Petit enfant qui va naître,

J’ai quelques mots à te dire…

J’ai passé ces dernières années à pester sur l’en­fer qu’est devenu le monde dans lequel nous vivons. Je pes­tais aus­si après mes amiEs qui devi­en­nent des grands-par­ents, des arrières-grand-par­ents, en voy­ant les pho­tos de bébés partagées sur les réseaux soci­aux. Je me dis­ais, “Est-ce bien raisonnable de met­tre des mômes dans ce monde qui marche sur la tête. Quel avenir vont-ils avoir ces petits ?”

Et un beau jour ma petite-fille et son copain, ont pointé leur nez à la mai­son. C’é­tait ce lun­di 9 jan­vi­er dernier. Et ce jour là, j’ai vu ta pre­mière photo.

Quand ils ont mis les échogra­phies devant mes yeux, j’ai mis 30 sec­on­des pour com­pren­dre que tu étais là, en for­mat grenouille accroché dans ton nid douil­let. Je ne savais pas quoi dire… C’é­tait beau­coup d’é­mo­tion pour mon vieux coeur. Ensuite, il m’a fal­lu quelques jours pour réalis­er vrai­ment. Main­tenant, je réalise égale­ment que durant ces quelques jours, mes pen­sées ont aus­si fait du chemin…

Enfant, com­prends-moi, j’ai l’im­pres­sion de scruter tous les jours, le fond d’un trou béant de souf­frances, qui devient de plus en plus pro­fond et large, et absorbe comme un tour­bil­lon, tout ce qui est autour. Humains, femmes et hommes, vieux et jeunes, mais aus­si, ani­maux, arbres, fleurs… Crois-moi, quand tu te trou­ves à observ­er le quo­ti­di­en du monde, tu ne peux éviter de pos­er tes yeux sur ce trou noir. Et là, tu ne vois plus que ça ! Des souffrances !

Et ensuite, un beau jour de jan­vi­er, tu te trou­ves subite­ment devant un être des­tiné à naître.

Je suis depuis tou­jours émue, devant la con­cep­tion d’un être, qu’il soit humain, chat, poussin, une che­nille dans son cocon ou une graine qui germe, qui se réveille, ou encore une étoile, un bout d’u­nivers… Cela m’a tou­jours paru comme la chose la plus mag­ique qui puisse exis­ter. Quand je pense à la grenouille que tu es aujour­d’hui, avec bras, oreilles, yeux, cerveau, reins et coeur qui bat, ce qui m’im­pres­sionne le plus, c’est de savoir, qu’à par­tir d’une seule cel­lule, les suiv­antes puis­sent s’or­gan­is­er entre elles pour devenir rein ou oeil. C’est comme une société à part entière qui s’or­gan­ise avec partage de tâch­es et util­ités, qui inter­agis­sent pour le bien com­mun. Une machine, indépen­dante et autonome qui a comme objec­tif de “vivre”. Magie et survie. Il y a aus­si amour. Mais ça, c’est encore une autre dimension.

Jusqu’au moment où je me trou­ve devant cette réal­ité, tu vois, même si je n’ou­bli­ais pas ces choses essen­tielles, j’avais du mal à lever les yeux de ce fichu trou noir béant des mal­heurs. Cela demande un effort de faire la part des choses, de voir la beauté dans le mag­ma de tout, saisir la couleur dans l’ob­scu­rité. Et dans mon dés­espoir, sans doute trop préoc­cupée de pester, je man­quais de forces. Il ne m’a pas fal­lu plus de quelques jours, pour réalis­er que l’an­nonce de ton arrivée était en fait, un ray­on de soleil qui illu­mi­nait l’ensem­ble. Ce ray­on a bal­ayé le monde, et des mil­lions de beautés que j’avais du mal à voir, toutes d’un coup, sont réap­parues à mes yeux fatigués, écla­tantes, comme de pré­cieuses gemmes. Une res­pi­ra­tion pro­fonde, comme lorsqu’on quitte enfin le lit, guérie d’une longue mal­adie, et qu’on rem­plit sa poitrine d’air frais, devant la fenêtre ouverte sur un ciel matinal.

Je me suis dit que c’é­tait du bon­heur. Oui, du bon­heur ! Un bon­heur, totale­ment égoïste et infin­i­ment humain… Voulez-vous me dire, com­ment on peut chang­er d’avis en 30 sec­on­des, devant une minus­cule “grenouille”, après tant de ques­tion­nements, de théories con­va­in­cantes ressas­sées, radotées, exprimées, sur “l’ir­re­spon­s­abil­ité de faire naître des enfants dans ce putain de monde” ? S’ag­it-il de l’in­stinct, du désir de “con­tin­uer” ?

En fait non. Ce qui a changé en moi, c’est l’an­gle du regard. Je me suis dit que, c’est aus­si à celles et ceux qui désirent un monde meilleur, de faire leur pos­si­ble pour le con­stru­ire. Le fait d’élever nos enfants, nos petits-enfants, for­mer les nou­velles généra­tions en leur don­nant les repères et les “valeurs” qui nous sont chers, fait par­tie de notre exis­tence. Si on doit par­ler de “con­ti­nu­ité”, il n’est donc pas ques­tion sin­gulière­ment de “pro­créa­tion”,  de “per­dur­er l’e­spèce” ou que sais-je encore, mais bien de “trans­mis­sion”.

Le futur est accroché par ses racines au passé. Un nou­veau monde ne peut naître que des cen­dres de l’an­cien. Si mon expéri­ence de vie d’ar­rière grand-mère devait servir à quelque chose, c’est bien là qu’elle serait utile… J’ai tou­jours eu hor­reur l’idée de rester à ne rien faire. Je peux dire à mon âge avancé, que j’ai fait des petites choses, j’ai fait mon pos­si­ble, à mon niveau. C’est sans doute peu de choses, voire des grains de sable… Mais toute ma vie j’ai voulu pou­voir me regarder dans la glace. Je réalise main­tenant, mon arrière-petit-enfant, que je voudrais aus­si regarder sans détour, dans tes yeux.

Je te dis alors, accroche-toi ! Ensem­ble, on a du pain sur la planche.


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Mamie Eyan
Chroniqueuse
Ten­dress­es, coups de gueule et révolte ! Bil­lets d’humeur…