Autour du 7 février, par une déclaration, le gouvernorat de Mardin annonçait une opération militaire dans différentes localités, dans le district de Nusaybin, et la mise en place “provisoire” de couvre feux. Koruköy est de celles-là.
Le motif donné par les autorités régionales était celui d’une opération de recherche “antiterroriste”, de renseignements, et pour mettre fin à des “refuges et caches d’armes”. Les localités concernées étaient des villages, au nombre de 11, dont Koruköy (ou Kuruköy, Xerabê Bava de son nom kurde).
Ces opérations de “nettoyage” et de mises sous siège durant plusieurs jours, par des forces spéciales turques dont on connaît les méthodes, les crimes et les exactions depuis un an, avaient ralenti depuis quelques mois, d’autant que certains de ces corps militaires et leurs supplétifs, officiaient ailleurs depuis l’irruption de l’armée turque en Syrie via Jerablus, et que le putsch manqué de juillet 2016 et les purges qui ont suivi, avaient privé depuis de chefs, certaines chaînes de commandements.
Ce répit dans les sièges et destructions au Bakur aura donc été de courte durée, et les forces de répression se sont visiblement “rattrapées” ces jours derniers, renouant avec les méthodes de terreur, interrogatoire, torture, assassinat d’humains et d’animaux, menaces armées sur les familles et les enfants, privations alimentaires et en eau, incendies… Une panoplie des crimes de guerre désormais récurrente employée contre les populations kurdes, et qui n’a rien à envier à celle des régimes militaires des années 80/90.
Lors de notre dialogue à distance récent avec Zehra, une amie journaliste d’ Amed, le 16 février, nous apprenions :
Ce soir, maintenant, je peux vous donner cet exemple. Depuis le 11 février, 11 villages de Nusaybin sont mis sous couvre-feu, et nous ne pouvons prendre aucune nouvelle des villageois. Il y a cinq minutes, nous avons appris que trois villageois avaient été exécutés. Nous ne pouvons, ni nous rendre sur place, ni nous informer sur l’identité de ces personnes. Nous avons pu apprendre de nos sources, des villageois, par des moyens détournés, seulement le fait que trois villageois aient été exécutés. Mais qui sont-ils ? Nous ne le savons pas. En tant que journalistes nous n’arrivons plus à faire notre travail. Si on se rendait sur place, nous serions nous aussi exécutéEs. Nous sommes désormais sûrs de cela. Nous ne disons plus “peut être, c’est possible”, nous disons “Si nous le faisons, nous serons tués”.
Et il est encore très difficile de documenter ce qui s’est déroulé en détail à Koruköy. Les quelques témoignages sont fragmentaires. Les images atroces volontairement postées sur les réseaux sociaux par les forces armées, pour terroriser et se vanter de leurs “exploits” sont peu vérifiables, de telles images d’horreur tournant en boucle sur les réseaux sociaux, rattachées à tel ou tel massacre commis depuis plusieurs dizaines d’années.
Certains chiffres sont “officiels”, et sont sans nul doute sous estimés.Le bilan serait de 3 morts, 40 arrestations et 2 “disparus” depuis une semaine… ainsi que plusieurs maisons incendiées et des animaux tant de compagnie que d’élevage abattus ou égorgés. Des allégations de sévices à caractère sexuel sont avancées, tout comme des prises en otage de villageois et d’enfants.
On peut imaginer tous les sévices sortis de l’imagination de forces spéciales militaires, pour faire “parler” les populations et faire signer à des personnes qui ne lisent pas le turc des “actes d’accusation” utiles à d’autres affaires… La barbarie en ce domaine n’a pas de limites.
Mais ne comptez pas sur nous pour partager les images de corps suppliciés, et participer ainsi de la propagande des barbares fascistes.
