture de chaînes d’in­fos émet­tant via des satel­lites européens, la mise sous sur­veil­lance anti-ter­ror­iste de mem­bres de mou­ve­ments kur­des, la sur­veil­lance des réseaux et des communautés ?

La ques­tion n’é­tait pas de savoir s’il fal­lait inter­dire ou pas l’ex­pres­sion des par­ti­sans d’une Turquie fas­cisante, mais sim­ple­ment de savoir pourquoi seules ces voix-là sont soutenues et mis­es en avant.
Et pourquoi ces gou­verne­ments européens aux mains liées par des accords migra­toires ou des con­trats économiques se taisent depuis plus de deux ans…

Il est facile à des gou­verne­ments qui ont signé un deal financier avec Erdoğan afin qu’il serve de chien de garde pour les réfugiés des guer­res, de hauss­er le ton sur cette provo­ca­tion, alors que les mêmes n’ont jamais ampli­fié la voix de l’op­po­si­tion démoc­ra­tique turque et kurde. Et la surenchère, lorsqu’elle procède d’ar­rières pen­sées racistes, brouille encore le mes­sage davantage.
Au final, ce sont les pop­ulistes iden­ti­taires qui se ren­forceront, ici et là-bas. L’ex­act inverse de ce que peu­vent atten­dre les par­ti­sans du NON, et celles et ceux qui récla­ment jus­tice pour les crimes du régime.

Pour­tant, être cré­d­ule au point d’at­ten­dre des gauch­es européennes en cam­pagne, et de leurs vari­antes sociales démoc­rates ou sociales libérales, tout autant que des droites libérales autori­taires, autre chose que des posi­tion­nements oppor­tunistes, serait croire au lapin de Pâques.
Il n’est guère que les courants “com­mu­nistes” qui aient con­servés quelques réflex­es “inter­na­tion­al­istes” et aient con­damné cette mas­ca­rade organ­isée, en écho aux mou­ve­ments kur­des de la diaspora.

La seule ques­tion qui mérite d’être posée, c’est celle de la facil­i­ta­tion de l’ex­pres­sion des voix de l’op­po­si­tion au régime Erdoğan en Europe, face aux provo­ca­tions. Jusqu’i­ci, on a plutôt vu ces mou­ve­ments d’op­po­si­tion accusés de créer des “trou­bles à l’or­dre pub­lic”, là où ils por­taient la con­tra­dic­tion. Et savoir que les bureaux de votes, pour cer­tains, se trou­veront dans des locaux asso­ci­at­ifs favor­ables à l’AKP, et non sys­té­ma­tique­ment dans les con­sulats, devrait aus­si mobilis­er les autorités gou­verne­men­tales en Europe, davan­tage que “l’ac­cueil” dû, paraît-il, à un min­istre d’un gou­verne­ment assassin.

Et, pen­dant que tout ce monde com­mu­nique sur la polémique créée, on con­tin­ue dans le gris des tri­bunaux, à juger des jour­nal­istes, des intel­lectuels, des opposants poli­tiques, tout comme à réprimer l’ex­pres­sion du NON sur place. Pas de prob­lème sur la “lib­erté d’in­ter­dire”, dans le nou­v­el ordre con­sti­tu­tion­nel turc.

Il sera dit un jour, sans doute aus­si sur Kedis­tan, si le mag­a­zine se survit à lui-même, que les gou­verne­ments européens ont con­tribué à ce que la nuit soit plus épaisse encore en Turquie, aux couleurs d’un crois­sant de lune rouge sang… Tan­dis que les couteaux s’aigu­i­saient en Europe…

Et s’il fal­lait par­ler en plus du rôle que joue la Turquie dans l’ap­pro­fondisse­ment des guer­res en Syrie et en Irak, nous ver­rions que ces lames tuent déjà bien des vies, et que le manche n’est pas tou­jours tenu par ceux qu’on croit.


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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…