Ahmet Şık journaliste de Cumhuriyet, a été pris en “otage” ou selon le régime “placé en garde-à-vue” dans les premières heures du jeudi 29 décembre, le jour même du procès d’Aslı Erdoğan et de l’équipe d’Özgür Gündem.
Il a été interrogé le lendemain, vendredi par Fahrettin Kerim Yerli, le “Procureur de presse” d’Istanbul. (Oui, il y a un Procureur pour la presse, comme il existe un bureau de police spécial presse !)
Ahmet a refusé de répondre aux questions du Procureur : “Vous ne pouvez pas enquêter de cette façon, sur le journalisme.” a‑t-il dit”, Je considère que le fait que mes activités professionnelles fassent objet d’une enquête, dans une période où le judiciaire, qui est déjà problématique depuis longtemps, a les liens les plus ténus avec le Droit. C’est une insulte à ma déontologie. Si le judiciaire était neutre et indépendant, j’aurais pu répondre aux questions.”
Après son interrogatoire effectué au commissariat, Ahmet a été transféré au Palais de Justice de Çağlayan.
Le Procureur en a décidé ainsi, ayant “trouvé des preuves” sur le fait qu’Ahmet ferait de la propagande terroriste, pour plusieurs organisations, le PKK, le DCKP‑C et le FETÖ. On peut se demander comment on peut trouver une passerelle entre ces organisations fondamentalement différentes, l’une défendant le confédéralisme démocratique, l’autre un marxisme-léninisme et la dernière étant une confrérie islamiste. Patience, le tribunal réfléchit… Il trouvera les liens.
Après une longue attente, autour de 14h30 le tribunal a donc pris sa décision.
Selon le tribunal, il est tout a fait possible qu’Ahmet ait fait de la propagande pour deux organisations à la fois, le PKK et le FETÖ. Bien que ces organisations armées soient très différentes, et que cela puissent paraître contradictoire, lors des enquêtes post-coup d’Etat raté, il serait “avéré que ces organisations soutenues depuis l’étranger, ont agi ensemble et en coordination, et par conséquent le fait que le suspect ait fait de la propagande pour les deux organisations n’est pas contradictoire”.
Le tribunal a également notifié que le délit ayant été commis par voie de presse, et que, lors de l’interrogatoire, le suspect n’avait montré aucun regret, et fait des déclarations “semblables” à celles des organisations terroristes, les contrôles judiciaires seraient insuffisants, et une arrestation plus adaptée.
Ahmet fut donc arrêté pour “propagande terroriste” et “humiliation en public, de la République de la Turquie, ses organes judiciaires, ses militaires et son organisation policière”. Le Procureur apporte comme “preuves” les tweets d’Ahmet, ainsi que certains de ses articles dont un reportage avec Cemil Bayık, le responsable du PKK, publié le 14 mars 2015, trois articles concernant le MIT (Renseignements turcs), et ses rôles dans le massacre de Roboski, et les camions chargés d’arsenal militaire. Ce dernier sujet empoisonné, avait coûté également à Can Dündar, le journaliste de Cumhuriyet, la prison et l’exil.
C’est donc un règlement de “comptes”, probablement mûri en amont, que le régime entame avec ce journaliste, dont la “carrière” est jalonnée de “désobéissances”. Nous n’avons sans doute pas fini de parler de lui.
Un de plus, sur la liste longue, de celles et ceux qui deviennent plus nombreu(se)x à l’intérieur des prisons que dans celle, à ciel ouvert, que constitue désormais la Turquie pour la liberté de parole.