Et là, les forces de répression n’auront pas l’alibi de “combattants” qui auraient creusé des “fossés”… Ce fameux argument qui sert de justification à toutes celles et ceux qui ont préféré condamner la stratégie de guérilla au Bakur en 2015/2016 du PKK, plutôt que dénoncer la stratégie de guerre du régime AKP pour consolider son pouvoir…
En ce sens, notre titre ne se justifierait pas, car il n’y a pas eu de “combats” à Koruköy, pas même d’auto défense, mais un “nettoyage” en territoire majoritairement kurde. Ces crimes, lorsqu’ils pourront être documentés, si les traces ne sont pas effacées, relèveront sans doute de la caractérisation juridique de “crimes contre l’humanité”. Mais qui s’en souciera ?
Nous traduisons ci-dessous quelques sources fiables et vérifiées, sur ce massacre qui peut devenir dans la mémoire collective un nouveau Cizre.
Appel pour Koruköy
Une dizaine de villages de Nusaybin sont sous couvre-feu depuis le 11 février, et Koruköy, ou en kurde Xerabê Bava, en fait partie. Le village a une population d’environ 500 personnes.
Suite au manque d’informations, de nouvelles sur des exécutions sommaires, incendies volontaires et tortures, une délégation composée des députéEs, éluEs et responsables du DBP et du HDP s’est mise en route pour se rendre à Koruköy. Bloquée 15 km avant le village, la délégation attend depuis 3 jours. Une deuxième délégation de membres et responsables du IHD (Association des droits humains, présidée par Eren Keskin) et du Barreau de Diyarbakir, est également partie pour se rendre à Koruköy.
Erol Dora, député de Mardin du HDP, faisant partie de la délégation a déclaré que les tentatives de joindre le Préfet de Mardin sont restées sans résultat.
Nous essayons toujours d’atteindre le village. Notre contact avec nos proches se trouvant à Koruköy est totalement coupé. Nous avons été informés que les hommes présents dans le village auraient été réunis et tenus sous surveillance. Il y a des femmes âgées qui sont restées dans le village, et elles ne sont pas autorisées à sortir de leur maisons. Nous avons appris que deux personnes auraient été blessées et hospitalisées.
Les équipes spéciales militaires et policières qui se trouvent dans les villages, sont hébergées dans les maisons vidées de leurs habitants. Nous avons appris que les militaires et policiers forcent les villageois pour se faire servir des repas, du thé… On nous apprend que les villageois ne sont pas autorisés à subvenir aux besoins les plus fondamentaux. Ils ne sont même pas autorisés à regarder par la fenêtre. Les autorités de l’Etat que nous essayons de contacter pour demander si ces informations sont confirmées, ou non, laissent nos démarches sans réponse.
Nous avons peur pour la vie des habitants du village. Nous continuerons nos démarches et efforts jusqu’à ce qu’on puisse enfin prendre des nouvelles du village.
Nous appelons les associations de droits humains, les organisations de société civile et l’opinion publique à la solidarité pour empêcher un massacre toujours possible.
Leyla Güven, La coprésidente du Congrès Démocratique Populaire (Kongreya Civaka Demokratîk) membre de la délégation sur place, parle d’une communication téléphonique avec une femme vivant dans Koruköy. “Pour la faim, on tient encore, mais nous mourrons de soif. Parmi nous, il y a des enfants, des personnes âgées et des malades…”
Mehmet Arslan, Vice-Coprésident du DBP, s’est exprimé à son tour et il a également parlé des photographies de corps calcinés qui avaient été publiées dans les réseaux sociaux :
Nous nous sommes fait bloquer à 15 km du village. Bien que nous avons exprimé nos craintes, nous n’avons pas été autorisé à y entrer. Nous avons pu communiquer avec une personne qui avait réussi à quitter le village pour accompagner un de ses proches malade. Il nous a dit qu’une femme était portée disparue et qu’il craignait qu’elle soit tuée. Il a exprimé que la plupart des hommes du village sont mis en garde-à-vue, et qu’il ne sait pas où ils ont été emmenés, et a ajouté que ceux/celles qui sont restés au village sont lourdement torturés. Il a également confirmé que les personnes brûlées qui figurent sur les photos partagées sur les médias sociaux sont bien des civils vivant à Koruköy.
