Vous aviez peut être entendu parler de ces deux jeunes femmes kurdes qui ont entrepris une marche depuis Copenhague. Eh bien, en ce moment, elles sont arrivées en France. Discussion à bâtons rompus…
Prévenue par des amis du Sud, du passage de l’Existence March à Nice, j’ai joint Bahar par téléphone.
Bahar se repose quelques jours après un passage aux urgences. Elle a eu un petit accident sur la route. Elle est tombée sur les genoux. “Bon, pas de casse, pas de fêlure, mais le médecin m’a dit de ne pas marcher durant trois semaines, on va voir comment on va faire…” me dit-elle. Quant à Saadet, elle a des orteils en vrac, mais elle a déjà repris la marche vers Cannes, pour rejoindre la manifestation du dimanche 22 janvier, au moment où j’écris…
Dès les premières phrases, la conversation est chaleureuse, et j’ai cette impression de connaitre Bahar depuis des années. Nous discutons la soirée durant. J’ai 20 pages de notes devant moi. L’histoire est belle.
Alors je vais vous raconter tout ce que j’ai appris, sans lui couper la parole…
“Alors c’est quoi exactement votre initiative ?” Bahar, rigole, elle me dit, “Je vais te raconter qui nous sommes , tu comprendras mieux.” et elle continue :
Tu sais, nous tenons un journal depuis le premier jour de la marche. Enfin, nous avons rempli six cahiers jusqu’à maintenant. Mais on ne marche pas juste comme ça. C’est bien plus qu’une marche. Parce que sur la route, nous lisons beaucoup, nous faisons même des comptes rendus de nos lectures, nous discutons, nous apprenons. Nous apprenons beaucoup aussi au contact des gens, dans les endroits que nous traversons. C’est un peu comme une école de la vie. A vrai dire, nous nous sommes jetées dans la mer, sans savoir nager. Et les débuts ont été un peu difficiles…
D’ailleurs, sur la route, nos méthodes, notre itinéraire, notre appel, nos messages ont évolués, ont changés.…
Rencontre et retrouvailles
Saadet et moi, nous sommes rencontrées en 2001. Ma famille vient de Koçhisar, près d’Ankara. Nous sommes des Kurdes d’Anatolie du centre. Moi, je suis née et j’ai grandi à Ankara. Mon père n’était pas un militant, mais une personne plutôt apolitique, un homme d’affaires. Malgré cela, il a été obligé de quitter la Turquie dans les années 90. Ma famille a pu se réunir seulement 8 ans plus tard, en Norvège, quand j’avais 17 ans. Saadet, elle, vient d’une famille de Konya, également kurde d’Anatolie centrale. Elle a atterri en Norvège bien plus tôt que moi, quand elle avait 8 ans, quand son père est parti comme travailleur. Nous nous sommes rencontrées donc, à mon arrivée à Stavanger. C’était difficile pour moi, surtout que je ne parlais pas la langue. Saadet m’a été d’un grand soutien. Notre amitié a duré un an, ensuite la famille de Saadet a déménagé.
C’est seulement dix ans après, que nous nous sommes retrouvées à Oslo. A l’époque, je vivais à Bergen, et Saadet a fini par s’installer elle aussi à Bergen , et, en 2012, nous sommes devenues colocataires. Je suivais des cours de sociologie à l’Université et elle était manager dans un restaurant.
