Allez, je vous emmène au Roja­va, dans le can­ton de Cizîrê, près de la ville Amûdê, pour vous présen­ter un pro­jet (Jin­war), qui peut vous paraître comme une utopie mais qui, là, devient une ini­tia­tive concrète.

Eh oui, il se passe des choses au Roja­va ! Et bien que la guerre qui le men­ace et qu’il mène con­tre le féo­dal­isme dji­hadiste et la volon­té érad­i­ca­trice du régime turc occupe toute la place et guide sou­vent l’in­for­ma­tion, cela reste une terre d’é­man­ci­pa­tion, où cha­cunE expéri­mente des utopies créa­tri­ces de futur.

Nous sommes à Jin­war, le vil­lage de femmes. Il s’ag­it d’une ini­tia­tive où la femme est à la fois sujet et verbe.

Dans l’in­ter­view de Bekir Avcı, pub­liée en décem­bre sur Gazete Karın­ca, dont vous trou­verez des extraits ci-dessous, Heval Rumet apporte des pré­ci­sions sur Jin­war. Rumet est mem­bre de l’A­cadémie de Jinéologie.

Jinéologie ?

Pour celles et ceux pour qui ne con­nais­sent pas le terme voici une petite expli­ca­tion : On y trou­ve tout de suite avec jin, femme en kurde, un rap­proche­ment, entre gyné, femme en grec et  jiyan, vie en kurde. Et logos en grec veut dire parole, rai­son.

La jinéolo­gie est un con­cept lancé par les femmes kur­des, pour toutes les femmes… Elles pro­posent une nou­velle vision de la vie en société, par la mobil­i­sa­tion de tous les instants, mais aus­si par la réflex­ion théorique. Elles pensent qu’une sci­ence au féminin est donc indis­pens­able pour la libéra­tion des femmes. Elles, qui revendiquent d’être à l’origine des civil­i­sa­tions démoc­ra­tiques, sont entrées en résis­tance face aux forces qu’elles jugent inca­pables d’améliorer la con­di­tion des femmes et de répon­dre aux prob­lèmes ren­con­trés par les femmes au quo­ti­di­en. Elles visent à la fois le patri­ar­cat et la société cap­i­tal­iste qui s’en accom­mode si bien et l’a a bien des égards ren­for­cé.   

Le vil­lage de femmes, Jin­war, est un lieu de vie alter­na­tive pour les femmes, et le nom du vil­lage n’est pas choisi au hasard… Jin, femme, et war, lieu d’habitation.

Le début des travaux

Le pro­jet a été annon­cé en Novem­bre 2016 par le Comité de con­struc­tion du vil­lage de femmes, du Kon­gra Star lors une con­férence de presse, alors qu’au vil­lage, les femmes avaient déjà com­mencé les plan­ta­tions d’ar­bres sur le terrain.

La con­struc­tion du vil­lage a débuté en décem­bre 2016, avec des travaux d’in­fra­struc­ture. La con­struc­tion des maisons en adobe (briques de terre crue séchées) était prévue pour févri­er 2017. Tous ces travaux sont bien sûr basés sur des principes écologiques, cela va de soi…

Mais lais­sons donc Rumet s’exprimer…

L’idée que les femmes organ­isent leur pro­pre espace de vie et leur pro­pre vie avec leurs pro­pres forces a éveil­lé beau­coup d’en­t­hou­si­asme. Les ques­tions que la plu­part des per­son­nes qui pren­nent con­nais­sance de cette ini­tia­tive posent, sont celles-ci : ‘C’est une ini­tia­tive belle et impor­tante, mais com­ment sera-t-elle réal­isée ?’ et ‘Les femmes arriveront-elles à se protéger ?’ ”

Nous n’avons pas com­mencé nos travaux avec des ‘peut-être’. Notre thèse et nos plans sont très clairs, car nous réal­isons ce pro­jet au Roja­va, une région où se déroule une révo­lu­tion de femmes.”