Par ailleurs, concernant la situation à Koruköy, le HDP a fait un appel aux organisations internationales.
Parallèlement, au Parlement, le député HDP de Mardin, Ali Atalan a adressé au ministre de la défense et des affaires intérieures, une question sur 16 points bien précis.
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- Alors que le couvre-feu est officiellement levé, pourquoi la situation de blocus continue-t-elle sur les villages en question ?
- Dans les localités de Mardin, mises sous couvre-feu à partir du 11 février 2017, combien de personnes ont été mis en garde-à-vue, et avec quels motifs ?
- - Mardin, combien d’enfants, de malade et de handicapéEs se trouvent parmi les personnes mises en garde-à-vue à partir du 11 février 2017 ?
- Dans les localités de Mardin, mises sous couvre-feu à partir du 11 février 2017, combien de personnes ont perdu la vie ? Quelles sont leur identités et quelles sont les causes de décès selon les rapports des légistes ?
- Quelles sont les raisons du fait que les villageois aient du attendre durant des heures dans le froid, et qu’ils ne soient même pas autorisés à aller aux toilettes, lors des opérations démarrées le 11 février 2017 à Mardin ?
- Est-il vrai, que les villageois aient été fouillés à corps, nus, sur la place du village, et sans différencier, homme, femme, enfants, vieux, et aient subi des tortures ? Quelles sont les raisons pour ces pratiques contraires au Droit et à l’honneur humain ?
- Quelles sont les raisons du fait que des documents dont les villageois ne connaissent pas le contenu leur aient été fait signer par la force, y compris à celles et ceux qui sont illettréEs ?
- De qui les autorisations ont été obtenues pour que les militaires et forces spéciales puissent utiliser certaines maisons comme quartier général ? Est-il vrai que les biens (affaires/meubles) sont confisqués par la force ?
- Les forces spéciales considèrent-elles les enfants comme des menaces ? Les informations reçues relayant le fait que les enfants sont menacés, avec une arme pointée sur la tête ?
- Qui sont-elles, les forces spéciales qui menacent les femmes du village en disant “Si vous racontez ce qu’on fait, on vous fera exploser” ?
- Cette menace ferait-elle partie des “précautions prises afin d’assurer la sécurité de vie et des biens de nos citoyens” ?
- Quel est l’objectif de l’utilisation arbitraire de gaz dans les habitations, alors que les villageois permettent les fouilles des maisons ?
- Quels types de menaces est-ce que l’utilisation arbitraire de gaz sur les animaux, et la mise en incendie des étables ?
- Comment considérez-vous les thèses qui parlent des pressions faites sur les villageois pour qu’ils deviennent des ‘korucu’ [milices armés par l’Etat] ou des indicateurs ?
- Pensez-vous ouvrir une enquête administrative et juridique sur les allégations cités ci-dessus et les auteurs qui ont commis ces crimes ?
- Concernant les forces de sécurité, avez-vous un quelconque travail de formation, contre la torture physique, sexuelle et psychologique, dans l’objectif d’une prise de conscience des droits humains, et d’une responsabilisation ?
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Que faire à distance, alors que même l’opposition démocratique en Turquie est réduite à l’impuissance par la force armée ?
Que faire alors que d’autres sont absorbés par la campagne du NON au référendum et ne sont pas informés en Turquie, même des massacres qui continuent ? Et qu’en Europe ont prépare des votations en tous sens…
Sur place, les militants ont lancé le hashtag Twitter #NusaybindeKatliamVar (Il y a un massacre à Nusaybin). Ils tentent ainsi de rompre le silence complice. D’autres #StopWarCrimesInKorukoy ou Kurukoy sont utilisés également.
Nous ne pouvons qu’informer, dénoncer, faire du bruit, le plus largement possible, ensemble. Partagez ces informations sur vos réseaux, merci…
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