L’ag­o­nie d’Alep avait sus­cité force polémiques poli­tiques, sur fond de “com­pas­sion”, mêlant pro­pa­gande pro et anti régime de Bachar, et réelles inter­ro­ga­tions human­istes légitimes.

Ce grand “je suis Alep”, à l’ap­proche d’une date anniver­saire du début du “soulève­ment syrien” a pour­tant qua­si dis­paru des médias et des réseaux sociaux.

Deux rap­ports suc­ces­sifs sont récem­ment parus. Un sur “la tor­ture et les pendaisons” dans la prison de Said­naya et l’autre sur les “bom­barde­ments au chlore” des pop­u­la­tions d’Alep. Ils rap­pel­lent bru­tale­ment, s’il le fal­lait, que des crim­inels de guerre, ou leurs représen­tants et alliés, siègeront à la prochaine con­férence sur la Paix qui se pré­pare en coulisses.

Et il sera dif­fi­cile de faire oubli­er tout autant que d’autres crimes de guerre ont été per­pétré par des groupes dji­hadistes, tant ceux alliés du régime turc, que les transfuges armés par le Golfe, dans leur volon­té de con­fis­quer ce “print­emps” qui devint guerre civile.

La table des futures négo­ci­a­tions entre grands “pré­da­teurs inter­na­tionaux”, enne­mis locaux et régionaux à pré­ten­tion hégé­monique, et pseu­do représen­tants désignés par ceux là, de la “rébel­lion syri­enne”, ressem­blera à une table de cer­cle mafieuse, où se jouera sur cartes l’avenir d’une région déjà découpée en Etats-nation il y a un siè­cle… lors du dépeçage de l’Em­pire ottoman. Une paix des 40 voleurs à un siè­cle d’intervalle.

Les cen­taines de mil­liers de vic­times, les mil­lions de réfugiéEs devront se con­tenter de cette géopoli­tique du recom­mence­ment… Ce serait donc un proces­sus, qui con­te­nait en germe “des” révo­lu­tions au Moyen Ori­ent, qui s’achèverait après des bains de sang, par la recherche de com­pro­mis impéri­al­istes et régionaux, dont on ne voit guère point­er le début du début pour­tant, sans se souci­er, une fois de plus du sort des peu­ples locaux.

On m’ob­jectera sans doute qu’il s’ag­it là d’un rac­cour­ci facile, à fond qua­si com­plo­tiste… alors que le sujet est celui de la recherche de la paix.

Mais on peut bien vouloir me faire croire que l’E­tat islamique a déjà presque dis­paru, qu’il n’au­rait plus rien à voir avec la guerre d’I­rak, et que Mossoul sera son tombeau, et Raqqa son dernier com­bat, je ne peux m’empêcher de penser que Daesch n’est pas seule­ment la bande de crim­inels inter­na­tionaux décrite partout, mais repose réelle­ment sur des fonde­ments poli­tiques, s’en nour­rit et en vit. Et cette impasse rad­i­cale pour les peu­ples qu’il con­stitue fleu­rit tant sur les décom­bres des Etats-nation du Moyen Ori­ent, que sur celles des ex-coloni­sa­tions africaines, là aus­si noyées dans la cor­rup­tion et les vio­lences “eth­niques” entretenues. Et je devrais penser qu’un Pou­tine veut rompre avec cela ?
Le “ter­ror­isme” serait ain­si sus­pendu, comme une men­ace planant au dessus des sociétés occi­den­tal­isées ? Et ces mêmes sociétés n’au­raient rien à voir avec la pour­ri­t­ure qui le cause et le nour­rit, Russie comprise ?
Vos guer­res, nos morts”, dis­aient et écrivaient nom­bre de courants poli­tiques de la gauche rad­i­cale en Europe, face aux “atten­tats”. Je partage tou­jours ce point de vue.

Bon, Daesch ne sera pas présent autour de la table… On peut être ras­suré. Ce sera entre tueurs de bonne com­pag­nie, entre marc­hand d’armes “paci­fistes” avérés.

