Il ne se passe pas une journée sans appren­dre que de nou­velles arresta­tions sont sur­v­enues en Turquie, à la suite de dossiers d’en­quêtes, tou­jours dili­gen­tées autour des mêmes chefs d’ac­cu­sa­tion, tout droits sor­tis de la loi sur le “ter­ror­isme”.
Le principe en est sim­ple. Prenez un par un les arti­cles de la loi, tirez-en un qui pour­rait servir de titre à un dossier à charge con­tre quelqu’unE à faire taire, et emballez le tout dans des “preuves” glanées chez le “sus­pect”, lors de la perqui­si­tion précé­dant la garde à vue. Cela, pour n’im­porte quel juriste, s’ap­pelle une instruc­tion à charge, par­tant d’une accu­sa­tion sans délit autre que d’avoir “dit”, “écrit”, “pronon­cé”, “dessiné”,“voulu faire savoir”…

Dans cette loi, les accu­sa­tions de “pré­somp­tion de ter­ror­isme ou d’in­tel­li­gence avec le ter­ror­isme”, alliées à “atteinte à l’u­nité de la Nation”, et donc for­cé­ment issues de “appar­te­nance à une organ­i­sa­tion ter­ror­iste”, sont énon­cées par ce trip­tyque à usage mul­ti­ple, véri­ta­ble “machine à tam­pons” pour dossiers à la chaîne…

Ain­si, mal­gré le délabre­ment de l’in­jus­tice, provo­qué par les purges d’après juil­let 2016, la police peut offici­er, et délivr­er aux Pro­cureurs des dossiers ficelés et dûment classés “ter­ror­isme”. Chaque cas, chaque “affaire” qui parvient à être con­nue ou doc­u­men­tée par le peu de presse indépen­dante qui les pub­lie encore en Turquie, se retrou­ve être un copié-col­lé de la précédente.

Com­ment croire dans ces con­di­tions à ce théâtre d’in­jus­tice, et surtout s’imag­in­er qu’un avo­cat, même le plus dévoué, puisse “per­son­nalis­er” la défense, rétablir devant les tri­bunaux aux ordres l’in­di­vid­u­al­i­sa­tion d’un dossier et la “per­son­nal­i­sa­tion de la peine”.

Quand cette loi fut pro­posée et votée, toutes ces con­séquences furent envis­agées et décrites par l’op­po­si­tion démoc­ra­tique, en l’oc­curence le HDP seul con­tre tous, excep­té les quelques rares fron­deurs kémal­istes habituels. Le coup d’é­tat civ­il, déjà bien engagé, trou­vait là, la “légitim­ité” de la répres­sion qui allait suiv­re, véri­ta­ble géno­cide poli­tique de l’op­po­si­tion. Le “cadeau” que le ciel fit à Erdoğan fort oppor­tuné­ment en juil­let, et le sur­saut uni­taire nation­al pour “défendre l’u­nité de la Nation turque et sa démoc­ra­tie” per­mirent d’ac­célér­er les proces­sus… Ain­si va la démoc­ra­tie turque non ?

Depuis, l’Assem­blée vient même majori­taire­ment de vot­er le pro­jet de réforme con­sti­tu­tion­nelle (qui sera soumis à référen­dum) qui pose le tur­ban sur la tête de l’ensem­ble, et surtout celle de son Sul­tan pour 2023.

Voilà bien des ques­tions poli­tiques “internes à la Turquie” que les diplo­maties européennes se con­tentent de saluer par une “grande vig­i­lance”.
L’A­gence française pour le développe­ment (AFD) qui vient de promet­tre une somme de 250 M€ à la Turquie, pour don­ner la pos­si­bil­ité aux équipemen­tiers français, aux béton­neurs et ges­tion­naires d’e­spaces publics, d’en­caiss­er quelques prof­its, ne sera pas de ceux qui fer­ont la fine bouche sur les inter­pré­ta­tions et dis­tor­sions du droit inter­na­tion­al par la Turquie. Ce n’est pas de droit des affaires dont il s’ag­it. Le Con­sul est sur la même ligne. Vis­i­ble­ment, si on en juge la rapid­ité de la Bel­gique à répon­dre aux sol­lic­i­ta­tions poli­cières d’Er­doğan, de ce côté là non plus, rien à atten­dre de bon de Brux­elles. Et, de toutes les manières, soyons réal­istes, une grande majorité des gou­verne­ments et “majorités” européennes sont en sur­sis où en fin de règne. La curée élec­toral­iste fera rage en 2017.

Si on observe à quelle vitesse a dis­paru des médias la sit­u­a­tion crée par la reprise d’Alep, et son cortège de vic­times, on peut pari­er aus­si que ce qui n’a con­sti­tué qu’un “inter­mède” pour cer­tains d’en­tre eux, autour de la per­son­nal­ité d’Aslı Erdoğan, va aus­si se dis­siper, tant dans les salles de rédac­tion que par­fois cer­tains tapis de salles de récep­tion, entre ini­tiés et élus, et repass­er dans la rubrique “cul­ture”.