A l’Université, il existait une organisation fondée en 1982, pour unir les étudiantEs kurdes, mais elle n’était plus active. Avec d’autres amiEs, nous l’avons réactivée. Des organisations de ce type sont souvent orientées par des partis politiques, mais nous la voulions indépendante. Alors nous avons réuni des étudiantEs provenant des 4 coins du Kurdistan, Syrie, Irak, Iran et Turquie… Nous avons organisé plusieurs activités. Nous voulions réfléchir nous mêmes et faire connaitre les Kurdes. Qui sont les Kurdes, que mangent ces gens, comment s’habillent-ils, quelle est leur langue, leur culture… Jusqu’au tremblement de terre de Van du 23 octobre 2011, et même jusqu’à la reprise de Sinjar par les troupes de Daesh le 3 août 2014, nous ne nous sommes pas intéresséEs à la politique. Avec l’expérience de la campagne de solidarité que nous avions organisée pour Van, nous nous sommes mobiliséEs pour Sinjar, avons récolté de l’argent, des vêtements, et entrepris d’autres soutiens nécessaires. Saadet n’était pas étudiante, mais elle était très active à nos côtés tout au long de ces mobilisations.
Retour aux sources
C’est à ce moment là que nous avons réalisé que “Ce serait bien qu’on aille sur place, pour voir”. Nous avons voulu voir les terres de nos ancêtres. C’était encore une période plus ou moins paisible, car “le processus de résolution” était en cours. Nous nous sommes rendues en Turquie, à Urfa, car on dit que nos ancêtres viennent de cette région. Mais nous nous sommes baladées un peu partout, et à Amed aussi. Nous avons voulu par exemple revoir le temple de Göbekli Tepe… Comme j’étudiais la sociologie, notre recherche, notre quête, passait par ce prisme. Göbekli Tepe nous a beaucoup touché.
Göbekli Tepe est un site archéologique qui recouvre la fin du Mésolithique et le début du Néolithique. Il se trouve près d’Urfa, au sud-est de l’Anatolie, près de la frontière avec la Syrie. Nous n’oublierons jamais comment nos coeurs se sont serrés en voyant les travaux sur ce lieu mythique, berceau de l’humanité, du passage à la vie sédentaire, et également lieu de pèlerinage.
C’était un lieu de fouilles désordonnées à ciel ouvert. N’importe qui pouvait partir avec n’importe quoi. Il y avait l’arbre à voeux, sur lequel les gens nouent un bout de tissu pour faire un voeu. On n’avait rien, alors on a enlevé nos lacets et ont les a noués autour d’une branche. C’est peut être le seul moment où nous avons ri. Nous étions tristes de voir toutes ces richesses qui semblaient abandonnées dans les mains de n’importe qui, profitant du fait que la population locale soit maintenue dans l’ignorance… Nous avons pleuré devant le temple en nous disant que ce serait peut être mieux si ce site n’avait jamais été découvert… Ce qui est étrange, c’est que nous avons appris que Klaus Schmidt, l’archéologue allemand qui avait découvert le site, était mort le 20 juillet 2014, le soir de notre visite. On a dû lui en vouloir trop fort.
Ah… Nous avons visité Hasankeyf aussi, bien sûr.
Hasankeyf, est un autre site d’une richesse historique et archéologique particulière. Il se trouve près de Batman, à une trentaine de kms. Un projet de barrage, nommé Barrage d’Ilisu, menace encore aujourd’hui cette précieuse région, qui est patrimoine mondial. Le projet, qui va submerger le site et les villages habités majoritairement par les Kurdes, a connu des hauts et des bas, rencontré beaucoup de luttes. Dans un premier temps, les investisseurs Européens (allemands, autrichiens et suisses) se sont retirés. Mais le gouvernement tient tête et exprime avec acharnement que le projet sera mis en oeuvre.
Les relations entre l’Etat et les civils
Ensuite en 2015, j’y suis retournée. Mais cette fois-ci je me suis orientée vers Suruç.
