Je vous livre ici une inter­view de Kaya Faruk, que j’ai eu le bon­heur de rencontrer.

Mais avant, juste un petit point sur un ressen­ti per­son­nel après deux semaines sur Istan­bul. Pas mal de gens que j’ai pu ren­con­tr­er oscil­lent entre résig­na­tion et énergie du désespoir.

Au point où en est ren­du le pays, cer­tains n’hési­tent plus à clamer haut et fort leur oppo­si­tion à un pro­jet “qui va beau­coup trop loin, même ceux qui ne s’in­téressent pas d’or­di­naire à la poli­tique, ne restent plus indif­férents” pour repren­dre les ter­mes d’une jeune femme ren­con­trée. On en est encore loin, et ce n’est qu’un point de vue per­son­nel, mais je trou­ve que le référen­dum s’an­nonce serré.

Après, ça reste Istan­bul, l’AKP et Erdoğan ont plutôt ten­dance à faire leur beurre au cœur du pays…

Un mot sur le col­lec­tif “Hayır” (Non) :

De ce que j’ai pu com­pren­dre, c’est un mou­ve­ment citoyen spon­tané, sans réelle organ­i­sa­tion claire et définie, ni lead­er­ship à pro­pre­ment par­ler. Ce soir là, à Beşik­taş, il y avait des gens de divers hori­zons poli­tiques (de gauche majori­taire­ment quand même), notam­ment des déçus de l’AKP… Le forum devait avoir lieu à l’in­térieur de la salle des fêtes du quarti­er, mais, coupure d’élec­tric­ité oblige, çà s’est ter­miné sur le trot­toir. Une heure d’échanges, en débu­tant par un état des lieux, avant un débat sur la suite et les moyens à don­ner au mouvement.

A mes yeux, cela ressem­ble un peu à ce qui a pu se faire en France avec Nuits debout. Il y aurait une mul­ti­tude d’ini­tia­tives de ce genre à tra­vers le pays. Ils se con­cer­tent, et échangent les uns avec les autres, sans pour autant qu’il y ait d’or­gan­i­sa­tion formelle. Voilà ce que je peux en dire.

A l’u­ni­ver­sité de Mar­mara, il devait  y avoir 200 par­tic­i­pants, pour une bonne cinquan­taines de flics, en tenue anti-émeutes pour cer­tains, tan­dis qu’une arme automa­tique suff­i­sait pour d’autre. Tout au long du rassem­ble­ment, qui a duré une petite heure, la foule était filmée. Intim­i­da­tion quand tu nous tiens…

Chris T.

Photos ©Chris T.

Voici donc l’in­ter­view de Kaya Faruk, le Coor­di­na­teur du HDP dans le quarti­er con­tes­tataire de Sul­tangazi à Istan­bul, que j’ai rencontré.

« Nous défendons les droits civiques naturels, le droit à la différence »

Kaya Faruk s’est exprimé sur la sit­u­a­tion actuelle en Turquie. Sans peur et en toute fran­chise, il évoque le référen­dum, Erdoğan et l’Union européenne.

Avec la répres­sion qui frappe la société turque en général et le HDP en par­ti­c­uli­er, quels moyens vous restent-ils pour vous oppos­er au pou­voir en place ?

Aujourd’hui, avec ce pro­jet de nou­velle Con­sti­tu­tion, nous reje­tons tout ordre ou direc­tive émanant de la tour d’ivoire prési­den­tielle, tout en con­tin­u­ant à siéger au Par­lement, pour ceux qui le peu­vent encore, car une dizaine de nos députés sont actuelle­ment en prison. Cet acte d’insoumission con­stitue en soi une résis­tance, tout comme par­ler de paix face à la rhé­torique guer­rière du pou­voir, à l’œuvre au Kur­dis­tan, mais aus­si dans toute la Turquie. Nous con­damnons cette approche de l’AKP qui ne peut men­er qu’à la divi­sion. Ensuite, l’un de nos prin­ci­paux moyens de met­tre en marche l’opposition sont les réu­nions publiques que l’on mul­ti­plie à tra­vers le pays. Ces réu­nions pour­suiv­ent deux objec­tifs. Le pre­mier est l’approche générale de notre par­ti con­cer­nant le référen­dum. Là-dessus, nous nous con­cer­tons et échangeons avec nos mil­i­tants et sym­pa­thisants sur les out­ils à utilis­er pour y faire bar­rage. Le sec­ond axe de ces forums vise à sen­si­bilis­er les citoyens sur le car­ac­tère dis­crim­i­na­toire et mono­lithique de ce bloc poli­tique fas­ciste et de son homme prov­i­den­tiel, avide de pleins pou­voirs. Bien sûr, une telle idée de la poli­tique, inca­pable de représen­ter l’ensemble de la société en Turquie ne peut sat­is­faire le HDP. Ce n’est pas seule­ment un prob­lème pour les Kur­des mais pour le peu­ple turc en général. Mal­gré le peu de cou­ver­ture médi­a­tique dont nous béné­fi­cions, nous faisons de notre mieux pour que cha­cun prenne con­science de la grav­ité d’un tel projet.

Que vous inspire R.T. Erdoğan lorsqu’il affirme : « C’est moi ou le chaos. » ?

