Kedis­tan pour­suit la pub­li­ca­tion de quelques textes impor­tants d’Ah­met Altan qui ont “fâché” et chaque fois l’ont exposé à la vin­dicte, avant que de le traîn­er devant un tribunal.

Pourquoi aller rechercher, bien des années après, cette con­damna­tion “archivée”, à cause d’un arti­cle de presse ?

Parce qu’elle par­ticipe d’un chem­ine­ment opéré par nom­bre d’in­tel­lectuels turcs, pour don­ner corps à une cri­tique rad­i­cale, dans les faits, de la “turcité” et donc de la con­struc­tion du jeune Etat- nation turc et de son “roman nation­al iden­ti­taire” depuis un siècle.

Bianet pub­li­ait cet arti­cle d’Ah­met Altan fin 2014, avec le préam­bule suivant :


Atakurde Ahmet Altan

Pho­to : Nadire Mater

Ahmet Altan a publié le 17 avril 1995, un article intitulé “Atakurde”, dans le journal Milliyet. La Turquie des années 90 passait son examen dans la matière “liberté d’expression”, elle a encore une fois échoué…
C’était un article qui faisait réfléchir, et comme attendu, il a provoqué des discussions. Mais la plupart des voix qui se sont levées s’exprimaient contre Ahmet Altan, et la direction de Milliyet a voulu qu’il cesse d’y écrire. Ufuk Güldemir, alors Directeur éditorial du journal, a beaucoup résisté mais ses efforts n’ont pas abouti.
Ahmet, a été jugé par La cour de sûreté de l’Etat, il a écopé d’une peine de prison d’un an et 8 mois. Et, finalement, il a démissionné.
Nous publions cet article qui a secoué l’actualité de l’époque, dans notre série “Luttes pour les droits, dans années 90″, parce que c’est un exemple qui transmet très bien, l’esprit de ces luttes.
Bianet 
Ahmet Altan Yazısına “Atakürt” Başlığını Attığında 
(Quand Ahmet Altan titre son article “Atakurde”)

Atakurde

Et si Mustafa Kemal avait été un Pacha ottoman [Dans l’Em­pire ottoman, titre de haut rang don­né aux gou­verneurs et aux généraux] , né, non pas à Thes­sa­lonique, mais à Mossoul, et si, après la guerre d’Indépen­dance, avec la par­tic­i­pa­tion des Kur­des et des Turcs, il avait nom­mé la République dont il aurait été l’ini­ti­a­teur, “La république de Kur­die”, et avait ensuite pris le nom d’«Atakurde», avec une réso­lu­tion parlementaire.

Si, puisque tous les citoyens de la “République de Kur­die” s’ap­pelleraient “Kur­des”, nous étions con­sid­érés tous comme “Kur­des”. Si des pan­car­tes arbo­rant “Bien­heureux celui qui se dit kurde” étaient accrochées sur les places de Tak­sim [à Istan­bul], de Kızılay [à Ankara] et à Kor­don [à Izmir]…

Et si on dis­ait qu’il n’y avait pas de Turcs en “Kur­die”, et qu’on proférait des allé­ga­tions comme quoi ceux qui se pren­nent pour des Turcs sont en réal­ité des “Kur­des de la mer” [Pour les Kur­des on dit “des Turcs de la mon­tagne”]

Si on enseignait à l’é­cole, que les Kur­des ont une His­toire de “sept milles ans”, que les vrais pro­prié­taires de l’Ana­tolie sont des Kur­des, qu’ils sont en réal­ité les ancêtres des Mon­gols, des Huns, et des Etrusques, et qu’on appre­nait l’héroïsme des Pachas Kur­des dans l’Em­pire Ottoman.

Si on nous inter­di­s­ait de pren­dre des prénoms comme Teo­man, Cen­giz, Atil­la, Osman, et qu’on nous oblig­eait à pren­dre des prénoms comme Berfin, Beruj, Tiruj, Nevruz…

Et si la créa­tion des télévi­sions émet­tant en turc était inter­dite, et toutes les émis­sions étaient réal­isées en kurde…

Si nous étions oblig­és d’écrire nos romans, nos nou­velles, nos poèmes en kurde, écouter seules les chan­sons kur­des, nous pub­lieri­ons nos jour­naux en kurde…

Si, dans nos écoles, seul le kurde était enseigné et l’en­seigne­ment en turc était interdit…

Et si, quand nous diri­ons “Nous sommes Turcs, nous avons une his­toire, une langue” on nous jetait dans des pris­ons, sans enquête, sans jugement.

