Arrêté dans le cadre de l’af­faire “Oda TV” le 6 mars 2011, relâché le 12 mars 2012 après une année passée der­rière les bar­reaux, Ahmet Şık a été arrêté une nou­velle fois le 29 décem­bre dernier, en étant accusé dans le même temps de pro­pa­gande pour le mou­ve­ment Gülen (FETÖ) et pour le PKK (par­ti des tra­vailleurs du Kurdistan).

Il com­para­is­sait devant le tri­bunal le 15 févri­er. Et dans sa plaidoirie, loin d’es­say­er de sauver sa peau, il n’a pas mâché ses mots. Alors for­cé­ment, on applau­dit des deux mains le courage d’Ah­met Şık, qui sait bien qu’il n’a rien à per­dre à énon­cer des vérités. Prochaine audi­ence, le 12 avril.


« La Turquie est un pays de bizarreries. Avec de nom­breuses aber­ra­tions, à toutes les épo­ques. Reste qu’il n’y a pas eu une seule péri­ode où cha­cune des règles uni­verselles de démoc­ra­tie a été abrogée et réin­ter­prétée, jusqu’à servir tout l’op­posé de la démoc­ra­tie, à savoir les intérêts d’une bar­barie organ­isée. George Orwell doit prob­a­ble­ment se retourn­er dans sa tombe en ce moment, tant ce qu’il racon­tait dans “1984” fait penser à la Turquie d’au­jour­d’hui. Pour ceux qui trou­vent mes pro­pos exagérés, je vais tâch­er de lis­ter ce qui me vient à l’esprit.

Com­mençons par l’ex­em­ple le plus proche. La dic­tature d’un seul homme, qui rendrait jaloux les juntes passées et présentes avec sa répres­sion sévère et son autori­tarisme, mais déguisée en démoc­ra­tie. Un référen­dum que l’on veut faire adopter en pré­tex­tant une “volon­té nationale”, dans des con­di­tions inéquita­bles et faussées, où la presse est presque entière­ment muselée et asservie, où ceux qui dis­ent “non” sont qual­i­fiés de “ter­ror­istes”, et où per­son­ne ne doute que les résul­tats seront manipulés.

Nous avons tous été témoins de la façon dont la volon­té nationale déclarée lors des élec­tions générales du 7 juin 2015 a été ignorée, parce qu’elle menaçait l’ex­is­tence du pou­voir oli­garchique. Il n’a pas hésité un instant à se lancer dans un nou­veau bain de sang, quand il a décidé que la nation avait exprimé sa volon­té en tirant de mau­vais­es con­clu­sions. Tout le pays est devenu un cimetière à la fin du “proces­sus de paix”, pour lequel il avait d’abord promis de pren­dre tous les risques et toutes les mesures nécessaires.

Ceux qui veu­lent nous faire croire que ce que nous avons finale­ment atteint, avec notre développe­ment démoc­ra­tique, est une “démoc­ra­tie avancée”, affir­ment égale­ment que la lib­erté de presse ne s’est jamais mieux portée en Turquie, en util­isant des apho­rismes tels que “Nous vous avons libéré de vos laiss­es”. Des organ­ismes nationaux et inter­na­tionaux font cepen­dant remar­quer que la Turquie est aujour­d’hui la plus grande geôle du monde pour les jour­nal­istes. Nous devri­ons égale­ment recon­naître que c’est le pays qui com­porte le plus de vio­la­tions à la lib­erté d’ex­pres­sion, par­mi les 47 Etats mem­bres du Con­seil de l’Europe.

Ces dix dernières années, les mots “com­plots” et “com­plo­tistes” sont les mots qui ont été le plus fréquem­ment util­isés par le gou­verne­ment et ses par­ti­sans. Toute action con­tre le gou­verne­ment a été dénon­cée comme un “com­plot”, et tout opposant éti­queté comme un “com­plo­tiste”. Reste que dans la longue his­toire poli­tique turque des coups d’É­tat mil­i­taires, à l’ex­cep­tion du mémoran­dum du 28 févri­er 1997, toutes les juntes ont été admirées par les islamistes en Turquie.

