Au départ ce n’é­tait qu’une rumeur. Mais l’écrivain turc Orhan Pamuk, prix Nobel de lit­téra­ture, l’a con­fir­mée. Une longue inter­view qu’il avait accordée au quo­ti­di­en Hür­riyet, et qui devait paraître le 13 févri­er n’a pas été pub­liée…parce qu’elle com­por­tait des cri­tiques à l’é­gard de la réforme constitutionnelle.

Can­su Çam­lı­bel, nou­veau chef du Bureau de Hür­riyet Dai­ly à Wash­ing­ton, a bien mené un entre­tien avec Orhan Pamuk. Mais le comité de rédac­tion n’a pas voulu le pub­li­er, au motif que le romanci­er réprou­vait la réforme voulue par le régime.

L’in­for­ma­tion est mal­heureuse­ment exacte”, a déclaré Pamuk au site web susma24.com, ajoutant que Can­su Çam­lı­bel s’é­tait bien entretenu avec lui, longue­ment. Il lui a demandé s’il voterait en faveur de la réforme. “J’ai répon­du que j’al­lais vot­er «non» et expliqué le pourquoi de ma déci­sion. Et en fin de compte, l’in­ter­view n’a pas été publiée.”

La cen­sure de l’en­tre­tien inter­vient après qu’un présen­ta­teur de la chaîne de télévi­sion Kanal D, qui comme Hür­riyet appar­tient au groupe Doğan Media, ait été licen­cié la semaine dernière pour avoir exprimé publique­ment envis­ager de vot­er “non” au referendum.

Pour rap­pel, le 21 jan­vi­er dernier, le Par­lement turc a approu­vé la réforme con­sti­tu­tion­nelle qui don­nera tous pou­voirs au prési­dent Erdoğan. Cette réforme sera soumise à un référen­dum pop­u­laire le 16 avril.

Pour rap­pel aus­si, ces dernières années, nom­bre de jour­nal­istes employés dans dif­férents titres de Doğan Media ont été licen­ciés dès qu’ils expri­maient un point de vue critique.

Si Doğan Media a mis de l’eau dans son vin, ce n’est pas pour rien. Men­aces et agres­sions font effet, d’où l’au­to­cen­sure. Quelques exem­ples pour mieux comprendre…

En 2015, début sep­tem­bre, les bureaux Doğan Media à Istan­bul ont été la cible d’a­gres­sions à plusieurs repris­es. Une pre­mière fois, c’est Abdur­rahim Boynukalın en per­son­ne qui s’en est pris au local du jour­nal Hür­riyet, en y effec­tu­ant un “raid”, parce qu’il “en voulait” au jour­nal pour “avoir défor­mé les pro­pos d’Er­doğan”. Puis, un groupe d’une cen­taine de per­son­nes, armé de pier­res et bâtons, a sérieuse­ment endom­magé les locaux, ce que la Police “n’avait pas pu empêch­er”. Abdur­rahim Boynukalın, respon­s­able de l’AKP jeunesse et député d’Is­tan­bul, a alors apporté son sou­tien aux agresseurs, et même fait un dis­cours. Et l’on notera qu’il a été “pro­mu” ensuite adjoint au Min­istre de la jeunesse et des sports, en décem­bre 2016.

En 2015 tou­jours, le 1er octo­bre, Ahmet Hakan, auteur de Hür­riyet, fut attaqué devant son domi­cile par qua­tre per­son­nes. Le jour­nal­iste s’en sor­ti­ra avec le nez et des côtes cassés…

L’au­to-cen­sure chez Hür­riyet n’est donc pas nou­velle. Et nous en avons un autre exem­ple tout récent. A savoir,  l’in­ter­view qu’Ayşe Arman a menée avec Aslı Erdoğan, pub­liée sur le blog de la jour­nal­iste, dans son inté­gral­ité, en réac­tion à son jour­nal qui, lui, a préféré “cen­sur­er” cer­taines par­ties… Du reste, les précé­dents ont cer­taine­ment servi de leçon. Voilà huit ans, en 2009, Doğan Media s’é­tait vu infliger un redresse­ment fis­cal de 1,75 mil­liard d’euros. Et ce redresse­ment avait sans doute beau­coup à voir avec la pub­li­ca­tion d’une enquête dérangeante sur la cor­rup­tion de cer­taines hautes personnalités…

C’est une évi­dence. Les fer­me­tures de médias, les arresta­tions de jour­nal­istes, tout autant que les lour­des con­damna­tions demandées devant les tri­bunaux inci­tent à la cen­sure. Même à l’é­gard d’un Prix Nobel.

Anne Rochelle


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Image à la une : Photo ©Eric Bouvet / Getty Images
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