Du passé au présent…

Le fait que les femmes organ­isent leur espace de vie selon leur pro­pres déci­sions est un besoin vital” dit Rumet, et elle ajoute “Le besoin de pass­er à une étape per­ma­nente est né, et la con­struc­tion du vil­lage de femmes, exprime cet étape radicale.”

Elle rap­pelle qu’il existe plusieurs exem­ples de lieux d’habi­ta­tion de femmes, en don­nant des références à l’His­toire du Rojava :

Notre but est de réveiller cette autre façon de vivre, basée sur la femme, de nou­veau sur ses racines. Le fait de dire “un nou­veau vil­lage”, ou “con­stru­ire un nou­veau vil­lage” ne suf­fit pas à ren­dre les idées plus claires. Ces appel­la­tions ne ren­dent pas le con­cept de vil­lage de femmes, plus concret.

En fait, il faut pré­cis­er dès le départ, que ce n’est pas un nou­veau vil­lage qui est con­stru­it; c’est la renais­sance des espaces de vie de femmes, selon les besoins quo­ti­di­ens, vitaux, et sociaux.”

Mais quel est l’objectif ?

Rumet explique que les femmes visent la réso­lu­tion par l’in­tel­li­gence des femmes, des souf­frances et per­sé­cu­tions, et toutes sortes de dis­crim­i­na­tions basées sur l’e­spèce, sexe, class­es et eth­nies. Pour ce faire, les femmes ont besoin d’e­spaces où elles peu­vent s’ex­primer, s’or­gan­is­er, ain­si qu’ap­porter des preuves con­crètes pour mon­tr­er qu’une autre vie économique, sociale et cul­turelle est possible.

Ce pro­jet est dévelop­pé plutôt pour mon­tre la dif­férence de l’or­gan­i­sa­tion de vie cen­trée sur la femme. La vie sociale sera organ­isée selon les idées et con­seils, ain­si que les besoins des habi­tantes, donc pour l’in­stant les pre­mières arrivées.

Parce que le vil­lage de femmes Jin­war, n’est pas un lieu de refuge ou de repos pro­vi­soire, où les femmes en dif­fi­culté vien­dront pour résoudre leur prob­lème et par­tiront. Ce sera un endroit de vie, de pro­duc­tion per­ma­nente et sédentaire.”

Photos JINHA
Jinwar

Nous avons un contrat

Cer­taines craintes, ‑surtout de la part des hommes‑, exis­tent, même si elles ne sont pas exprimées ouverte­ment. Par exem­ple lors d’une dis­cus­sion cette ques­tion a été posée : “Si les femmes se dis­putent, que se passera-t-il ?” ou encore “Com­ment les femmes vont sub­venir à leurs besoins, com­ment elles seront for­mées ?”. Ces ques­tions ne sont pas déplacées, elles méri­tent d’être posées. Nous aurons un con­trat qui cou­vri­ra toutes ces ques­tions et cas de fig­ure, et qui effac­era les craintes.

Je tiens à soulign­er égale­ment, les femmes, elles, n’ont pas ces craintes. A la base des prob­lèmes soci­aux exis­tants, se trou­ve la men­tal­ité patri­ar­cale. De fait, les femmes qui souf­frent des con­séquences, s’ap­pro­prient le pro­jet et s’y intè­grent d’une façon très franche. Les prob­lèmes de sécu­rité que les femmes subis­sent, survi­en­nent quand elles sont en présence des hommes. Aujour­d’hui, les femmes qui vivent avec les hommes, n’ont aucune sécu­rité et garantie de vie. La femme est, soit battue, soit insultée, soit virée, soit tuée…

Nous pen­sons que la femme, dans l’e­space social exis­tant se trou­ve face aux sérieux prob­lèmes de sécu­rité et de vie. Et nous dis­ons que la solu­tion la plus rad­i­cale est de créer des espaces de femmes libres.