Alors que les insti­tu­tions de la junte du 12 sep­tem­bre 1980 s’é­taient main­tenues et avaient ren­for­cé leurs posi­tions, alors que son esprit fas­ciste s’é­tait infil­tré en pro­fondeur dans l’E­tat, le fait que des islamistes ayant ten­té un coup d’E­tat soient con­sid­érés comme des “com­plo­tistes et des putschistes” était plutôt intéres­sant. Le pays avait sup­posé­ment “démil­i­tarisé” l’E­tat à tra­vers des procès ini­tiés il y a 10 ans. Ces affaires avaient été mêlées à des dossiers trai­tant de con­tre-guéril­la, sans men­tion­ner les véri­ta­bles crimes. Plus intéres­sant encore, ceux qui avaient pris part à ces com­plots, avec le sou­tien poli­tique de l’AKP, ont été présen­tés comme des com­plo­tistes il y a seule­ment sept mois – et leurs soi-dis­ant sup­port­ers «religieux et vin­di­cat­ifs» ont été armés par le gou­verne­ment lui-même, par­al­lèle­ment à la purge de l’ar­mée. Le gou­verne­ment, qui a trans­for­mé la ten­ta­tive sanglante de son ancien com­plice – ten­ta­tive lais­sant beau­coup de ques­tions sans répons­es – en une oppor­tu­nité “bénie des Dieux”, a mis en place un régime de junte à ren­dre jaloux les encom­brants putschistes. En somme, les répons­es à des ques­tions comme “Qu’est-ce qu’un com­plot?”, “Qui est putschiste?”, “Com­ment se passe la démil­i­tari­sa­tion?” sont dif­férentes suiv­ant l’en­gage­ment poli­tique de cha­cun, bien que ces ques­tions aient des répons­es sim­ples dans les vraies démocraties.

Le plus grand para­doxe de cette illu­sion de démoc­ra­tie, que l’on pour­rait illus­tr­er par beau­coup d’autres exem­ples, est le Par­ti de la jus­tice et du développe­ment (AKP) lui-même. Il représente la nuit noire, bien que son emblème soit une ampoule lumineuse. Il appelle développe­ment le fait de piller les ressources de l’É­tat et du pays, de plomber la république. Bien qu’il y ait beau­coup d’autres exem­ples sem­blables à celui-ci, un seul suf­fit à expli­quer ce que sig­ni­fie le mot «jus­tice» pour lui. Je vais en faire un résumé, mais tout d’abord, il con­vient d’at­tir­er l’at­ten­tion sur une autre injus­tice dont j’ai été victime.

Cer­taines per­son­nes qui devraient être ici; deux de mes avo­cats, Bülent Utku et Akın Ata­lay, et leur col­lègue Kemal Gün­gor, ne sont pas présents. De même, ne sont pas présents des col­lègues qui m’ont accom­pa­g­né tout le temps de ma déten­tion : Murat Sabun­cu, Kadri Gürsel, Gökay Öz, Turhan Günay, Hakan Kara, Musa Kart et Önder Çelik. En rai­son d’une enquête qui vise notre jour­nal Cumhuriyet, afin d’in­ten­ter un procès au jour­nal­isme sous pré­texte d’un com­plot qui ressem­ble à celui de ce dossier, ils sont en déten­tion depuis 108 jours.

L’en­quête judi­ci­aire a été lancée par le pro­cureur Murat İnam, qui lui-même est aujour­d’hui un “sus­pect FETÖ”. Et celui qui a chargé İnam de l’ac­cu­sa­tion est İrf­an Fidan, pro­cureur général de l’E­tat d’İst­anb­ul. Or on dit que le frère de Fidan tra­vaille pour le mou­ve­ment de Gülen (appelé “FETO”), étant chargé de la for­ma­tion des pro­fesseurs au dis­trict de Fat­sa, dans la province d’Or­du. Voilà qui sont ceux qui accusent mes avo­cats et mes col­lègues, der­rière les bar­reaux depuis 108 jours, soi-dis­ant parce qu’ils sont “mem­bres du FETÖ”.

J’ai été accusé dans ce procès d’un com­plot de la con­gré­ga­tion Gülen, et on s’at­tendait à ce que mon cas, comme celui de mes co-inculpés, soit rejeté. Mais au lieu de cela, j’ai été accusé dans une autre affaire, cette fois de “pro­pa­gande pour FETÖ”. Dans ce dossier, qui devrait bien­tôt être clos, ce sont de nou­veau mes activ­ités jour­nal­is­tiques qui font l’ob­jet de l’en­quête. Cela indique qu’il n’y a aucun pou­voir judi­ci­aire autre que celui des pro­cureurs et des juges de la Con­gré­ga­tion Gülen, c’est-à-dire des “mankurts”. À l’époque, j’é­tais égale­ment détenu unique­ment pour taire cer­tains crimes au pub­lic. Quoiqu’il arrive, on ne doit pas en douter, la vérité qu’on veut garder secrète en l’empêchant d’être écrite, racon­tée et enten­due, sera finale­ment révélée. Les crimes en Syrie, qui por­tent les empreintes du MIT (ser­vices de ren­seigne­ment turcs) ; un soulève­ment sanglant qui n’au­rait été qu’un com­plot con­trôlé pour créer le chaos tant néces­saire, tout sera cer­taine­ment écrit. Sous le règne du mal, nous avons besoin de la vérité plus que tout; parce que la vérité doit être dite, le mal ne peut pas avoir le dernier mot. Sachant que ne pas dire, ne pas se sou­venir et ne pas rap­pel­er serait un déni (répu­di­a­tion) de nous-mêmes; rap­pelons à tous l’é­ten­due du mal du passé récent jusqu’à ce jour.

