Azad est un petit garçon qui vit avec sa maman à Istan­bul. C’est un garçon ordi­naire, qui aime chanter, faire le zouave, regarder des dessins ani­més et se point­er devant le fri­go pour se goin­fr­er. Mais il y a quelque chose qui n’est pas ordi­naire du tout : pour des raisons que le film ne met pas à jour ouverte­ment mais révèle par allu­sions, pour Azad il est inter­dit de sor­tir. Les motifs de cette inter­dic­tion sont évi­dents pour le spec­ta­teur turc et kurde, et par­faite­ment sai­siss­ables par tout public.

AzadL’histoire d’Azad, racon­te le quo­ti­di­en de mil­liers de Kur­des ordi­naires, sous des cou­vres-feu que l’Etat turc déclare et qui durent des mois, sans interruption.

L’Association des Droits de l’Homme de Turquie déclarait en 2016 “Depuis le 16 août 2015, selon les sources offi­cielles, 58 cou­vre-feux illim­ités, ont impacté la vie quo­ti­di­enne d’un mil­lion 377 mille per­son­nes, vivant dans les 19 quartiers de 7 villes, telles que Diyarbakır, Şır­nak, Mardin, Hakkari”. Ces cou­vres-feux ont été mis en place par l’Etat turc, “afin de faire la guerre dans le Sud-Est de la Turquie, con­tre le PKK déclaré illé­gal par le gou­verne­ment turc”

Dans ces dernier mois, l’intensité et la durée des inter­dic­tions avaient encore aug­men­té dra­ma­tique­ment. Le cou­vre-feu le plus long s’est déroulé à Sur, quarti­er de Diyarbakır. Lors de ces 41 jours de cou­vre-feu, 162 civils dont 29 femmes, 32 enfants, et 24 per­son­nes de plus de 60 ans ont per­du leur vie. Au moins 22 de ces per­son­nes, sont mortes après avoir été blessées, dans leur pro­pre mai­son, par balles, mortiers ou grenades, et faute de pou­voir accéder aux soins. Les rap­ports sont apoc­a­lyp­tiques et accablants.

Et même si la majorité des sièges armés a cessé, les villes détru­ites restent sous com­plète sur­veil­lance et nom­breuses sont celles où un admin­is­tra­teur d’E­tat a été désigné en lieu et place des maires et co-maires empris­on­nés, et où la spo­li­a­tion des biens se poursuit.

Le film de Yakup Tek­in­tan­gaç ne racon­te pas les cou­vre-feu seule­ment dans leurs dimen­sions physiques destruc­tives mais se penche aus­si sur l’âme humaine et son monde intérieur.

Azad est dans un total manque de con­tact humain, aus­si bien physique qu’affectif, et il essaye d’être lui même, seul, enfer­mé dans sa mai­son. Un pigeon qui ren­tre acci­den­telle­ment à l’intérieur de l’appartement lui apporte quelque chose dont il a soif : l’amitié. Il n’est pas éton­nant qu’en voy­ant un pigeon blanc par la fenêtre, vol­er dans le ciel, libre, il se trou­ve devant un dilemme. Azad, décide d’offrir la lib­erté à son nou­v­el ami, la lib­erté dont lui même ne peut jouir.

Le petit garçon pos­sède une arme red­outable pour lut­ter con­tre sa soli­tude et son isole­ment : l’expression de lui même par l’Art. Même si sa maman Sosin qui affronte la colère des voisins qui se plaig­nent du bruit, le lui inter­dit, il joue l’erbane, une sorte de tam­bour tra­di­tion­nel, il chante et il danse. Cet instru­ment qu’il a hérité de son père, est son unique lien affec­tif avec lui. Nous, spec­ta­tri­ces et spec­ta­teurs, sachant que qua­si­ment toutes les familles kur­des, ont per­du des proches, tout au long de ces années de lutte et de résis­tance, com­prenons donc, que le père d’Azad serait mort sur le chemin de la liberté.

Azad a aus­si un pro­jet secret, sur lequel il tra­vaille dans sa cham­bre. Ce pro­jet créatif, révélé à la fin du film, sur lequel on se tait pour ne pas vous gâch­er la sur­prise, apporte une fin extrême­ment puis­sante. Azad nous mon­tre, que même enfer­mé der­rière des murs, il est pos­si­ble d’être libre, et qu’on peut lut­ter en créant, dans les con­di­tions les plus difficiles.