Comme je travaillais également dans le domaine de la santé, et que j’avais une expérience avec des patientEs souffrant de schizophrénie, de syndrome d’Asperger, et que je savais que les réfugiéS retenuEs dans les camps de cette région survivaient dans des conditions difficiles, je pensais pouvoir être utile, peut être par exemple auprès des enfants. Je suis allée à Mardin. J’ai pris les contacts nécessaires avec les mairies du coin. Je devais me rendre à Suruç le lendemain. Et il y a eu l’explosion de Suruç, le 20 juillet 2015, qui fit 33 morts. Je n’ai pas pu y aller. La Mairie de Mardin m’a dit de rester sur place jusqu’à ce que les choses se calment. Comme j’étais bloquée, la Mairie m’a demandé de l’aide pour un projet touristique. J’ai travaillé dessus pendant trois semaines, mais j’avoue que le cœur n’y était pas…
En tout cas, je peux dire que, plutôt avec un regard sociologique, à partir d’une approche humanitaire, c’est dans cette période de juillet-août 2015 que j’ai réalisé certaines choses. J’ai vu jusqu’à quel niveau de gravité pourrait aller, la relation entre l’Etat et les civils.
Kızıltepe (localité de Mardin), Nusaybin, les chars… Des femmes âgées tuées devant leur maison, le chaos… Jusque là, je ne m’étais pas intéressée spécialement au sujet “ethnico-politique”… Saadet est venue de Norvège, me retrouver, et nous avons discuté sur ce qu’on pouvait faire pendant une semaine. Il y avait par exemple des initiatives du type “bouclier humain” organisées par des civils qui venaient dans la région, pour protéger les autres civils par leur présence… Je devais rentrer à Norvège mais je savais que si je ne faisais rien, jamais je ne pourrais me le pardonner.
En fait je devais vraiment rentrer, parce que je m’étais engagée préalablement pour une autre initiative en Norvège. Le sociologue İsmail Beşikçi devait venir, pour différentes activités, et à Bergen, parce que je possédais le lexique de la sociologie nécessaire, j’étais la seule à pouvoir l’accueillir et traduire les rencontres et interventions. Je suis donc rentrée pour assumer cette responsabilité. Ensuite, il y eu une autre initiative pour laquelle, Saadet et moi devions nous rendre au Portugal pendant quelques jours. Nous y sommes allées.
La décision
Durant ces trois jours, nous avons été coupées de l’actualité, nous n’avions même pas Internet. C’est seulement au retour, le 10 août, en descendant de l’avion, que nous avons pu nous connecter et regarder ce qui s’était déroulé pendant notre absence, et ce qui se passait…
Nous étions dans le bus, sur le chemin de retour. Assises face à face, chacune les yeux plongés sur son téléphone. Là, j’ai lu ce qui se passait à Cizre. Les sous-sols, les civils brûlés… J’ai levé mes yeux et regardé Saadet. Elle avait les siens pleins de larmes. Elle m’a regardée aussi. Elle m’a dit juste “Cizre.….”. Je n’avais pas de mots. Elle a demandé “Qu’est-ce qu’on fait ?”. J’ai répondu “On y va.”. Saadet a poursuivi “Où ?” , “Qui serait autorité, responsable ? l’ONU ?” ai-je demandé. Elle a dit “On va marcher”.
Voilà, notre marche est née comme ça, même pas en cinq minutes, mais avec un besoin viscéral de faire quelque chose.
“Comment va-t-on marcher ?”. “Ben, on va prendre des sacs à dos et on va se mettre sur la route.” Nous sommes allées à la maison, et notre amie Nina est arrivée. Nina a toujours été là depuis le début. C’est vraiment LA troisième personne complémentaire, celle qui est témoin de tout cela… Quand elle est arrivée nous avions déjà commencé à ranger des affaires dans la maison. Le lendemain, nous nous sommes réunies avec les amiEs pour en discuter. Il y avait des gens très différents. Le président de l’Union des étudiantes kurdes de l’Université, mais aussi, amiEs artistes, musiciens, activistes, même le Directeur d’un Hôpital de Bergen. Un copain avocat s’est joint à nous par téléphone. Alors nous avons annoncé : “On a décidé, on va marcher ! Notre marche sera liée à notre existence. Depuis trop longtemps nous sommes considéréEs comme inexistantEs. Notre jugement sur nos propres vies est nié. Nous avons vu la vie des générations précédentes détruites. Celle de nos parents, dans les 80, dans les 90… Et maintenant c’est le tour de notre génération. Nous voulons dire tout cela aux gens. Qu’en pensez-vous ?”. Seul un ami nous a dit ‑et à juste titre- “Vous devez faire des préparations. C’est un grand projet, qui demande préparation. Il vous faut un plan, un programme, du matériel, des finances… Attendez 6 mois et préparez-vous…” Nous avons répondu, “Non, on part tout de suite. Conseillez-nous.” Alors nos amiEs nous ont dit : “C’est une belle initiative, nous sommes derrière vous.”