S’il était lais­sé au pro­cureur et aux juges, ce procès aurait pris fin à la dernière audi­ence. Un dossier d’in­struc­tion écrit n’im­porte com­ment, évi­tant de décrire le prob­lème en ques­tion, essayant de dis­simuler les auteurs du com­plot et de dire “tout ce qui s’est passé s’est passé, oublions” a repoussé le ver­dict à une autre audi­ence. Le manque de rigueur dans la pré­pa­ra­tion de ce dossier a été tel qu’il a même omis cer­tains des noms des accusés.

J’ai lu un grand nom­bre d’actes d’ac­cu­sa­tion et de dossiers d’in­struc­tion, par­fois en tant qu’in­culpé en rai­son de mes activ­ités jour­nal­is­tiques, et par­fois pour mon méti­er. J’ai vu un grand nom­bre d’actes d’ac­cu­sa­tion qui étaient loin d’être dans la légal­ité, et dont je me dis­ais “cela ne peut pas être un acte d’ac­cu­sa­tion”. Surtout dans les procès poli­tiques, je peux facile­ment voir le côté poli­tique des actes d’ac­cu­sa­tion et des dossiers d’in­struc­tion deman­dant une con­damna­tion. Notam­ment un cas dans lequel l’acte d’ac­cu­sa­tion demandait ma con­damna­tion et le dossier d’in­struc­tion mon acquittement.

Même si le dossier d’in­struc­tion demande un acquit­te­ment, cela n’an­nule pas son car­ac­tère poli­tique. Ce dossier n’indique pas, ne décrit pas, n’ex­plique pas. Il reste silen­cieux. Il demande l’ac­quit­te­ment mais le cache. C’est un dossier qui ne men­tionne pas la con­gré­ga­tion Gülen par son nom, qui ne par­le pas de sa col­lab­o­ra­tion avec l’AKP, qui cache les rôles joués par Fethul­lah Gülen et Recep Tayyip Erdoğan. En tant que tel, ce dossier est un crime con­tre la vérité, tout comme l’acte d’ac­cu­sa­tion lui-même. Un tel dossier d’in­struc­tion ne devrait pas exister.

Depuis le début de l’en­quête, beau­coup de choses ont changé dans le dossier. De nom­breux développe­ments se sont pro­duits. Mal­gré la sit­u­a­tion pitoy­able du pou­voir judi­ci­aire, mes avo­cats, qui n’ont pas encore per­du leur foi en l’é­tat de droit, sont devenus le seul lien entre mon cas et la loi. Ils ont par­lé des droits et lib­ertés fon­da­men­taux, de leur impor­tance et de leur statut actuel. Ils ont expliqué pourquoi la lib­erté de pen­sée et d’ex­pres­sion, mais aus­si des médias libres, sont intouch­ables. Ils ont patiem­ment expliqué pourquoi le jour­nal­isme ne peut pas faire l’ob­jet d’un procès, et pourquoi le jour­nal­isme n’est pas un crime. Ils n’ont pas renon­cé à expli­quer leurs crimes à ceux qui ciblent la lib­erté de pen­sée et d’ex­pres­sion, qui essaient d’élim­in­er les médias libres, qui essaient de faire le procès du jour­nal­isme. Nous ne devons pas aban­don­ner, cela reste une nécessité.

