İştar Gözaydın, une autre otage, une autre universitaire, une autre femme en détention… Une autre répression de la pensée, bien que toujours selon les mêmes chefs d’accusation contenus dans la loi scélérate sur le “terrorisme” de 2016, votée dans la concorde nationale.
İştar Gözaydın, directrice de la faculté de sociologie de l’université de Gediz, avait été mise en garde-à-vue avec 13 autres personnes le 20 décembre 2016, ensuite jetée en prison le 27 décembre comme 8 des autres “accuséEs”. Elle se trouve actuellement dans la prison de Şakran à Izmir.
L’université de Gediz fait partie des 15 établissements considérés par le régime, comme “liés au mouvement Gülen”, fermés par le décret n°667 du 23 juillet 2016.
Dans un premier temps, dans la période de purge qui a suivi le coup d’Etat raté du 15 juillet, İştar avait été limogée, pour deux articles parus dans les médias, ainsi que ses propos critiques partagés sur les réseaux sociaux :
“Si nous ne nous mettions face à la peine de mort et à la violence, si nous ne défendions pas l’honneur de l’humanité, pourquoi existerions-nous en tant qu’universitaires et êtres humains ?”
İştar est accusée d“appartenance à une organisation terroriste armée ainsi que “de propagande pour organisation terroriste” pour avoir participé à une émission de télé avec Nazlı Ilıcak, et les frères Mehmet et Ahmet Altan, également en détention dans le cadre de l’enquête post coup d’état concernant le mouvement Gülen, (baptisé de FETÖ, par le régime). Les frères Altan sont accusés eux, d’avoir “envoyé des messages subliminaux” lors de l’émission, tout simplement en analysant, comme un dangereux devin, la situation actuelle dans le pays, disant qu’un “coup d’Etat ne serait pas impossible”… Dieu sait ce que İştar, cette dangereuse terroriste armée d’un crayon a pu, elle, diffuser comme message subliminal…
Les organisations de société civile progressistes, qui défendent les droits humains, sont d’un autre avis. Aussitôt après l’arrestation d’İştar, l’IHD (Association des Droits Humains), le TIHV (Fondation des Droits Humains), Amnesty International Turquie, mais aussi d’autres telles que İnsan Hakları Gündemi Derneği, İnsan Hakları ve Mazlumlar için Dayanışma Derneği, Yurttaşlık Derneği ont demandé sa libération immédiate dans un communiqué commun.
Qui est İştar Gözaydın ?
İştar, est diplômée du Lycée Américain d’Üsküdar à Istanbul, et de la faculté de Droit de l’Université d’Istanbul (1981). Après une dizaine d’années de recherches, licence et master, elle a fait un doctorat de Droit, toujours à Istanbul. En 2006 elle a atteint le titre de “Professeur”.
Ses travaux universitaires se concentrent sur les relations entre l’Etat et la religion, et analysent le rôle de la religion dans la politique extérieure de la Turquie, la discrimination religieuse, et les relations entre Droit et politique.
Fondatrice de l’association des CitoyenNEs d’Helsinki, “Helsinki Yurttaşlar Derneği”, ainsi que de “Açık Radyo 94.9”, elle a animé des émissions pendant de longues années et a publié de nombreux livres dans son domaine.
Son nom figurait dans les 76 universitaires qui ont adressé un appel avant les élections du 7 juin, au gouvernement, aux partis politiques, médias et institutions constitutionnelles, afin d’attirer leur attention sur le fait que le “Président faisait de l’ombre aux élections”. [il faisait carrément une campagne de son côté pour l’AKP alors qu’un Président n’en a pas le droit constitutionnel. Il prétextait par exemple participer à des inaugurations et les transformait en de vrais meetings. Demirtas avait dit à l’époque : “Si vous avez une ouverture à faire, appelez le Président, il viendra en courant, même si vous avez juste une boite de conserves à ouvrir, il viendra”]. Ce même Président qui avait qualifié “d’ignares et obscurs” tous les opposants universitaires à sa politique de guerre civile.
Le travail d’İştar sur Diyanet (Affaires religieuses) qui n’est pas un ministère, mais fonctionne comme tel, est sans doute un des premiers en Turquie. Elle analyse de très près, la conception de la laïcité en Turquie, la place du Diyanet, sa nature et ses pratiques, son évolution tout au long de l’Histoire de la République, ses moyens, influences et sa fonction actuelle, qu’elle qualifie de “ingénieur de société”. Nous essaierons de traiter ce sujet dans un article prochain.
Pour soutenir İştar, vous pouvez signer la pétition Free İştar Gözaydın
Image à la Une : photo de ©Yasin Akgül