Ce soir là, nous avons appelé un journal. Nous avons commencé à préparer notre matériel. Mais en ouvrant nos armoires, nous nous sommes rendues compte que nous n’étions pas équipées pour ce genre d’initiative, avec nos chemisiers en soie, et nos chaussures à talons, vraiment pas. Mais ce n’était pas grave. On est allés chez une amie d’amis qui avait du matériel. C’est elle qui nous a donné des chaussures de marche, et d’autres choses nécessaires. C’est ainsi que j’ai marché sur une bonne partie du début du trajet, en portant des chaussures 2 pointures plus grandes que la mienne. Pendant qu’on était chez cette femme, les journalistes sont arrivés. Il y a eu un reportage. Ensuite, à 5, nous avons vidé notre appart et mis toutes les affaires dans la cave. Comme nous étions en location et que nous savions que nous allions être absentes un bon moment, nous avons trouvé vite fait une copine de Nina pour prendre la suite et bien sûr, sans prévenir le proprio.
Nous avons passé trois jours et des nuits blanches, à discuter sur notre communiqué, notre revendication, le nom que l’initiative porterait et son logo… Nous voulions partir de l’idée de l’existence. Nous avons donc dit “Existence Movement”, cela faisait EM, et c’était chouette parce que “em” en kurde, veut dire “nous”. Sauf que “Movement” sonnait comme une organisation politique. Nous avons dit avec ironie “Nous n’avons pas d’existence, comment veux-tu avoir une appartenance politique ?” Nous voulions être claires sur notre indépendance, alors nous avons opté pour “Existence March — EM”.
Voici quelques réflexions manuscrites de l’époque…
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Nous avons pris beaucoup de contacts, entre autres avec des universitaires et associations à Oslo, et nous sommes parties. Nous voulions faire quelques préparations stratégiques à Oslo, puis commencer notre marche à partir de Copenhague. Nos familles n’en savaient toujours rien, et ma mère m’a appelée alors que nous étions sur la route. Elle avait lu l’article du journal qui était paru. Elle était inquiète et furieuse. Elle m’a dit “Je viens tout de suite chez-toi, on va discuter !” Je lui ai répondu “C’est trop tard maman, on est déjà parties”. Du coup, nous nous sommes mis en mauvais terme avec nos familles…
Le début du début
On est arrivées à Oslo, mais on n’avait toujours pas les idées très claires, on ne savait pas exactement ce que nous allions faire et comment le faire.
A Oslo nous avons été accueillies par une association indépendante, “Solidarity with Kurdistan”, l’Union des étudiantEs kurdes d’Oslo, la Maison de la Paix d’Oslo… Sur les conseils de la Maison de la Paix, nous avons organisé un séminaire, pour discuter d’une vraie stratégie. Nous voulions marcher jusqu’à l’ONU. Il nous fallait un itinéraire qui traverserait des pays qui ont un peu de notoriété au sein de l’ONU. Nous voulions préparer un communiqué et un questionnaire et le présenter aux Ministres des affaires extérieures de ces pays traversés, demander leurs réponses et les remettre à l’ONU à l’arrivée. Nous avons beaucoup appris tous ensemble. Le séminaire d’Oslo a commencé avec 25 participantEs mais s’est élargi rapidement. Dès le départ ils ont bien vu que nous étions sans expérience, mais que nous y mettions notre cœur. Nous n’avions aucun financement. Ils ont suggéré d’ouvrir une cagnotte. Ils nous ont demandé de quoi on avait besoin dans l’immédiat. Nous n’avions même pas de sac-à-dos. Ils ont été achetés à cette période à Oslo. Nous avons fait beaucoup d’erreurs techniques et logistiques. Pour continuer avec l’exemple du sac-à-dos, sans expérience de marche, nous avions choisi des modèles mal adaptés, nous ne savions pas les ranger… Nous avons compris tout cela en cours de route, et trouvé des solutions. Nous avons appris, en essayant et en faisant des erreurs.