Mais ces guer­res n’ont pas pro­duit que des impass­es poli­tiques pour l’avenir des peu­ples de la région.

Si les suites de la désagré­ga­tion de l’I­rak, créé à la règle autre­fois, n’aboutis­sent qu’à des prés car­rés où le voisin iranien jouera de son influ­ence, et où un qua­si Etat-nation kurde pren­dra pos­ses­sion de ter­res et de richess­es fos­siles, même au prix de “clar­i­fi­ca­tions” eth­niques, il n’en est pas de même pour la Syrie d’une part, et pour la Turquie, son meilleur enne­mi d’aujourd’hui.

La guerre en Syrie a poussé des peu­ples à s’u­nir pour leur survie, et à trou­ver des solu­tions pour leur défense, et leur organ­i­sa­tion sociale.
La présence sur ces ter­ri­toires, d’une organ­i­sa­tion rompue à la lutte armée depuis des décen­nies, poli­tique­ment à cheval sur trois fron­tières, et capa­ble de se remet­tre en cause, a été déter­mi­nante dans la mise en place d’un proces­sus poli­tique inédit au Nord de la Syrie. Penser un instant que sans le PKK, dans l’im­broglio de cette guerre, il aurait été pos­si­ble d’en­trevoir cette mise à l’abri de plusieurs mil­lions de per­son­nes, tout autant que la rel­a­tive pro­tec­tion d’autres, ailleurs en Syrie, serait ne pas voir com­ment le dji­hadisme poli­tique, la manip­u­la­tion par les groupes armés de la résis­tance syri­enne, sa mise sous tutelle entre puis­sances du Golfe, Turquie et influ­ences améri­caines et européennes, ont eu rai­son de l’ex­trême faib­lesse et de la divi­sion du soulève­ment d’o­rig­ine. Le fait qu’un pro­jet poli­tique ait existé au Nord syrien, quelles que soient les cri­tiques que pour­raient lui adress­er les uns ou les autres, a sauvé des pop­u­la­tions en très grand nom­bre aujour­d’hui, et a per­mis un proces­sus d’u­ni­fi­ca­tion démoc­ra­tique entre elles. Et, si à Alep ou ailleurs, cela est sou­vent resté dans l’af­fron­te­ment, c’est aus­si dû à la force destruc­trice des fac­tions soutenues par la Turquie, comme de celle du régime et ses alliés russ­es et iraniens. Mais per­son­ne ne peut nier cela. Et la per­sis­tance “inter­na­tionale” à laiss­er le PKK sur la liste noire des organ­i­sa­tions “ter­ror­istes” démon­tre à l’en­vie le choix poli­tique des Etats, con­scients des enjeux poli­tiques, économiques portés en germes.

Si Alep fut une rup­ture “mil­i­taire”, débouchant sur un “cessez le feu” déclaré dans la guerre qui se pour­suit, deux points névral­giques où se con­cen­trent des affron­te­ments armés, con­stitueront prob­a­ble­ment aus­si des rup­tures qui pour­raient aboutir à une grande tablée des voleurs de Genève, après la par­o­die d’Astana.

Bab

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Il s’ag­it bien sûr de Bab et de Raqqa.

Pour celles et ceux qui con­sul­tent régulière­ment les infos heb­do­madaires de Ron­ahi TV, dif­fusées en parte­nar­i­at sur Kedis­tan, je n’au­rai pas besoin de faire dans le factuel des infos “mil­i­taires”. Et ce n’est pas l’ob­jet de ma chronique non plus.
Je ne peux m’ap­puy­er que sur les infor­ma­tions qui parais­sent dans les médias et sur le web, et les éclair­cisse­ments et com­men­taires qu’elles sus­ci­tent, tant des dirigeants poli­tiques con­cernés, que de jour­nal­istes et activistes poli­tiques, lues et enten­dues ça et là. Et je suis prêt à recon­naitre toute inter­pré­ta­tion abu­sive, dès lors où l’on me fourni­ra les raisons de mes erreurs et la con­tre information.