Le “gou­verne­ment” n’est pas un con­cept vide de sens. Jusqu’à ce jour, ceux qui ont saisi les pou­voirs lég­is­latif, exé­cu­tif et judi­ci­aire ont répon­du par le sang et la bru­tal­ité aux deman­des de lib­erté, d’é­gal­ité, de paix, de jus­tice et au désir de vivre décem­ment, tout en abu­sant du sys­tème. Étant don­né que le gou­verne­ment a un passé sanglant, les efforts actuels de l’ad­min­is­tra­tion pour obtenir du peu­ple qu’il obéisse sans con­tes­ta­tion tout en adhérant à ses crass­es et sa ran­cune, sa com­plic­ité dans les crimes con­tre les médias et l’ac­cu­sa­tion de “réal­ité virtuelle”, devraient être soulignés et con­fiés à l’his­toire. Alors aux pro­cureurs de l’opin­ion qui dis­ent “oublions”, nous répon­dons “rap­pelons-nous”.

Dans cette affaire, il y avait des policiers, un gang por­tant des uni­formes de l’E­tat. Un gang qui a suivi des “enne­mis” ciblés, écouté et enreg­istré leurs con­ver­sa­tions télé­phoniques, saisi et piraté leurs ordi­na­teurs et leurs e‑mails. C’é­tait des policiers qui essayaient de faire de la pra­tique du jour­nal­isme un crime. Des policiers qui ont mon­té leurs rap­ports de police avec des preuves fabriquées.

Cette affaire avait un pro­cureur et des juges. Une “sacrée” mafia qui avait instru­men­tal­isé la reli­gion, des hommes armés de la con­gré­ga­tion de Gulen dans l’or­gan­i­sa­tion judi­ci­aire. Avec l’ap­pro­ba­tion et le sou­tien de l’actuelle admin­is­tra­tion, ils ont créé un véri­ta­ble enfer en util­isant la calom­nie, la diffama­tion, les potins, les men­songes, l’indé­cence et l’in­famie, et c’est ce qu’ils appel­lent un sys­tème judi­ci­aire “impar­tial et indépendant”.

Ils ont essayé de faire le procès du jour­nal­isme en men­tant effron­té­ment. Ce n’é­tait rien d’autre qu’une agres­sion prim­i­tive et organ­isée de gens qui ont aban­don­né non seule­ment leurs esprits cri­tiques et leurs per­son­nal­ités, mais aus­si leurs valeurs éthiques, leurs principes éthiques et leurs con­sciences au prof­it d’une per­son­ne et d’une men­tal­ité. Ils étaient nom­breux, mais rap­pelons nous de deux d’en­tre eux.

D’abord, Zek­eriya Öz. Ses ex-com­plices crim­inels, ses rivaux d’au­jour­d’hui, l’ont hon­oré comme un “héros” quand ils tra­vail­laient ensem­ble et d’au­cuns ont ten­té de le statu­fi­er. Désor­mais, la seule chose à dire à pro­pos de Zek­eriya Öz, pro­cureur en fuite, c’est qu’il résume som­maire­ment la mis­ère du sys­tème judi­ci­aire turc, qui n’a jamais et ne fait tou­jours pas régn­er la justice.

Autre cas, Mehmet Ekin­ci. Il était à la tête des rap­por­teurs de la cour, qui pré­tendaient nous “juger”. Il a signé les ordon­nances qui pro­longeaient la durée de notre empris­on­nement après chaque audi­ence. Ce même Mehmet Ekin­ci s’est immé­di­ate­ment enfui quand il a lui-même été accusé. Il était en cav­ale, avant d’être récem­ment inter­pelé. Affir­mant que “le patri­o­tisme est le dernier recours d’un scélérat”, il cri­ait en route vers la prison qu’il était un “patri­ote”.

Cette affaire avait ses politi­ciens. Util­isant les mécan­ismes de la démoc­ra­tie qu’ils méprisent, et avec le pou­voir qu’ils ont obtenu en se ser­vant de la reli­gion, ils ont trans­for­mé une organ­i­sa­tion mafieuse en parte­naire. Ils avaient une con­fi­ance totale dans leur com­plice avec la con­vic­tion qu’“ils visaient à attein­dre la même des­ti­na­tion” que la leur. En les aimant de tout leur cœur, ils “leur don­naient tout ce qu’ils voulaient”. Tous deux ont affir­mé qu’ils étaient religieux, mais leurs reli­gions et leur livre sacré ne por­taient que sur leurs pro­pres intérêts.