Les premiers communiqués et questionnaires ont été préparés à Oslo. Nous avions réussi, tant bien que mal, à trouver deux interlocuteurs du Ministère, mais ils ne nous ont même pas laissées entrer dans les locaux. Nous avions nos sacs sur le dos, nous prenions la route pour Copenhague deux heures plus tard, et nos interlocuteurs ont voulu qu’on leur dépose les documents, dehors, devant la porte…
Nous avons pris notre bateau et nous nous sommes enfin rendues à Copenhague, pour débuter notre marche.
Apprendre de ses erreurs
Pour nos questionnaires, nous avons trouvé des méthodes. Avant d’aller dans un nouveau pays, nous tentons d’avoir un contact avec des députéEs. Une fois la communication établie, nous demandons au(x) parlementaire(s) de poser nos questions au Ministre, en notre nom. Pas à pas.… De cette façon nous avons traversé Berlin, Amsterdam, Bruxelles, Paris et nous allons continuer sur Rome avant de terminer à Genève. Après Rome, pour ne pas refaire le chemin de retour à pied, nous allons nous rendre à Lyon et nous partirons pour Genève à pied, à partir de cette ville.
Y a‑t-il eu des réponses ?
La Norvège a répondu à nos questions.
Les accueils changent vraiment d’un pays à l’autre. Au Danemark, ils nous ont pris les documents dans un coin de couloir. En Allemagne, accompagnées de journalistes, nous avons été accueillies pendant 45 minutes. En Hollande, nous avons rencontré beaucoup de personnes, conseillers, parlementaires, mais le Ministre ne nous a pas donné de rendez-vous. A Bruxelles, nous avons eu une réunion d’une heure dans le Ministère des affaires étrangères, avec quatre personnes, dont les conseillers experts de Turquie, du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.
Nous avons passé 5 mois en France. Nous étions très fatiguées et nous sommes arrivées en pleine période de vacances d’été du Parlement. Ca tombait bien. Voilà pourquoi :
En France, un ami juriste nous a pris en face et nous a dit : “Votre communiqué n’est pas bon. Pour que les autorités diplomatiques vous répondent, il faut le retravailler. Votre communiqué parait nationaliste et revendique des éléments ethniques. Si vous prenez cet angle, cela donnera l’impression que vous vous désintéressez des autres minorités, alors que quand vous vous exprimez, ce n’est pas le cas, vous vous en préoccupez et vous en parlez. En ne cadrant pas clairement votre initiative, vous ne vous aidez pas, car ils ne répondront pas. Entre ce que je lis ici, et ce que vous voulez faire, il y a des montagnes.…”
C’est la première fois qu’on nous disait ce genre de choses. Nous changions pourtant nos questions, selon l’actualité. Ce n’était pas un bon choix non plus.
Nous révisons donc nos documents et nous allons envoyer de nouveau les nouvelles versions. La France aura la nouvelle version. Et sachez que pour communiquer avec le Ministère des affaires étrangères français, nous cherchons des contacts pour nous aider.
A Marseille, une autre avocate nous a renseignées et conseillées aussi, sur la nécessité d’une existence légale, morale, en nous précisant qu’en tant que deux personnes civiles, nous ne pouvions pas entrer à l’ONU. Il y existe 700 organisations qui s’occupent des droits des minorités. On pourrait prendre une ou plusieurs de ces organisations comme intermédiaires. Mais nous ne voulons pas d’intermédiaire. Nous ne voulons pas transformer cette initiative en action d’organisations non plus. Nous voulons garder la nature d’action de “désobéissance civile” et nous entourer simplement du soutien des organisations de la société civile.
