Nous avons avec enthousiasme soutenu l’initiative de faire une “ballade bretonne” pour faire connaître le sort que réserve le régime AKP en Turquie à Aslı Erdoğan et aux intellectuels, et bien au delà à tous ses opposants.
Cette tournée, à la fois “piste” littéraire et politique, s’est achevée à Douarnenez, après avoir essaimé dans sept lieux différents dans les villes bretonnes.
Mais comme nous ne pouvions faire dans l’auto-congratulation, qui certes fait plaisir, nous élargissons plus avant le propos sur cette campagne de soutien à Aslı Erdoğan, qui a pris essor en novembre et a retenti sur 3 continents. Nous tirons notre propre bilan depuis octobre.
La personnalité même d’Aslı Erdoğan, auteure et écorchée vive, décrivant au travers de ses textes sur la Turquie une part de réalité sombre et inhumaine, ne pouvait guère laisser indifférents tous les humanistes. Le fait qu’elle ait été emprisonnée, puis menacée d’une peine de prison à vie incompressible, devait mobiliser tous les défenseurs de la liberté d’expression et des droits humains, et les “professions” qui en font leur combat de tous les jours… Le fait enfin, que les actes d’accusation la concernant soit directement tirés des textes qu’elle a écrit pour le journal Özgür Gündem, se devait aussi de mobiliser la diaspora kurde militante ici.
Il y a toujours un fossé entre la réalité et ce qu’on pouvait attendre.
Factuellement, les premières réactions à l’incarcération d’Aslı Erdoğan mi 2016, furent celles des milieux dit “littéraires”, et principalement les forums du livre, les festivals, les associations d’écrivainEs, les éditeurs, au premier rang desquels les Editions Actes Sud… et nous en oublions. Prises de positions, adresses internationales aux “autorités”, pétitions, furent alors lancées, en pleine période estivale… Il fallu attendre novembre pour que des relais plus larges se manifestent, et plusieurs purges successives supplémentaires en Turquie.
L’allumette qui enflamma un public “sensibilisé” aura surpris nombre d’entre nous. Des appels, ceux de Tieri Briet, relayés par des revues surtout “littéraires”, complétèrent celui lancé par Aslı Erdoğan elle même et que nous avions traduit ici même, en plus d’un voeu pieux dont nous doutions nous mêmes de la portée. D’autres articles de presse, ça et là, et il faut souligner le rôle joué par le Pen Club ici, Amnesty là, ont apporté les brindilles nécessaires et indispensables au feu commun qui brûla.
Nous ne comptons plus les “soirées” organisées autour de lectures des oeuvres d’Aslı Erdoğan, prétextes chaque fois à élargir le contexte, à débattre de la situation en Turquie, rompant ainsi le silence assourdissant des gouvernements.
Du Chiapas à l’Australie, de l’Italie, Suisse, France, Espagne, Belgique, République Tchèque, Pologne, Grande-Bretagne, Allemagne… au Québec, à des degrés divers, l’attitude de la Turquie envers son opposition et ses intellectuels fut mise en lumière, par paquets de dix, vingt, centaines de personnes, qui ne se seraient pas mobilisées à l’appel de partis politiques, mais là se sont prises en main pour développer une solidarité humaniste, et aborder de plein fouet une compréhension politique de ce qui nous concerne tous, avec l’instauration en Turquie d’un régime fascisant. Cela peut sembler totalement dérisoire, mais pourtant les “médias” mainstream s’y sont intéressés, et ont, lors du procès de décembre, enfin rompu le silence convenu, les uns après les autres.
Il y a eu toutes ces revues, ces magazines en ligne, que nous ne citerons pas pour ne pas en oublier, mais que nous saluons pour leur ténacité. Il y a eu ces “journalistes”, en recherche de “détails” et n’allant pas à l’essentiel, et puis ces “importants”, toujours prêts à signer de leurs noms, à répondre à une radio, à parler sans jamais rien faire, si présents et toujours absents…
Les relais sur les réseaux sociaux et les librairies ou médiathèques y sont aussi pour quelque chose. Et si parler d’Aslı Erdoğan est devenu “tendance”, nous ne bouderons pas. On croit même savoir que des “politiciens” s’y intéressent depuis peu et vont bientôt faire leur “appel” de mars… tardif, électoraliste, certes, mais bon…
Nous avons avec nos forces réduites, contribué à l’information, aux contenus, et aux coordinations nécessaires. Nous aurions espéré bien-sûr davantage de relais autour de nous, sur les réseaux sociaux notamment, de la part de pages et sites qui, logiquement, auraient du s’emparer de cette mobilisation… Nous n’y reviendrons pas, c’est peine perdue. Les réseaux sociaux sont ce qu’ils sont…
Le “nuage” médiatique s’éloigne peu à peu, les copiés collés s’oublient, et l’attention médiatique se reporte ailleurs. C’est la loi du genre.
Mais il ne se passe pourtant pas un jour où la répression en Turquie ne re-surgisse pas dans les colonnes de magazines. On ne sait si c’est le zèle d’Erdoğan lui même qui veut ça, où l’ouverture qu’a constitué Aslı Erdoğan pour la sensibilisation de “rédactions”… Prenons acte du fait qu’à la veille d’élections nationales en France, par exemple, la Turquie ne soit plus “exotique” en politique ou un simple “pas de ça dans l’Europe”, mais sujet de débats géopolitiques, malgré la persistance à cacher le sale accord sur les réfugiés.
