Zehra Doğan s’est présentée ce matin 2 mars devant la 2ème Haute Cour criminelle de Mardin, avec ses avocats. Elle a été condamnée à l’issue de l’audience, à 2 ans, 9 mois et 22 jours de prison.
Zehra comparaissait alors qu’elle avait été placée en liberté conditionnelle, en attente de son procès, après avoir effectué 141 jours de prison à Mardin.
Les chefs d’accusation à son encontre, évitent précisément de l’accabler en tant que “journaliste” ou “artiste”, afin de ne pas prêter le flan à critiques.
Dans le réquisitoire, le tribunal reconnaît qu’il ne peut se prononcer avec “clarté” sur les “dessins”, concernant l’ ”intention délibérée” de faire de la “propagande pour une organisation terroriste”.
Par ailleurs, ce même réquisitoire évite soigneusement de l’attaquer sur son métier en tant que tel, et ses activités professionnelles.
Le tribunal a maintenu dans le dossier des “témoignages” écrits non identifiés contre elle, et surtout rajouté ce qui n’était pas dans l’accusation initiale, à savoir l’activité de Zehra sur sa page de réseau social. C’est là l’essentiel de ce qui a permis sa condamnation.
Elle a notamment été accusée d’avoir “partagé” un témoignage qui a largement circulé sur les réseaux sociaux. Il y en eu tant de semblables en 2015/2016, que nous avons relayés abondemment ici même.
Il s’agit d’un enregistrement d’un enfant de 10 ans, Elif Akboğa, qui raconte son quotidien.
Extraits : “En ce moment, il y a des bruits de tirs. Quand ils deviennent plus intenses, nous nous cachons dans les maisons. Quand les chars partent, nous allons à nouveau dans la rue pour faire du bruit. Je pense que nous avons raison. Je sais qu’un jour notre voix sera entendue…”
Selon l’accusation, Zehra, avec ce partage, décrirait la “politique des fossés” comme une résistance légitime à laquelle elle se rallierait, et donc commettrait un “acte de propagande et de sédition”, en incitant à des actions violentes, soutenant celles des “terroristes”.
D’autres extraits de ses partages Facebook, comme des “photographies” de membres de l“ ‘organisation” PYD, qualifiée par le tribunal de tentacule du PKK/ KCK, ont également servi à l’accusation de ce matin.
Elle a donc été condamnée au titre de plusieurs articles de loi, tous issus de la fameuse “loi anti-terroriste”, à des peines cumulées, pour, si nous devons faire concis, “propagande et prosélytisme pour une organisation terroriste”, et ce “par utilisation de médias, et de façon récidivante”.
Deux peines cumulées, et aggravées par un constat de récidive, qui aboutissent à une condamnation de 2 ans, 9 mois et 22 jours, condamnation bien sûr contestée par ses avocats.
Elle a par contre été “acquittée” pour l’accusation d’appartenance à organisation terroriste.
Nous n’insisterons pas sur ce que fut la défense de Zehra.
Les arguments du tribunal sont d’évidence des arguties permettant de condamner Zehra pour son travail de “journaliste”, consistant à documenter des situations réelles (et les relais de presse des “mises sous siège” des villes du Bakur étaient une impérieuse nécessité), sans pour autant condamner LE journalisme. Zehra Doğan elle, ne cesse de relier toute son activité à celle d’un journalisme responsable et indispensable.
Le tribunal considère ainsi l’activité de “relai” et “partage” d’une journaliste sur les réseaux sociaux comme une activité de propagande, et non de diffusion professionnelle de “nouvelles”.
Il fait d’une pierre deux coups, en anticipant par “jurisprudence” sur les autres instructions en cours concernant des milliers d’internautes, et en dé-classifiant la diffusion d’informations factuelles et bien réelles, sur un réseau, en l’assimilant à de la “propagande” pour activités terroristes.
Les journalistes savent ainsi quels risques ils encourent à “couvrir” des événements désormais et à les diffuser largement.
Zehra Doğan est aujourd’hui devenue un visage “familier” pour celles et ceux qui en Europe, se mobilisent pour les otages politiques.
C’est sans aucun doute ce qui la protège d’une répression plus féroce encore, si tant est que l’on puisse dire que priver une jeune femme de près de trois ans de sa vie soit une “pacotille”. Nous ne pouvons accepter cette privation là.
A la lecture des textes officiels de compte-rendu d’audience, dont nous avons eu communication, et qui résument l’accusation, la défense et la décision d’aujourd’hui jeudi 2 mars, nous avons jugé qu’en extraire l’essentiel était suffisant pour une connaissance rapide du déroulé de ce procès. Nous vous informerons des suites de ce jugement au fil des jours.
Nous appelons donc à rester extrêmement vigilants et à continuer à contester cette condamnation au silence.