Que demandons-nous ?
Pour finir avec la partie “diplomatique” de notre initiative… Voilà ce que nous demandons exactement : Nous pensons qu’à l’ONU il manque, un département qui s’occuperait des droits “culturels” des individus, des minorités kurdes et même, des majorités selon les régions. Non pas politiquement, mais culturellement. Parce qu’après tout, nous avons notre langue, nos traditions, notre musique, notre culture… A l’ONU, les Kurdes ne sont même pas dans le couloir.… Qui sont ils ? Des nations, des peuples, des gens, des ombres ? Pour parler des “Kurdes” officiellement, nous sommes obligées de déterrer le fichu traité de Sèvres pour nous y référer. Parce qu’ils ne sont cités nulle part ailleurs. Nous voulons que leur existence soit reconnue, quelque part officialisée. Prenons un exemple. Quand une ville qui a une population majoritairement kurde est attaquée en Turquie, pour des motifs ethniques, les habitants sont pourtant considérés comme des citoyens turcs. Quand une réunion concernant la Syrie est organisée, les Kurdes ne sont pas représentés, n’ont même pas la possibilité de participer en observateurs. Les Ezidis ont un représentant, car ils sont reconnus, il est rattaché au bureau des minorités, et au gouvernement irakien. Nous avons fait des recherches, les Kurdes ne sont pas les seuls à ne pas être représentés, il y en a d’autres. Les Tamouls vivant en Inde et Sri Lanka, avec leur population d’environ 80 millions, ne sont pas représentés non plus.
Par manque de structure, les rapports qui sont établis se sont perdus dans ce bazar. Un rapport de ceux qui sont morts en septembre atterrit enfin sur le bureau de quelqu’un au mois de mai, l’année d’après. Cinq, six réunions de Droits Humains ont été tenues l’année dernière. Il y a énormément de retard. Même les gens qui attendent dans des camps de rétention, attendent beaucoup, parce qu’il manque des documents, et que les dossiers n’avancent pas. Les difficultés peuvent aller jusqu’aux cours de langue, jusqu’aux demandes d’enseignantEs pour les jeunes vivant à l’étranger, afin qu’ils puissent accéder à l’apprentissage de leur propre langue…
Il y a bien une commission, des observateurs pour les Kurdes, dans le Parlement Européen. Il y en a en Hollande, en Allemagne, à Bruxelles… Pourquoi pas à l’ONU ?
Il faut se faire respecter
Tout cela n’est pas lié seulement à la guerre. Je pense que les Kurdes, les “environs 40–45 millions de Kurdes” ont aussi leur part de responsabilités. Regarde, à notre ère, nous connaissons le nombre des tortues caretta caretta, nous pouvons les recenser, et pour les Kurdes je dis encore “environ, 40–45 millions”. J’en ai assez d’être obligée d’ajouter ce “environ”, “selon les estimations”, “entre tant et tant”… Pourquoi ne connaissons nous pas notre nombre, nous mêmes ? Sommes-nous moins importants que les tortues ?
Et puis, il faut se faire respecter. Et pour cela il faut arrêter la logique de “victimisation”. Saadet dit toujours “Chacun pleure pour soi même.” J’entends souvent dire dans la bouche des Kurdes, “Nous payons le prix”.
Non, moi, je ne paye pas le prix de quoi que ce soit. Je peux dire aussi, “Ouiii, il nous est arrivé plein de choses, nous avons dormi dans la rue, sur le sol même, nous sommes restées sans un sou, et n’avons rien trouvé à manger, ah là là, nous avons payé le prix.…” Non ! Si tu veux mettre fin à ce système, il ne faut pas l’attendre des autres. Si on ne sait pas combien on est, eh bien, on se compte nous mêmes… Faire un recensement sauvage, illégal. Pourquoi pas ? Allons y.