La fenêtre ouverte sur le Moyen-Orient et ses guerres, s’est donc accompagnée d’un focus particulier sur les otages politiques en Turquie, et au delà, la nature de son régime. Cela encourage fortement à persister.
Mais il faut bien parler de ce qui ne débouche pas sur une sensibilisation et une mobilisation plus conséquente, et qui surtout soit source de “pressions” fortes venues des opinions publiques à l’encontre des “politiques”.
Commençons par la non convergence des combats autour de la Turquie.
Elle tient en Turquie même à la polarisation politique, à l’histoire politique des partis et réseaux d’opposition… et forcément, rejaillit et se manifeste ici, quand de surcroît, les mêmes divisions pensées “insurmontables” existent aussi. S’il était plutôt souhaitable de ne pas retrouver dans cette mobilisation sigles, drapeaux et tribuns, on constate néanmoins que ceux-là sont largement restés bras croisés de leur côté, fort occupés sans doute à des querelles nationales plus fondamentales.
Les montées nationalistes xénophobes, l’islamisme politique et les exactions d’un Etat-nation poussé à son paroxysme devraient pourtant inspirer nos réflexions sur la “démocratie”, paraît-il choix fondamental proposé dans les urnes bientôt. Mais ne nous égarons pas. Prenons seulement en compte l’éparpillement généré ainsi.
Nous aurions pu attendre également davantage de prises de conscience dans les mouvements qui représentent ici l’opposition kurde dans la diaspora, du fait que cette fenêtre ouverte permettait une “expression” et une “pédagogie” sur leur combat. En dehors d’associations kurdes proches et d’amis, notamment en Bretagne, ce ne fut guère le cas. Là aussi, on comprend comment cette “division” dans les résistances se manifeste en Turquie. Nous l’avons ici sous les yeux. Le HDP a une tâche colossale pour faire comprendre cette nécessité d’union, comme il a su le faire sur place. Mais il faudrait écrire l’histoire politique et le décalage existant entre les diasporas anciennes et les résistances nouvelles en Turquie, pour mieux aborder ces isolements quasi “protecteurs”. Ajoutons les porosités politiques avec la gauche européenne divisée, clientéliste, source d’esprit de chapelles, et en plus, ce climat d’ostracisme vis à vis des “immigrés” quels qu’ils soient, en Europe, et le communautarisme, nous avons la mesure des difficultés. Et si nous n’ignorons pas le problème de la langue, qui rend le débat et l’information difficile, l’empressement des “passeurs” des associations à élargir les convergences nous semble pourtant peu présent.
Aslı Erdoğan est une écrivaine… certes. Ce pourrait être une “turque blanche”, comme il se dit en Turquie. A l’évidence, et tous ses écrits le prouvent, ce n’est pas vraiment le cas. Rappeler simplement qu’elle fut de celles qui se levèrent pour Kobanê devrait aussi suffire…Défendre à travers elle, les intellectuelEs, les journalistes, les avocatEs, et bien au delà les éluEs d’opposition, les contre pouvoirs, ce n’est pas pour autant oublier les “prolétaires”, les LGBTI, les femmes, les autres minorités réprimées…
La souffrance des peuples de Turquie a pourtant généré des replis sur son “camp” dont Erdoğan tient son pouvoir, en plus de la polarisation du politique.
Nous sommes prêts à entamer le débat sereinement avec les associations qui reproduisent parfois ces replis, voire les cultivent. C’est, nous semble-t-il comme observateurs et acteurs, un décalage entre ce qu’est le HDP en Turquie, et la dynamique démocratique qu’il constitue toujours malgré la répression féroce, le projet de confédéralisme qu’il porte, et l’histoire et l’évolution politique trop lente des mouvements dans la diaspora, rattachée à des pratiques politiques des années 1990, parfois bien éloignées.
Ce débat politique n’est pas vraiment de notre ressort, mais alors que nous sommes parties prenantes de mobilisations qui concernent la Turquie et la répression contre ses intellectuels, et représentantEs de ses minorités, il arrive malgré tout sur la table devant nous… Öcalan n’est-il pas le premier otage politique de Turquie ?
La défense de tous est aussi celle d’un seul, et vice versa. Et cette convergence est absente aujourd’hui, c’est un fait. Il n’est pas pire que des querelles de clochers et de minarets pour asseoir le pouvoir du Palais.
Continuons par celles et ceux que nous avons aussi perdus “en route”, mobilisés exclusivement autour d’Aslı Erdoğan, et peu désireux de dépasser le “convenu” d’une mobilisation strictement littéraire… Nous ne désespérons pas que cet “apolitisme” de bon ton disparaisse, lorsqu’en mars, l’échéance des nouveaux procès se précisera. Décidément, un Camus nous manque terriblement…
Cette campagne de mobilisation se poursuit pourtant, et il ne se passe pas un jour sans qu’une nouvelle “petite” initiative ne voit le jour. Et celles-ci doivent être l’occasion, non seulement de parler de TOUS les otages politiques, mais aussi des “massacres” au Bakur qui se poursuivent et du ballet incessant des gardes à vue et incarcérations, comme de la torture qui a repris une place reine…
Et même si nous n’avons aucune légitimité à le faire, comme magazine d’informations, nous ne cesserons pas, tant qu’il y aura unE humaniste pour nous entendre, de plaider pour une convergence de toutes ces sensibilisations, initiatives, combats, petits et grands. Car ces combats nous concernent tout autant ici.
Et que se poursuive au delà de cette “ballade” ces prises de conscience de ce qui se passe au Moyen-Orient et par “ricochet” ici.
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