Azad

AzadYakup Tek­in­tan­gaç est né en 1980 à Ağrı. Il est diplômé de la Fac­ulté de Chimie de l’Université Yüzüncü Yıl. Il a con­tin­ué ses études par un mas­ter de Bio­physique aux Etats Unis. Il a fait des études de scé­nario pen­dant 3 ans, au SEN-DER, ensuite a fait par­tie du groupe de pro­jet de Hüseyin Kuzu pen­dant 2 ans. Pen­dant 4 années il a par­ticipé au col­lec­tif du Ciné­ma de Mésopotamie. Actuelle­ment il enseigne le scé­nario de court-métrage au Sine-Merkez Akademi.
Qap­sûl (2011) son pre­mier film, et le suiv­ant Polis­tan (2014) ont été présen­tés dans plusieurs fes­ti­vals de ciné­ma. Yakup a eu plusieurs prix avec les scé­nar­ios précé­dents, et pour celui de Qap­sûl. Quant à Azad (2015), le film con­tin­ue son chemin avec de nom­breux prix…

Le 26 décem­bre 2016 une enquête a été ouverte “pour apolo­gie de crime et de crim­inels”, à l’encontre de 433 cinéastes qui avaient apporté leur sou­tien aux uni­ver­si­taires sig­nataires d’un appel pour la Paix. Yakup est sur la liste

Festival de courts métrages dans le cadre du Festival des Nations d’Autriche : “Meilleur réalisateur” (2016) | !F Festival international du film indépendant d’Istanbul : “Meilleur film” Prix du public (2016) | Yunus Nadi, Turquie : “Meilleur court-métrage” (2016) | Festival de court métrage de Sinepark, catégorie Alabora : “Meilleur film” et “Meilleur montage” pour K. Ramazan Yüksel (2015) | Compétition de court-métrage du Centre communautaire de Tarlabaşı, Istanbul : “Premier prix” (2016) | Festival du film Altın Çınar,Turquie : Catégorie de Fiction Nationale “Deuxième Prix” (2016) | Concours de court métrage Atıf Yılmaz, Turquie : Catégorie de fiction “Premier prix” (2016) | Festival du film Yılmaz Güney, Compétition de court-métrage, Turquie : “Troisième prix” (2015) | Marmara Communications, Concours de courts métrages : “Meilleur acteur” pour M. Cavit Ak, 2016 | de court métrage et documentaire turc, Boston : “Prix spécial du Jury” (2016) | Festival du Film de Berlin, stand turc, Allemagne | Festival de Cannes, stand turc, France…

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Pour les lec­tri­ces et lecteurs de Kedis­tan il y a un petit cadeau en primeur de la part de Yakup.
Vous pou­vez désor­mais regarder l’in­té­grale du film ci-dessous. Azad restera en ligne et vous pou­vez le faire savoir. Dans sa ver­sion orig­i­nale en kurde, le film est sous-titré en turc, en anglais et avec la con­tri­bu­tion de Kedis­tan, en français…

Bon film à toutes et à tous…

Voici en bonus, le reportage que Ben­jamin Bil­gen avait fait avec Yakup Tek­in­tan­gaç il y a tout juste un an. (pub­lié le 13 jan­vi­er 2016)

Quel a été le déclencheur pour faire le film Azad ?

Azad” veut dire “lib­erté”. Bien que dans l’histoire, Azad appa­raisse comme enfer­mé entre les murs, nous com­prenons à la fin qu’il est en réal­ité, libre. En par­tant de cette idée, même si vous lim­itez, enfer­mez physique­ment un indi­vidu, vous ne pou­vez ni lim­iter, ni empris­on­ner son cerveau, son âme. Il est tou­jours maître de lui même et libre. Les Kur­des lut­tent depuis des années pour leur lib­erté. Ils lut­tent pour vivre libre­ment, pour faire vivre leur langue, leur musique, leur cul­ture, libre­ment… J’ai voulu par­ler de la lib­erté, en pas­sant par des images et la force esthé­tique de l’Art.

Je trou­ve le car­ac­tère de Sosin très intéres­sant. Même si elle parait sou­vent irri­ta­ble et sévère, elle peut être aus­si douce, sen­ti­men­tale et com­préhen­sive. Quel, ou qui était la source de ce personnage ?