Il est impor­tant tout de même, de pas oubli­er qu’il y a aus­si des hommes qui pren­nent place con­tre ces vio­lences et féminicides…”

L’écologie

Rumet insiste sur l’aspect écologique du pro­jet, pré­cise que pour la con­struc­tion seules des tech­niques et matéri­aux naturels et écologiques sont utilisés.

Les matéri­aux écologiques sont con­nus. Seule­ment, pier­res, terre, paille, eau et un peu de con­nais­sances de con­struc­tion… Notre société est une société naturelle qui a vécu jusqu’à aujour­d’hui avec les con­nais­sances sages et pré­cieuses des par­ents, qui gar­dent encore à nos jours, leur aspect naturel. La sagesse sur l’é­colo­gie et l’habi­tat des femmes sont à un niveau qui dépasse la con­nais­sance uni­ver­si­taire con­tem­po­raine. Nous avons vu les pra­tiques, nous les avons appris­es, dis­cutées et nous sommes convaincues. 

Le matériel choisi pour les mai­son c’est l’adobe. Pourquoi ?
75% des con­struc­tions des lieux de vies his­toriques sont en terre. Des con­struc­tions en pier­res et en terre qui datent de 9 mille ans, ont pu garder leur durabilité.

On peut citer par exem­ple le site Çayönü près de Diyarbakır, Çatal­höyük près de Konya, le fort de Ben en Iran dans le can­ton de Kir­man, Ghade­mas en Lybie…”

Notons que ces tech­niques tra­di­tion­nelles util­isant les matéri­aux naturels, sont revis­itées avec ingéniosité et créa­tiv­ité dans dif­férents endroits. Elles sont qua­si sys­té­ma­tique­ment par­tie inté­grante des ini­tia­tives entre­pris­es “pour un autre monde”, notam­ment dans des zones autonomes, com­munes et col­lec­tives, aux qua­tre coins du monde, de la ZAD à l’Alakır en Turquie.

Quant aux vil­lages de femmes, on peut citer par exem­ple un vil­lage au Kenya, “Umo­ja” (unité en Kiswahili) fondé en 1990 par un groupe de femmes appelées aujour­d’hui “les Tumaï” (espoir de vie).

Soutien ?

La con­struc­tion du vil­lage Jin­war est réal­isée avec un tra­vail col­lec­tif et se base sur le bénévolat. Le proces­sus de con­struc­tion est donc ouvert à toute aide et sou­tien. Chaque aide et sou­tien devien­dra une fon­da­tion, une pierre, un mur, un arbre, de l’adobe et de la paille…

L’essence de la vie com­mu­nale est la par­tic­i­pa­tion col­lec­tive. Le lien social de la cul­ture de “zone de trocs et de dons” reste le bénévolat.

Les vil­lages sont des vil­lages avec leur agri­cul­ture, leurs espaces verts, leurs ani­maux, leur richess­es… La nature du vil­lage est la nature col­lec­tive, de la com­mune. La porte est ouverte à toutes celles qui souhait­ent apporter aide et soutien.”

C’est une belle invi­ta­tion à devenir une goutte qui s’a­joute dans cette eau de source pour la trans­former en rivière…

Promis, nous pub­lierons dans les jours à venir un arti­cle plus con­séquent pour vous expos­er les détails du pro­jet. Il s’ag­it d’un pro­jet très com­plet, où tout est pen­sé, de l’eau à l’a­gri­cul­ture, de la for­ma­tion des femmes à la sco­lar­ité des enfants, jusqu’à l’ac­cueil des invitées…

Nous ne man­querons pas non plus, de nous faire le relai d’une éventuelle cam­pagne de solidarité.

Jin Jîyan Azadî

Le pro­jet avance.…

Plus d’informations sur Jin War :
www.jinwar.org | Facebook @jinwarwomensvillage
A LIRE Jinwar, village de femmes au Rojava sur Kedistan
A VOIR Documentaires : Jinwar (french subtitles) | Jinwar 2017

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REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.