EDITO

Plus rien ne devrait nous éton­ner en terme de col­lab­o­ra­tion crim­inelle entre les gou­verne­ments européens et leur allié turc. Et pour­tant, nous ne pou­vons nous empêch­er de sur­sauter à chaque nou­velle trahi­son des pop­u­la­tions kur­des par l’Europe.

L’année 2016 s’est ter­minée sur le classe­ment de l’affaire accu­sant un mem­bre des ren­seigne­ments turcs de l’assassinat de trois mil­i­tantes kur­des à Paris en 2013. C’était sans doute la femme la plus influ­ente du PKK, Sakine Can­sız, qui était visée par cette exé­cu­tion ; celle-ci avait été accep­tée en France en tant que réfugiée poli­tique. Or, les autorités français­es (ser­vices de ren­seigne­ments, juges et gou­verne­ment) ont tout fait pour que rien ne soit dévoilé sur cette affaire. La date du 9 jan­vi­er qui devait être un moment d’hommage à la lutte de ces trois femmes, a été mar­qué en 2016 par une nou­velle exé­cu­tion en Turquie de trois femmes mil­i­tantes kur­des, puis en 2017 par la clô­ture du dossier en France.

Par­al­lèle­ment, en Bel­gique, Maxime Aza­di, respon­s­able de l’agence de presse kurde Firat News Agency (ANF) était arrêté et placé sous procé­dure anti-ter­ror­iste, à la demande de la Turquie via l’organe de coor­di­na­tion inter­na­tionale des polices, Inter­pol. Vous pou­vez lire son témoignage dans ce numéro.

Alors que les spots sont plutôt tournés vers Alep (deux­ième ville de Syrie, dont les derniers quartiers d’opposant.e.s sont tombés, sous les bombes russ­es, entre les mains du régime) et vers Mossoul (prin­ci­pale ville sous con­trôle de l’État Islamique, en Irak, que tente de repren­dre une alliance ‑oppor­tuniste- à force de lourds com­bats), la région du Roja­va tient encore et pour­suit son tra­vail de four­mi pour con­stru­ire son mod­èle con­fédéral, tout en se défen­dant de l’armée turque et de l’EI. C’est sur les efforts de la société civile, et le sou­tien ‑ou pas- des dif­férentes pop­u­la­tions au mod­èle révo­lu­tion­naire mis en place, que se penche un bénév­ole européen dans la “Let­tre du Rojava”.

Les Kur­des ten­tent de met­tre en place au Roja­va un sys­tème poli­tique inclusif des dif­férentes com­mu­nautés eth­niques et religieuses présentes dans la région, car ils et elles ont bien pris con­science des effets dévas­ta­teurs des nation­al­ismes écras­ant toute diver­sité. Les pop­u­la­tions kur­des ont partout été vic­times de ces nation­al­ismes assas­sins, et y ont égale­ment par­ticipé à des occa­sions, notam­ment con­tre les pop­u­la­tions arméni­ennes lors du géno­cide de 1915, qui pré­para le ter­rain pour la future République Turque. Comme le souligne la soci­o­logue kurde Bil­gin Aya­ta, « Quoique la chronolo­gie, l’étendue et les pra­tiques de vio­lence d’État con­tre les Arméniens, les Kur­des, les Alévis et d’autres groupes per­sé­cutés puis­sent vari­er, ces groupes parta­gent un assu­jet­tisse­ment aux poli­tiques néga­tion­nistes de la République turque. » Dans son arti­cle, l’auteure trace dif­férents liens entre le géno­cide arménien et les vio­lences dirigées notam­ment sur les Kur­des et les Alévi.e.s, puis elle pro­pose de reval­oris­er les approches pro­posées par les intellectuel.le.s ou les militant.e.s kur­des quant au proces­sus de “répa­ra­tion” du géno­cide arménien.