La région kurde est un ter­ri­toire abrupte. Vivre sur ces ter­res est dif­fi­cile, aus­si bien pour les con­di­tions physiques que poli­tiques. Les poli­tiques et la vio­lence d’Etat se reflè­tent sur les habi­tants. Les enfants gran­dis­sent dans cette vio­lence. Le per­son­nage de Sosin, peut être lu comme l’écho de ces poli­tiques. L’obligation de s’accommoder à la vie urbaine, le fait que la survie de la vie quo­ti­di­enne repose sur ses épaules la ren­dent irri­ta­ble. Mais mal­gré tout, elle est une mère. Même si on ne sait pas exacte­ment ce qui est arrivé au père d’Azad, le petit garçon est le seul héritage qu’il a laissé.

La musique et la danse sont des thèmes impor­tants de votre film. Que sym­bol­ise la chan­son qu’Azad chante tout au long du film ?

Dans notre cul­ture la musique prend une place à part. Quand la langue kurde a été inter­dite, notre cul­ture a été portée jusqu’à nos jours à tra­vers la musique. Rien que pour cette rai­son les archives orales* véhiculées par les deng­bêj exis­tent. L’instrument que l’enfant joue, est un instru­ment qui appar­ti­en­nent à ces chanteurs pop­u­laires. Les türkü ont une impor­tance par­ti­c­ulière bien sûr. Ces chan­sons par­lent des gens qui ont été for­cés à l’exode.

[* Vous pou­vez trou­ver quelques remar­quables échan­til­lons de ce moyen de trans­mis­sion orale de Cul­ture et d’His­toire, dans un des arti­cles d’Estelle Amy de la Bretèque : Chants de héros et autres lamen­ta­tions]

Azad

Votre nou­veau film Azad et votre film précé­dent Qap­sûl par­lent de sujets poli­tiques très sérieux à tra­vers la per­spec­tive des enfants. Qu’est-ce qui influ­ence ce choix créatif de trans­met­tre ces sujets vu à tra­vers des yeux d’enfants ?

Le fait que je racon­te mes his­toires à tra­vers les enfants n’est pas un choix con­scient. Peut être, l’expression de mon incon­scient. Mes deux prochaines his­toires à venir, sont égale­ment sur les enfants. Le car­ac­tère chez l’humain, prend forme entre 0 et 7 ans. Si cet espace d’âge s’est passé dans un milieu vio­lent, les 30 pour cent restants restent aus­si sous l’ombre de cette vio­lence. Aujourd’hui, dans les villes kur­des, il y a des cou­vre-feux comme dans la péri­ode du coup d’Etat de 1980. Dans ces derniers deux mois 44 enfants ont été tués. [A Cizre], le bébé Miray, a été mas­sacré dans les bras de sa maman, alors qu’il n’avait que 3 mois. Des cen­taines d’enfants comme Azad, ne peu­vent pas vivre leur enfance, ne peu­vent pas sor­tir jouer dans la rue. Ces enfants livrent un com­bat de survie dans des abris, sous les bruits de canons et fusils. Et cela les met au pre­mier plan dans les sup­ports artistiques.

Votre film porte des sym­bol­es con­flictuels comme couper une carte d’identité turque. Avez-vous subi des agres­sions, à cause de ces sym­bol­es con­flictuels ou votre vision politique ?

En Turquie, un jeune qui s’appelait Sedat Akbaş a été tué, il y a quelques mois, juste parce qu’il par­lait au télé­phone, en kurde. Ou bien, lors de la péri­ode élec­torale, des locaux pro­fes­sion­nels appar­tenant à des Kur­des ont été incendiés. Par ailleurs, dans des ville kur­des, il y a des points de con­trôle partout. Vous vous sen­tez dans un autre pays. Quand vous exprimez quelque chose qui con­cerne le peu­ple kurde, vous êtes éti­quetés de “ter­ror­iste”. Il n’y a pas plus longtemps que deux jours, une enseignante, sur une émis­sion de télé en direct a dit “Des enfants sont tués dans des villes kur­des, les médias ne voient pas cela. Ne restez pas dans le silence” et aus­si bien elle que le présen­ta­teur de l’émission Beyazıt Öztürk ont été déclarés “traitres [à la patrie]”. Tout cela est de l’agression.

Quelle con­clu­sion souhaitez vous que le pub­lic tire du film Azad ?