Ils ont men­ti en dis­ant qu’ils “demandaient aux par­ti­sans du coup de ren­dre des comptes”. Le pre­mier min­istre de l’époque procla­mait même qu’il était le “pro­cureur” des com­plo­tistes. Dire des men­songes pour leur cause était accept­able, donc ils l’ont fait. Même si l’on savait que nos lib­ertés étaient men­acées par des com­plots et que nos activ­ités pro­fes­sion­nelles étaient trans­for­mées en sujets d’in­ves­ti­ga­tion, ils ont essayé de cou­vrir leurs men­songes et leurs péchés avec le slo­gan qu’u­tilise toute dic­tature : “ter­ror­istes, pas jour­nal­istes”. Quand les deux com­plices sont tombés, après avoir pris le pou­voir par la fraude, les com­plots et les embus­cades, ils se sont dits “trompés”. Et s’agis­sant d’eux, ont dis­ait alors qu’ “ils avaient agi la main dans la main pour tromper tout le monde ensemble”.

Cette affaire a eu des sup­port­ers aveu­gles qui ont cru en leur légitim­ité, et d’autres qui ont réal­isé les injus­tices et s’y sont opposés. Il y avait aus­si ceux qui étaient con­scients des injus­tices, mais ont gardé le silence, par peur. Et c’é­tait eux les plus nom­breux. Comme aujour­d’hui, ils attendaient dans un silence assour­dis­sant que quelqu’un vienne les sauver des ténèbres dans lesquelles ils étaient tombés. Mais ils se sont enfon­cés encore plus loin dans les ténèbres en gar­dant le silence comme des spec­ta­teurs indis­tincts, devant ces infrac­tions sans fin. Bien-sûr, ce qui devait être fait était évi­dent, comme ça l’est aujour­d’hui: au lieu de rester asservis à des rêves irréal­istes, choisir la vérité et dire non à ces ténèbres oppressantes.

Cette affaire a eu ses jour­nal­istes. Ils étaient hum­bles. Ils ont revendiqué leur emploi et l’hon­neur de leurs col­lègues. Une poignée d’en­tre eux ont inscrit leurs noms dans l’his­toire, en devenant les meilleurs exem­ples d’ami­tié et de sol­i­dar­ité, en prenant toutes sortes de risques. Pour­tant, il y avait aus­si d’autres sortes de jour­nal­istes. Des jour­nal­istes impa­tients de devenir scélérats. Ils sont devenus par­tie prenante du crime en restant silen­cieux, en se déshon­o­rant et en inver­sant la vérité. Leur exis­tence dépendait du main­tien des déten­teurs du pou­voir. Leur loy­auté était fausse, mais leurs intérêts étaient réels. Ils ont donc été la voix de leurs pro­prié­taires. Ils ont mon­tré dans quelle mesure une per­son­ne peut déchoir, ils ont mon­tré l’é­ten­due de la per­fi­die, et la facil­ité avec laque­lle on peut se débar­rass­er de toute valeur éthique sans regret. Ils ont inscrit leurs noms dans l’his­toire, celui des “kapos” du XXIe siècle.

Nous étions les jour­nal­istes “sus­pects”, faisant l’ob­jet d’un acte d’ac­cu­sa­tion redéfinis­sant le jour­nal­isme et visant à lim­iter les fron­tières de la lib­erté de la presse pour le bien de leur étab­lisse­ment crim­inel. Nous avons été accusés pour nos reportages, com­men­taires, inter­views et livres pub­liés / non pub­liés parce que nous refu­sions de tomber dans le piège du pou­voir poli­tique, qui essayait de nor­malis­er son total­i­tarisme en façon­nant même le lan­gage courant. Nous avons pour­suivi la vérité, dont le droit d’ex­is­tence a été refusé face à l’obéis­sance. Nous savions que ceux qui se livrent à la peur con­tagieuse devi­en­nent des esclaves alors que les jour­nal­istes qui restent attachés aux faits en risquant leurs biens sont libres.

L’héritage le plus pré­cieux que nos prédécesseurs nous ont lais­sé, c’est d’avoir sig­nalé que ce que le pou­voir veut nous faire trans­met­tre n’est pas du jour­nal­isme. Ceux qui nous ont lais­sé cet héritage ont été punis par l’emprisonnement ou l’ex­il dans le passé. Quand ces châ­ti­ments échouaient, on a voulu les faire taire par des bombes ou des balles. Les cam­pagnes du pou­voir con­tre les jour­nal­istes exis­tent depuis l’émer­gence du jour­nal­isme sur ces ter­res. Pour­tant, ce sont des efforts inutiles.

C’est un fait. Qui que vous soyez, vous ne pou­vez pas lut­ter con­tre une idée qui tire sa puis­sance des faits. Même si vous le croyez, vous n’avez aucune chance de gag­n­er. Alors vous allez per­dre. Une nou­velle fois. »


Traduit par Anne Rochelle

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