Si, à Istan­bul, à Ankara, à Izmir, à Bur­sa, à Edirne, la police nous suiv­ait con­stam­ment. Si des “équipes spé­ciales” nous soupçon­nait d“être des séparatistes” qui veu­lent divis­er la “République de Kur­die” et nous traitait con­tin­uelle­ment comme des “coupables”, et que nous subis­sions des insultes juste parce que nous sommes Turcs.

Si, après le coup d’E­tat du 12 sep­tem­bre [en 1980], tout ceux qui vivaient dans la région de l’Ouest avaient rem­pli les pris­ons, subi des tor­tures incroy­ables, avaient été placés dans des cel­lules où ils s’en­fonçaient dans la boue, jusqu’au cou, que leurs organes internes étaient rav­agés par l’eau à pres­sion, leurs jambes avaient été déchi­quetées par des chiens enragés…

Et si nos maisons étaient perqui­si­tion­nées, nos apparte­ment étaient mis à sac avec des “preuves” que nous aide­ri­ons les “ter­ror­istes turcs”, si nous étions jetés hors de nos maisons, sans pou­voir pren­dre nos affaires, envoyés en exil à Diyarbakır, à Hakkari et que nous étions for­cés de vivre sous des tentes…

Ahmet Altan

Nous les Turcs, seri­ons-nous d’ac­cord, con­sid­ére­ri­ons-nous comme un signe de jus­tice, ces paroles : “Voilà, vous tous, en tant que citoyens de la “République de Kur­die”, vous êtes des Kur­des, pourquoi vous entêtez vous donc pour la turcité, si vous le voulez, vous pou­vez même être pre­mier ministre” ?

Ou bien, seri­ons-nous insis­tants pour qu’avec notre iden­tité turque, notre langue, notre cul­ture, nous soyons con­sid­érés comme des citoyens “égaux” de ce pays ?

Ce pays a des citoyens turcs et kur­des, et l’His­toire a marché sur le fil “Turc”, et nous avons voulu que les Kur­des acceptent ce que nous n’au­ri­ons pas accep­té en tant que Turcs. Cette volon­té déplacée a au final implosé, le pays a bas­culé d’abord dans le ter­ror­isme, ensuite dans la guerre civile.

Lorsque des per­son­nes qui sont con­va­in­cues que la Turquie peut se sauver de ce chaos sanglant, et qu’il faut accepter “l’i­den­tité” des citoyens kur­des, expri­ment leur pen­sées, “avec la démoc­ra­tie”, les dirigeants et leurs sup­port­ers posent tou­jours la même question :

- Qu’est-ce que la réso­lu­tion démoc­ra­tique, qu’est-ce que l’i­den­tité kurde ?

La démoc­ra­tie c’est, accepter, aujour­d’hui, l’ex­pres­sion par les Kur­des des reven­di­ca­tions que nous les Turcs, auri­ons exprimées si nous avions vécu dans une “République de Kurdie”.

Cela vaut-il la peine, pour ne pas don­ner ce que nous auri­ons demandé à des per­son­nes que nous con­sid­érons nos égaux, de vers­er autant de sang, et de train­er le pays vers une impasse ?

Ceux qui répon­dent que cela ne vaut pas la peine, dis­ent “démoc­ra­tie”…

Ramen­er la démoc­ra­tie, est-ce décrocher la lune ?

Ahmet Altan

Après son procès, Ahmet Altan à sol­lic­ité la Cour européenne des droits de l’homme. Elle a jugé sa requête recev­able, et le dossier a été clos par un accord a l’ami­able avec un dédom­mage­ment de 4500€ du gou­verne­ment turc pour Ahmet Altan, en 2002, donc bien des années après !

Lire aus­si dans le dossier spé­cial  Ahmet Altan d’autres articles.…


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