Aujourd’hui encore, les chars sont posi­tion­nés dans des villes kur­des. Tous les jours, des civils sont tués, sans dif­férenci­er vieux, jeunes, enfants. Nous prenons ces nou­velles de nos proches, mais elle ne fig­urent nulle part pour que l’opinion publique y accède. Le fait que l’Ouest du pays reste silen­cieux, pen­dant que les les Kur­des subis­sent autant de vio­lence dans leur mai­son, nous éloigne de nous même, de plus en plus. Le peu­ple turc, en se désolant pour un peu­ple à des kilo­mètres (Pales­tine), préfère rester muet pour le peu­ple kurde dont il vit la prox­im­ité. Je souhait­erais qu’Azad leur pique la con­science, éveille de l’empathie chez eux. Parce que les Turcs et les Kur­des n’ont pas d’autre solu­tion que de se com­pren­dre. Sinon cette vio­lence ne s’arrêtera jamais.

Selon vous, tra­vailler la poli­tique est-il de la respon­s­abil­ité des artistes ? Vous con­sid­érez-vous comme un artiste politique ?

L’Art se ressource de la vie réelle. La vie réelle influ­ence tou­jours la pro­duc­tion de l’Art. Comme les con­di­tions de l’époque font naître des courants de ciné­ma, (par exem­ple le Nou­veau Réal­isme du ciné­ma ital­ien), l’Histoire de la vie influ­ence l’Art de l’artiste. En pen­sant ce que je vais écrire, je me focalise sur des prob­lèmes qui m’incluent con­crète­ment. C’est une sorte de cri. Je crie avec ce que j’écris, et je veux attein­dre par ma voix les points les plus loin­tains. C’est à dire que je m’intéresse non pas au fait que le sujet soit poli­tique ou non, mais à mon pro­pre cri.

Pour vous, quel est et quel doit être le rôle de l’Art pour le change­ment poli­tique et social ?

L’Art et l’artiste doivent être tou­jours du côté des opprimés. L’Art peut traiter de ce qui se passe mais peut aus­si traiter de ce qui doit se pass­er. Dans cet optique, il est un précurseur. Comme il peut arrêter les guer­res, il peut aus­si apporter la paix. Par­fois les gens se focalisent telle­ment sur la vie réelle poli­tique qu’ils n’arrivent pas à pren­dre du recul et se regarder d’un troisième oeil. Ils se noient dans le présent. Alors l’Art, en se chargeant de ce rôle de “troisième oeil”, peut servir pour faire évoluer ce savoir faire chez les gens et les réveiller. Il peut sor­tir les per­son­nes ou la société de ce cer­cle vicieux. Je crois à cette force de l’Art.

Selon vous, quel est le plus grand prob­lème que la société kurde en Turquie rencontre ?

Ce sont des prob­lèmes de droits fon­da­men­taux et cul­turels, comme l’identité, la langue, réu­nis sous le chapitre “Lib­erté”. Ce sont tous des droits néces­saires qui doivent exis­ter du point de vue des Droits Humains Uni­versels, comme le droit à l’eau. Si on essaie de faire une liste de pri­or­ités, “études en langue mater­nelle” vient en tête. Car il est indis­pens­able pour la con­ti­nu­ité de l’existence his­torique et culturelle.

La Paix, est-elle pos­si­ble dans l’Est de la Turquie ? Selon vous, que faut il pour que la Paix s’installe ?

Je ne suis pas politi­cien, mais je crois de tout coeur que l’Art peut apporter la Paix. Si les peu­ples réus­sis­sent à avoir une con­science pour repren­dre le droit à la Paix, du mono­pole de l’Etat/pouvoir, la Paix revien­dra. Parce que les pou­voirs ont un pen­chant à utilis­er cela dans le sens de leurs objec­tifs poli­tiques. Là aus­si, la force libéra­trice de l’Art entre en jeu. Il faut réalis­er des films qui seront le ciment de la Paix. Les peu­ples méri­tent réelle­ment cela. Nous avons vu les con­séquences atro­ces de la guerre, elle n’a pas apporté autre chose que la haine, la mort et le sang. Il faut cette fois, essay­er de se libér­er à tra­vers l’Art, en tes­tant les con­séquences viv­i­fi­antes, con­struc­tives et uni­fi­ca­tri­ces de la Paix.


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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.