Cela remet tout sim­ple­ment en cause le droit fon­da­men­tal de choisir libre­ment, tout en ren­forçant notre volon­té d’établir un sys­tème d’autonomie démoc­ra­tique en Turquie. Erdoğan affirme ici son car­ac­tère autori­taire, croy­ant pou­voir à lui seul résoudre les prob­lèmes du pays alors qu’il en est en par­tie la cause. Nous auri­ons aimé voir au sein du gou­verne­ment actuel les principes de base d’un Etat de droit. Ce n’est pas le cas et comme je le dis­ais, cela ne fait qu’affermir notre déter­mi­na­tion à ancr­er la ges­tion des affaires publiques à un niveau local. Ce désir de pou­voir hégé­monique, où l’humain n’est pas libre et le peu­ple opprimé, est un dan­ger pour la Turquie et le Moyen-Orient.

Dans un tel con­texte ne craignez-vous pas de vous oppos­er à un prési­dent qui ne se soucie d’aucune règle démocratique ?

La peur est inhérente à cha­cun, elle varie selon les per­son­nes et les évène­ments. Moi, en tant qu’homme qui aime la vie, je n’ai pas peur de m’exprimer, de dire ce que je pense. Ma plus grande crainte en fait, c’est l’ignorance. Le peu­ple kurde a beau­coup don­né, beau­coup souf­fert en se bat­tant pour la lib­erté et nous en avons payé le prix au tra­vers d’un géno­cide, étalé sur plusieurs dizaines d’années. Mal­gré cela, les intim­i­da­tions, les des­ti­tu­tions de maires et les incar­céra­tions, je n’ai pas peur, au con­traire. Je suis heureux et fier de lut­ter depuis le début des années 90 pour la lib­erté et le droit au savoir, pour notre peu­ple mais pas seulement.

Red­outez-vous d’éventuelles vio­lences à mesure que le référen­dum se rapprochera ?

Plus que le référen­dum en lui-même, ce sont les jours et les semaines le précé­dant qui m’effraient le plus. Nous savons que l’AKP et cer­tains de ses som­bres alliés n’hésitent pas à recourir à la vio­lence, aux atten­tats. Répan­dre la peur au sein de la pop­u­la­tion, peu de temps avant qu’elle ne se rende aux urnes, per­met à ce pou­voir dic­ta­to­r­i­al de se pos­er en pro­tecteur face à la men­ace ter­ror­iste.… Une tac­tique « poli­tique » cynique et meur­trière qui a déjà fait ses preuves, mal­heureuse­ment. Je fais ici référence aux deux élec­tions lég­isla­tives de juin et novem­bre 2015, à chaque fois précédées d’attentats d’envergure visant la com­mu­nauté kurde, que ce soit à Diyarbakir ou Ankara. A chaque fois le gou­verne­ment a pointé du doigt Daesh pour ces attaques con­tre la démoc­ra­tie, sans que celui-ci ne les revendique…

Quel regard portez-vous sur l’Union Européenne, que l’on entend peu sur la sit­u­a­tion actuelle en Turquie ?

Il y a quelques temps, l’UE était forte­ment impliquée pour trou­ver une solu­tion à la ques­tion kurde, assur­ant un rôle de médi­a­teur entre le gou­verne­ment et les dif­férents acteurs impliqués. Plus récem­ment, elle a envoyé une équipe réduite au min­i­mum en Turquie, afin d’établir un rap­port sur la sit­u­a­tion actuelle et les plans poli­tiques de l’AKP. Rap­port dont l’écho est resté bien insuff­isant, au regard des con­di­tions dans lesquelles évolue la société civile turque. En fait, l’UE sem­ble obnu­bilée par le reflux poten­tiel de ter­ror­istes sur son ter­ri­toire en prove­nance des zones con­trôlées par Daesh. A ce titre, elle n’hésite pas à détourn­er le regard des affaires intérieures de la Turquie tant que celle-ci con­tient cette men­ace ter­ror­iste et le flux de réfugiés. Je le com­prends tout à fait, mais cela ne jus­ti­fie pas ce manque cri­ant de fra­ter­nité et d’humanité à l’égard d’un peu­ple voisin, qui vit sous une chape de plomb. La sit­u­a­tion est très grave. J’espère qu’en Europe, les sociétés comme les indi­vidus com­pren­nent que notre lutte ne con­cerne pas seule­ment le droit des Kur­des en Turquie. Nous défendons les droits civiques naturels de tout citoyen ain­si que le droit à la dif­férence, à l’émancipation indi­vidu­elle, que l’on soit Turc, Kurde, homo­sex­uel, Alévi, fémin­iste, LGBT… Notre com­bat est celui de tous ceux qui ambi­tion­nent de voir un jour s’élever une vraie démoc­ra­tie, en Europe et à tra­vers le monde.


Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Kedistan’ın tüm yayınlarını, yazar ve çevirmenlerin emeğine saygı göstererek, kaynak ve link vererek paylaşabilirisiniz. Teşekkürler.
Kerema xwe dema hun nivîsên Kedistanê parve dikin, ji bo rêzgirtina maf û keda nivîskar û wergêr, lînk û navê malperê wek çavkanî diyar bikin. Spas