Par ailleurs, un autre intel­lectuel kurde souligne la néces­sité de tenir compte des dis­crim­i­na­tions selon les dif­férents aspects de l’identité, et l’interconnexion ou « inter­sec­tion­nal­ité » entre celles-ci. Il analyse plus spé­ci­fique­ment la dou­ble répres­sion subie par les eper­son­nes LGBTI+ kur­des, et com­ment la répres­sion con­tre le mou­ve­ment kurde en Turquie vise aus­si directe­ment ses poli­tiques en faveur des mou­ve­ments LGBTI+.

On pour­rait appli­quer l’analyse inter­sec­tion­nelle à la sit­u­a­tion des tra­vailleurs kur­des trans­frontal­iers, entre l’Irak et l’Iran, ain­si qu’entre l’Iran et la Turquie, qui subis­sent la répres­sion raciste de la part des dif­férents États, ces derniers se cachant à peine der­rière des con­sid­éra­tions économiques qui met­tent en lumière une dis­crim­i­na­tion de classe. Dans tous les cas, le texte que nous relayons à ce pro­pos, tiré de Kedistan.net, nous fait décou­vrir la réal­ité peu con­nue de ces pop­u­la­tions qui ten­tent de sur­vivre grâce à l’échange com­mer­cial entre des régions kur­des séparées par des fron­tières, et donc traitées comme “con­tre­bandiers”.

Enfin, le dernier sujet abor­dé dans ce onz­ième numéro du Mer­ha­ba Heval­no, con­cerne le groupe clan­des­tin kurde TAK qui fait par­ler de lui de plus en plus, de par ses attaques à la bombe menées dans des villes de l’ouest de la Turquie, visant des brigades con­nues pour leurs opéra­tions mil­i­taires menées au Kur­dis­tan. Ce texte explique com­ment la vio­lence extrême vécue par les Kur­des en Turquie ne laisse pas le choix priv­ilégié de la «non-vio­lence» et va puis­er dans les racines des attaques du TAK.

On aurait pu finir cet édi­to en vous souhai­tant une année 2017 pleine de san­té, d’amour et de rage, mais nous préférons ter­min­er sur une note plus sar­cas­tique… Cette année les Kur­des de Turquie ne man­quaient pas d’un cer­tain humour noir pour se souhaiter la bonne année. « Deux per­son­nes sont passées chez moi aujourd’hui. Ils m’ont demandé ton adresse, ton numéro et tout le reste. Je t’ai pas demandé, et je leur ai don­né. J’espère que tu m’en veux pas. Je leur ai demandé pourquoi est-ce qu’ils te cher­chaient. Ils m’ont dit que same­di soir ils allaient pass­er chez toi. Le nom d’un des deux est Bon­heur, et l’autre San­té. Et toute l’année ils vont rester chez toi et chez moi. San­té, Bon­heur, et que la Paix nous accom­pa­gne. Belle année. »

SOMMAIRE

  • Edi­to p. 2
  • L’état d’urgence en Turquie et les LGBT+ kur­des p. 3
  • Let­tre du Roja­va p. 8
  • Les Kol­bers, ces tra­vailleurs oubliés du Rojhi­lat p. 10
  • Les kur­des dans le proces­sus de réc­on­cil­i­a­tion arméno-turc p. 12
  • Lorsque les kur­des enten­dent le mot « TAK », il et elles saven ce que cela sig­ni­fie : vengeance p.15
  • Je ne suis pas coupable, j’accuse ! p. 18
  • Les femmes con­tre les fémini­cides p. 19
  •  Glos­saire & agen­da p. 20

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Nous voudri­ons, en pub­liant ce bul­letin Mer­ha­ba Heval­no, met­tre en mots et en acte notre sol­i­dar­ité avec les mou­ve­ments de résis­tance au Kurdistan.

Ce bul­letin men­su­el autour de l’actualité du Kur­dis­tan est notam­ment rédigé depuis la ZAD de NDDL, mais pas seule­ment ! Un cer­tain nom­bre de cama­rades de Toulouse, Mar­seille, Angers, Lyon et d’ailleurs y participent…

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