Un attentat à la bombe avec un véhicule chargé d’explosifs a eu lieu aujourd’hui, le 17 décembre, à Kayseri. Lors de cet attentat commis devant le campus de l’Université d’Erciyes, 14 militaires sont morts et on comptait 56 blessés.
Le Ministre d’intérieur Süleyman Soylu a déclaré d’emblée 55 blessés dont 12 dans un état grave. Il a également souligné que 8 des victimes ainsi que la personne qui avait commis l’attentat avaient déjà été identifiées et que 7 personnes soupçonnées d’être liées à l’attaque ont été mises en garde-à-vue. 5 sont recherchées. (Le nombre des victimes est monté, ultérieurement à 14 morts et 56 blessés.). “Ceux qui n’ont pas pu envahir la Turquie le 15 juillet, essayent aujourd’hui de l’intimider par la voie du terrorisme” a‑t-il ajouté.
Les Forces militaires turques (TSK) ont déclaré avec un vocabulaire très spécifique “l’attentat commis contre le bus de ville parti du Commandement de brigade de Commandos de Kayseri autour de 08h45, transportant les soldats qui partaient en permission, a fait 13 martyrs, du personnel héroïque et 48 personnels héroïques ont été blessés. Les blessés ont immédiatement été transférés vers des hôpitaux de la région, et leur soin a commencé. Par ailleurs dans cette atroce attaque, le fait que nos citoyens civils soient également blessés est étudié. ”
Les témoins ont rapporté qu’une voiture immatriculée 71 (Kırıkkale) suivait le bus et que l’explosion est survenue au moment où elle a volontairement percuté le bus.
Nous trouvons dans quasiment toute la presse turque ce copier-coller dont la source n’est pas citée : “Il a été déclaré que le terroriste est membre du PKK, et portait une fausse pièce d’identité, et que sa vraie identité a été découverte. Toutes les personnes liées au terroriste utilisant les noms de code ‘Çektar’ et ‘Botan’ sont retrouvées un par un.”.
“Il a été déclaré”… par qui ?
Notons que le Premier Ministre a mis très rapidement une “censure sur information” à propos de l’attentat.
Le Vice-premier ministre Numan Kurtulmuş a déclaré à son tour : “Les signes pointent sur le PKK.” Il a précisé que le matériel utilisé pour l’attentat était similaires au précédent attentat de Besiktaş à Istanbul…Ces munitions ne se vendent pas dans des marchés ni centres commerciaux. Il s’avèrent qu’il s’agit des bombes faisant partie des inventaires des forces armées de différents pays. Derrière cela, il y a un soutien logistique, soutien de renseignements. Il y a planification politique.”
Ce serait donc encore une fois, la belle Turquie, entourées d’ennemis qui veulent la détruire…
Le Président Erdoğan, quant à lui, s’est exprimé dans un communiqué écrit lapidaire, “Nous allons lutter contre les organisations terroristes, avec notre Nation, dans l’esprit d’union nationale, tous ensemble et avec détermination.”
Le Premier Ministre Binali Yıldırım, en déplacement à Kahramanmaraş s’est exprimé également : “L’objectif du terrorisme est d’atteindre les valeurs morales. Nous ne ferons pas ce qu’ils veulent.”
Le HDP a dénoncé l’attentat. “Nous avons dépassé depuis longtemps, la période où on doit se contenter des dénonciations. Nous devons tous prendre position face à la violence, ensemble, du coté de la paix, démocratie, justice et liberté.”
Photos DHA
Après l’attentat, des groupes nationalistes se sont rassemblés devant l’immeuble dans lequel se trouvait les bureaux du HDP et ont attaqué les locaux.
Avant de saccager les locaux du HDP, les groupes nationalistes manifestant dans les rues de Kayseri, s’en sont pris également aux locaux et membres du CHP, EMEP et DISK. Après avoir accédé aux bureaux du HDP, les manifestants en colère, ont jeté meubles et affaires par la fenêtre et y ont mis le feu devant l’immeuble après avoir arraché l’enseigne du parti. La foule d’un milliers de personnes, scandait “Sang pour sang ! Vengeance pour vengeance !”. “Que les mains qui tendent vers les soldats se cassent !”, et “Pendaison !”.
Un drapeau du MHP (parti ultra nationaliste) a été accroché sur l’immeuble.
(Sur la vidéo on entend la fin de l’hymne national, et le slogan “Les Martyrs ne meurent pas, la Patrie ne se divise pas”)
#HDP #Kayseri İl Örgütü’nün binası ateşe verildi, binadan dumanlar yükseliyor pic.twitter.com/b2g2fy4G3t
— #Peace #Barış #Aşiti (@spartacus3435) 17 décembre 2016
Pour l’attentat récent d’Istanbul, rappelons le, revendiqué par le TAK, le mouvement kurde et un porte parole du PKK avait souligné l’exaspération, le désir de vengeance possible de jeunes ou moins jeunes, désespérés par la situation, mais rappelé que cela ne pouvait être une raison constitutive de décisions politiques, encore moins d’attentats où des civils pouvaient trouver la mort.
Dans une situation où une population soutient majoritairement aujourd’hui un régime, et où ce régime dispose “d’otages” politiques en grand nombre, y compris d’intellectuellEs d’opposition, la décision d’attentats supplémentaires ne peut se comprendre.
De deux choses l’une, où il s’agit à nouveau du TAK, et cette décision politique est désastreuse, ou le régime, comme il a profité du putsch manqué, a “sollicité” une suite à l’attentat d’Istanbul. Dans les deux cas, c’est une stratégie de tension qui va mobiliser les forces ultra nationalistes désireuses de “pendaison des prisonnierEs”.
Avec cynisme, depuis plus d’un an, le régime Erdoğan multiplie massacres, discriminations, injustices, tortures par sa soldatesque. L’extrême polarisation que cela suscite se renforce par le “désir de vengeance” des siens, à chaque pas supplémentaire dans la violence et souvent l’horreur. Faire ressurgir dans la mémoire kurde depuis un an les horreurs déjà subies des années 1980 et 90, les commettre à l’identique, c’est aussi “fabriquer” de la vengeance aveugle à l’infini, qui ne s’embarrasse plus de politique.
Le régime AKP aurait-il besoin de tensions supplémentaires, au moment où il va proposer à référendum une constitution de pouvoir absolu ? Les ultra-nationalistes ont eux aussi une frustration de ne pouvoir continuer le “nettoyage” jusqu’au bout.
La presse mainstream en France continue de parler d’attentat du PKK ou d’un groupe “lié au PKK”, tandis que le gouvernement français “condamne”. L’effet d’incompréhension en Europe sera aussi celui d’éloigner à nouveau des solidarités possibles.
Morts contre morts, martyrs contre martyrs, cela va conforter les nationalistes de tous poils, et en Turquie les loups qui le portent gris.
Nouvelle article, la suite…