Pour les forces de la con­fédéra­tion nord syri­enne, les FDS, et le PYD, l’a­vancée vers Raqqa ne con­stitue pas en soi une volon­té d’é­ten­dre un ter­ri­toire à l’in­fi­ni en Syrie, mais surtout une démon­stra­tion que Daech peut être com­bat­tu et for­cé dans ses derniers retranche­ments d’E­tat islamique, par une force syri­enne, autre que le régime meur­tri­er, et non affil­iée à la Turquie à visée colonisatrice.

Cette démon­stra­tion de forces répond aus­si au besoin de libéra­tion de pop­u­la­tions, dont sou­vent des com­bat­tantEs se trou­vent dans les rangs des FDS. Et des ral­liements en nom­bre de “tribus” dans la région salue ces libérations.
C’é­tait aus­si la con­sol­i­da­tion, sur le plan mil­i­taire, du pacte de con­fédéral­isme, via les FDS, con­tre le pro­jet de la Turquie de rompre la con­ti­nu­ité ter­ri­to­ri­ale pos­si­ble au Nord syrien, et de con­tin­uer à nuire, à par­tir des posi­tions con­quis­es après l’ir­rup­tion de Jer­ablus, tant con­tre le Roja­va, que dans l’im­broglio syrien. L’opéra­tion vers Raqqa est aus­si la meilleure réponse “mil­i­taire” dans ce cadre.
Je rap­pelle que cette offen­sive a débuté sous la prési­dence d’Oba­ma, et avec la promesse logis­tique de ce dernier, pour le moment plus ou moins “gelée” par Trump.

Bab est un car­refour stratégique. Et jusqu’à ces derniers jours, les forces turques et leurs divers alliés sup­plétifs sem­blaient ren­con­tr­er des dif­fi­cultés face à Daech. Cette résis­tance et cette tem­po­ri­sa­tion de fait, peut éton­ner, quand on sait que dans d’autres local­ités alen­tours, cha­cun y allait de son “occu­pa­tion” et “réoc­cu­pa­tion” ces dernières semaines, avec pris­es d’arme­ment à l’ap­pui. On annonçait même une “déroute” pos­si­ble des forces turques en milieu de semaine dernière, avec dans le même temps une arrivée des forces gou­verne­men­tales, forte­ment appuyées par l’avi­a­tion russe. Ces mêmes forces turques et sup­plétifs ne se gênaient pas pour autant pour faire des vic­times civiles par­mi les pop­u­la­tions alen­tours, et pour con­tin­uer à men­ac­er le can­ton d’Afrîn.
Des bom­barde­ments “malen­con­treux” ont tués des mil­i­taires turcs. Les Russ­es les ont recon­nu, le gou­verne­ment de Turquie s’est incliné… Et on assiste main­tenant à la reprise de Bab, en par­tie par les forces turques, en par­tie par celles du régime. Alors que les autorités gou­verne­men­tales affir­ment par dis­cours leur inten­tion de ne pas aban­don­ner l’ob­jec­tif Raqqa, des voix dis­cor­dantes par­lent de con­sol­i­da­tion des posi­tions à Bab… On peut penser que les bom­barde­ments russ­es y sont pour quelque chose, et que la promesse de remet­tre à l’or­dre du jour la “zone tam­pon” réclamée par Erdoğan en est une autre. Trump étudierait le “pro­jet” insen­sé de camps de réfugiés syriens dans la zone…
Bref, tout démon­tre que les “coali­tions” ne sont pas dans la pri­or­ité Raqqua, mais dans celles des con­sol­i­da­tions des rap­ports de force en vue d’une “grande tablée”, encore pré­maturée en l’ab­sence de pro­jet poli­tique d’après Etat islamique.

Et pour­tant, une solu­tion poli­tique est pro­posée par une des par­ties en Syrie.