Ain­si, la for­mi­da­ble mobil­i­sa­tion, le bel élan pour défendre la lib­erté d’ex­pres­sion en Turquie, à par­tir d’une per­son­nal­ité d’écrivaine, pour­rait-ils con­naître une tra­jec­toire qui ne les amèn­erait pas à pass­er par la défense opiniâtre de toutes et tous les accusés de ter­ror­isme, aujour­d’hui otages empris­on­nés en Turquie, en retour­nant vers un unique et apoli­tique ancrage lit­téraire et cul­turel. Comme on aurait blanchi un Man­dela. Nous con­nais­sons des min­istres que cela arrangerait bien, sans vouloir nous mon­tr­er mau­vaise langue.

Alors, encore une fois, que faire ?

Nous sommes nous posé cette ques­tion, assor­tie de pes­simisme, lorsqu’il s’est agit de lancer un appel pour la libéra­tion d’Aslı Erdoğan ?
Quand, alors que les réac­tions de la pro­fes­sion, lors de salons du livre, celle des édi­teurs, se sont per­dues dans le sable des plages du mois d’août, et que l’après putsch en Turquie voy­ait ses grandes purges débuter, avons nous rejoint le camp des aquabonistes ?

Il y a eu un appel par là, une let­tre de prison d’Aslı par ci, un entête­ment à penser qu’il était tou­jours utile de lancer des bouteilles à la mer… Et, mal­gré tous les pronos­tics, mal­gré le dés­in­térêt (heureux en l’oc­curence) des politi­ciens habituels, il s’est trou­vé des mail­lons d’une chaîne qui ont tis­sé une sol­i­dar­ité, oh, bien frag­ile, sur trois con­ti­nents. Et il faut le recon­naître, il s’est trou­vé aus­si ici et là des “jour­nal­istes” pour tenir tête à des rédac­tions affairées ailleurs, ou sim­ple­ment con­va­in­cre, qui ont com­mencé à faire du “bruit”, et ont rejoint le bruisse­ment des mots lus, puis bien­tôt mis en musique.

Ces mêmes mots, qui décrivent aus­si la réal­ité de la répres­sion en Turquie, des dis­crim­i­na­tions, ont appelé nom­bre de con­sciences à déchir­er le rideau de fumée soigneuse­ment entretenu, pour cause de “réten­tion de réfugiés indésir­ables en Europe”.

Et si, par bon­heur, Aslı Erdoğan, ain­si portée vers la lumière, se retrou­vait libre en mars, après ce nou­veau juge­ment d’in­jus­tice à venir, nous n’ou­blierons pas, du moins pour beau­coup d’en­tre nous, qu’elle dis­ait “qu’elle ne serait pas libre tant que les autres res­teront en prison”.

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Et qui sont ces autres, ces mil­liers d’autres ?

Si vous par­courez Kedis­tan régulière­ment, vous com­mencez à les con­naître, ou du moins celles et ceux qui col­lec­tive­ment résis­tent et se por­tent défenseurs de tous, et acceptent cette mise en avant sans crainte. Ils n’ont plus aucune illu­sion sur ce régime qui les accable.

Ils, elles, femmes, hommes, sont, pêle mêle, avo­cats, activistes, intel­lectuellEs, uni­ver­si­taires, artistes, quidam, fémin­istes, cinéastesjour­nal­istes, éluEs, poli­tiques, LGBTI, auteurEs, toutes et tous otages poli­tiques d’un régime fascisant.

Et ce ne serait pas la pre­mière fois dans l’his­toire des cour­tes ou longues vies de cha­cunE d’en­tre nous que nous ren­con­trons cette sit­u­a­tion où la sim­ple con­science demande d’a­gir, cha­cunE selon ses com­pé­tences, pos­si­bil­ités et avec la con­science de le faire aus­si pour nous mêmes, au vu des nuages qui s’accumulent.

Alors, véri­fions uns par uns les mail­lons de la chaîne, et même s’il en manque un peu au final, imag­i­nons col­lec­tive­ment com­ment faire de ces vis­ages, de ces human­ités encagées, des com­pagnons de résis­tance quo­ti­di­enne, ici et là bas.

Nous avons lu des textes, pro­jeté des films, mis en lumière et en musique des mots pour Aslı Erdoğan, et nous con­tin­uerons à le faire jusqu’à sa libéra­tion… Nous le fer­ons aus­si pour toutEs les autres… En inven­tant les mots si nécessaire.

Le livre de l’op­pres­sion turque ouvert sous nos yeux appelle aus­si tout autant à lec­tures et com­préhen­sions col­lec­tives, parce qu’il con­tient en creux des devenirs menaçants et destruc­teurs, pour nos pro­pres vies “libres”.

Certes, plus nom­breux, plus divers nous serons…


Vous pou­vez copi­er, partager, dif­fuser cet appel sans retenue, vous y join­dre, nous faire part de vos idées d’initiative…

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