Le gouvernement a adopté le programme d’une dictature. C’est en substance ce qu’a affirmé Ahmet Şık, journaliste au quotidien Cumhuriyet, lors de son audience au tribunal de Çağlayan, ce mercredi 15 février. Il avait été arrêté le 29 décembre dernier.
Il y a quelques années, et plus précisément en 2011, on avait beaucoup parlé de lui, avec l’affaire “Oda TV”. Un pseudo complot visant soi-disant à déstabiliser le gouvernement de l’AKP de Recep Tayyip Erdogan. Qui ne correspondait en réalité qu’à des dénonciations de corruptions.
Ce dossier, comme celui de “FETÖ” aujourd’hui, fut allègrement mêlé à l’affaire Ergenekon, un complot présumé d’une aile militaro nationaliste de l’appareil d’Etat contre le gouvernement AKP (affaire depuis enterrée). Et l’on détourna de leur sens de réelles dénonciations, en les associant à une “conspiration militaire”. Le rédacteur en chef d’Oda TV, Soner Yalçın, avait alors passé 22 mois en prison.
On peut, avec le recul, constater que la loi “antiterroriste” de l’époque permettait déjà de beaux amalgames contre la presse et les journalistes. Elle a pourtant été “renforcée” par un vote au Parlement, en juin 2016.
Mais revenons à l’audience. Car c’est pour cette affaire “Oda TV”, qui concerne aussi Nedim Şener, Yalçın Küçük, Hanefi Avcı, et donc Soner Yalçın, qu’Ahmet Şık était entendu une nouvelle fois ce 15 février. Alors même que depuis 46 derniers jours, il est en détention préventive pour une autre enquête judiciaire, dans laquelle on l’accuse simultanément de propagande terroriste pour “FETÖ”, terme péjoratif que le gouvernement utilise pour désigner le mouvement Gülen, et pour le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK)…
Dans sa plaidoirie, Şık n’a pas manqué de s’étonner de l’acharnement du gouvernement contre sa personne. “Je pourrais être une nouvelle fois arrêté, à l’avenir, s’il y a un procès pour appartenance à la RETO, l’organisation terroriste Recep Tayyip Erdoganiste” glisse-t-il avec malice, soulignant par ailleurs les similarités entre la Turquie d’aujourd’hui et “1984”, le plus célèbre des romans de George Orwell.
En 2011, c’est un livre décrivant les liens entre le mouvement Gülen et l’Etat – L’armée de l’Imam – qui lui avait valu d’être arrêté par la police. Or voici quelques jours, devant la 14e cour pénale d’Istanbul et dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat de Hrant Dink, on avait confirmation par un ancien chef du renseignement de la police, Ali Fuat Yılmazer, que Recep Tayyip Erdoğan en personne avait ordonné à la police d’enquêter en 2011 sur “Oda TV”…
Fait important, les journalistes n’ont pas été autorisés à entrer dans la salle, au prétexte qu’elle était déjà pleine. Doit-on s’en étonner ? Ils ont en tout cas protesté, demandant pourquoi l’audience se déroulait dans une si petite salle, alors qu’il était évident qu’un nombre important de personnes voudraient y assister.
Pour Erol Önderoğlu, le représentant de Reporters sans frontières, cette pratique est à l’évidence destinée à empêcher que des journalistes puissent assister au procès : “Une telle chose ne s’est jamais produite, même devant la Cour de Sûreté de l’Etat”. Quoi qu’il en soit, près de 250 personnes attendaient à l’extérieur, clamant le slogan “Ahmet sortira (de prison) et recommencera à écrire.” Tout en déployant, à l’extérieur du palais de justice, une grande bannière : “Nous ne sommes pas restés silencieux, et nous ne le resterons pas.”
Le jugement a été reporté. Une nouvelle audience est prévue pour le 12 avril 2017.
Anne Rochelle