Et ce qu’on peut tout de suite remar­quer, c’est que cette propo­si­tion essuie le refus de tous.
Durant les opéra­tions mil­i­taires, et der­rière celles-ci, la Con­fédéra­tion du Nord Syrien a élar­gi son con­sen­sus poli­tique, et a affiné ses propo­si­tions “con­fédérales” pour le règle­ment de la guerre en Syrie, et au delà. Une étape impor­tante fut la dernière con­férence des forces vives de la fédéra­tion nord Syrie, qui alla même jusqu’à dis­cuter du choix de la cap­i­tale admin­is­tra­tive, et de l’ap­pel­la­tion. Et si je con­tin­ue d’employer le terme “Roja­va”, les déci­sions con­fédérales vont aujour­d’hui au delà.

La Russie avait pro­posé une rédac­tion “fédérale” de la future Syrie, accor­dant des “droits” aux Kur­des, et lais­sant croire un moment qu’un Pou­tine avait acquis tout à coup une men­tal­ité auton­o­miste… en même temps qu’il con­solide le régime Bachar.
Les représen­tantEs du Roja­va ont large­ment décliné la propo­si­tion et pro­posent désor­mais la tenue d’une con­férence inter­na­tionale pour étudi­er le pro­jet de con­fédéral­isme pour la Syrie, et plus pré­cisé­ment celui du “con­fédéral­isme démoc­ra­tique” défendu depuis tou­jours par le PYD.
Ce dernier ne sera donc pas invité aux prochains rounds de négo­ci­a­tions, au prof­it d’une autre ten­dance du Con­seil Nation­al kurde, plus “con­cil­i­atrice” et plus proche à la fois de Barzani et d’une oppo­si­tion anti Bachar sun­nite. Une con­férence avait pour­tant été pro­gram­mée à Moscou le 15 Févri­er avec la par­tic­i­pa­tion des Kur­des de l’I­ran, la Turquie, l’I­rak et la Syrie…

Là, j’avoue mon peu d’ex­per­tise sur ce sujet pré­cis, et mon besoin d’ap­pro­fondir ce qui n’est pas que des “nuances” au sein des par­tis poli­tiques kur­des en Syrie, com­pliqué par l’im­pli­ca­tion inces­sante d’un Barzani irakien…
Je suis donc ouvert à tous les élé­ments qui pour­raient éclair­er ma lanterne, autrement que de pro­pa­gande… (Ceux-là pullulent)…

Je con­clu­rai cette réflex­ion à crâne ouvert, que je sais par­tielle et pleine de rac­cour­cis, par l’év­i­dence d’un rap­port de forces et celle des dan­gers qui menacent. 

La Fédéra­tion de Syrie du Nord, et en son coeur le Roja­va, alors qu’ils décli­nent les clés pos­si­bles d’un avenir au Moyen-Ori­ent, risquent d’être plus que jamais l’ob­jet de tous les chan­tages. Les avancées mil­i­taires n’y suf­firont plus. Et on ne voit pas le sou­tien inter­na­tion­al venir, comme on n’en­tend guère de voix extérieures con­tre la poli­tique intérieure d’Er­doğan con­tre le Bakur et l’op­po­si­tion démoc­ra­tique en Turquie.

Il me sem­ble donc plus que jamais néces­saire de doc­u­menter ici le pro­jet poli­tique du Roja­va, la propo­si­tion de paix qu’il représente, et les dan­gers qui guet­tent ce proces­sus frag­ile. Présen­ter cette expéri­ence démoc­ra­tique pos­i­tive, por­teuse d’avenir et de paix pour le Moyen Ori­ent, est de notre rôle, et non seule­ment rabâch­er les ren­gaines mil­i­taires ou polémi­quer néga­tive­ment dans le vide.

S’il s’avère demain que le Roja­va, et au delà le pro­jet de con­fédéral­isme nord syrien dérange les pro­jets de partages inter­na­tionaux, et que les men­aces se pré­cisent con­tre lui, la com­préhen­sion d’un sou­tien néces­saire en sera d’au­tant renforcée.


Eng­lish Bab, Raqqa, the hid­den face of mil­i­tary stakes…

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…