Ce qui est renié, c’est notre essence même ! C’est comme être un “rapiècement”. C’est une chose de prendre un bout de tissu, et de l’ajouter sur une robe colorée, pour apporter une touche de couleur en plus. Mais, de le coudre dans un coin, bien planqué, en essayant de le cacher, c’est tout autre chose. Ce sentiment, d’être une “pièce rapportée” va jusque dans tes relations familiales. Tu le ressens partout, tu le croises dans tous les coins. Moi, je ne veux pas être un “rapiècement”, je ne veux pas que d’autres le soient non plus.
Nous marchons depuis 16 mois. Nous avons commencé en disant “Nous marchons pour l’existence des Kurdes”, mais avec tous les kilomètres parcourus, les rencontres, les lectures, réflexions, échanges, tout est parvenu à une autre dimension.
Et maintenant ?
Au départ, en définissant notre itinéraire, nous avions dit 4000 km. Jusqu’aujourd’hui nous avons marché 2900 km, il nous reste donc 1100 km. Nos prochaines étapes seront Nice-Rome, une marche d’environ 650 km. Nous n’avons pas pu compléter quelques portions pour des raisons comme une entorse à la cheville par exemple, nous allons bien sûr les marcher. Et ensuite la dernière étape, Lyon-Genève, 250 km…
Nous allons lancer une campagne de signatures aussi.
Et quand la marche sera terminée, à Genève, après avoir déposé notre dossier, en attendant leur réponse, nous allons faire un sit-in.
Nous leur dirons, “Nous savons que vous n’allez pas répondre, ‘oui’, ou ‘non’… Mais nous attendons une réponse nous prouvant que nous sommes entendues. Cela peut être un droit à la parole, ou/et un des pays membres qui peut se manifester, pour déclarer qu’il dépose un projet pour une ouverture de département.”
Pour cette action finale, nous attendons donc le soutien des amiEs de Genève et d’ailleurs… Nous imaginons, plein de choses à faire lors du sit-in. Par exemple, des tentes pour recevoir les visiteurs et journalistes, et continuer à recueillir des signatures. D’autres animations comme un jeu “j’existe, je n’existe pas” en touchant, et regardant les personnes… Nous voulons partager tout l’historique de la marche, illustré de vidéos et photos que nous avons faites, et les textes que nous avons écrits.… Raconter les rencontres. Nous voulons partager toute cette expérience, pour que cela donne courage et envie à d’autres pour de futures initiatives solidaires…
Un jour, en France dans un tout petit village, on parlait avec les villageois. Un paysan, Jean-Paul, a touché mon bras, mon épaule, et a dit “Comment peux-tu dire que tu n’existes pas ? Regarde, tu es là. Je te vois, tu as des yeux, des oreilles. Je te touche. Bien sûr que tu existes et tu existeras. Va, et marche pour moi aussi…”
Que pouvez-vous faire ?
- Gardez le lien de la page Facebook de l’EXISTENCE MARCH au chaud.
- N’oubliez pas qu’elles cherchent de l’aide pour les mettre en contact avec le Ministère des affaires étrangères en France.
- Pour l’instant, la prochaine destination est définie : toutes les routes mènent à Rome. Si vous habitez sur leur itinéraire, préparez leur accueil et des rencontres…
- Et si vous avez confiance en vos pieds, vous pouvez soutenir Saadet et Bahar, en participant à la toute dernière étape Lyon-Genève.
- Si vous êtes sur Genève, il y a de quoi faire, pour organiser l’arrivée, et toutes les activités lors du sit-in. Donc à suivre !
Kedistan vous donnera des nouvelles de Saadet et de Bahar et relaiera leur pétition dès qu’elle sera disponible…
» Pour lire l’article en turc, c’est par ICI