Cheenook, dont vous aviez lu les let­tres dans les “Chroniques ordi­naires du front” signées C.C. est de retour. Voici une sorte de bilan qu’il tire de ces mois passés.

Le par­cours pour­ra éton­ner, voire sem­bler à un mil­i­tant “puriste” peu “poli­tique­ment cor­rect”. Ce réc­it ramène sur terre, et donne une dimen­sion humaine à un engage­ment, loin, comme il le dit lui-même, des com­bats de réseaux soci­aux. Jamais, le titre “chroniques ordi­naires” n’au­ra autant mérité son nom. Si toute­fois l’hu­man­ité est “ordi­naire”, lorsque le monde n’est plus que marchandise.


Je me nomme Cheenook et les kur­des des YPG m’ont don­né le nom de guerre de Ser­had Bakûr. Chaque volon­taire qui rejoint leur rang a ain­si une iden­tité propre.

Agé de 52 ans, j’ai été for­mé et j’ai effec­tué un con­trat ini­tial de cinq ans au sein de la Légion Etrangère dans un escadron de com­bat en tant qu’in­fir­mi­er de com­bat sur plusieurs théâtres d’opéra­tions. J’ai égale­ment un par­cours au sein de la Police Nationale en tant qu’of­fici­er dans les unités spé­cial­isées et l’investigation.

C’est un ensem­ble d’élé­ments qui amène une moti­va­tion pour par­tir sur un théâtre d’opéra­tion. L’his­toire des kur­des et leur aspi­ra­tion à une recon­nais­sance mérite réflex­ion ain­si que la révo­lu­tion qui se déroule actuelle­ment au Roja­va (Nord de la Syrie) et, leur com­bat héroïque à Kobanê au cours de l’hiv­er 2015.

Dans un con­texte de guerre con­tre DAECH, en tant qu’in­fir­mi­er de com­bat et sec­ouriste je pense que je peux être utile sur le ter­rain. Car ici en France, à mon âge on est mal­heureuse­ment con­sid­éré par la société comme trop vieux et on vous le fait com­pren­dre. C’est ce qui m’a décidé à aller plus loin dans mon action après m’être doc­u­men­té sur ces dif­férents sujets pen­dant près de huit mois. Ceci afin de de dimin­uer au max­i­mum les pos­si­bil­ités de mau­vais­es sur­pris­es tout en n’é­tant affil­ié à aucun groupe poli­tique. Je me con­sid­ère à ce pro­pos comme humanisme.

Il n’est pas facile dans un pays (Irak, Syrie) où règne le chaos et où vous ne par­lez pas la langue d’être en sécu­rité et de pro­gress­er dans les objec­tifs que vous vous êtes don­nés. Ceci étant, mes antécé­dents m’ont per­mis d’at­tein­dre les buts que je me suis fixé même si ça n’a pas été sim­ple avec de très nom­breux rebondisse­ments et une oblig­a­tion per­ma­nente d’ap­préhen­der au plus vite de nou­velles donnes cul­turelles, sociales et géo poli­tiques dans un con­texte de guerre et de men­aces omniprésentes où vous n’avez que très peu de lib­erté de mouvement.

A titre d’ex­em­ple, alors que j’é­tais fin prêt à par­tir de mon domi­cile pour la Syrie, le groupe de recrute­ment “The lions of Roja­va” m’a fait défaut. Je me suis donc lais­sé influ­encer par un autre groupe; français celui-là; soit dis­ant plus spé­cial­isé sur l’Irak.

A la lec­ture de leurs pro­pos sur les réseaux soci­aux mal­gré mon scep­ti­cisme à leur sujet je me suis lais­sé con­va­in­cre car j’é­tais pris par le temps et le bil­let d’avion était déjà acheté et non assuré. La plu­part des volon­taires tra­vail­lent en filet ten­du avec très peu de finance mais du matériel qu’il rap­porte pour leur mis­sion et lais­sent sur place. C’est ain­si que je me suis retrou­vé à Suy­la­ma­ni­ah (Irak). Nous devions être soit dis­ant une dizaine de volon­taires. En tout et pour tout je me suis retrou­vé avec un Espag­nol qui ne par­lait pas français et qui était là par idéolo­gie religieuse ce qui n’é­tait pas mon cas. Je détaille l’ensem­ble de ce par­cours sur mon blog “Sur les routes du Kur­dis­tan”. Durant ce séjour par­mi les nom­breuses péripéties je peux citer le fait de devoir aller au front de Dibis sans arme car il faut l’a­cheter ou encore alors que le visa d’au­tori­sa­tion d’être au Kur­dis­tan Irakien est périmé, je me retrou­ve dému­ni de mon passe­port et de tout papi­er offi­ciel. Je me suis très vite ren­du compte que les respon­s­ables de ce groupe français n’avaient jamais mis les pieds sur le ter­ri­toire, qu’ils ne con­nais­saient per­son­ne sur le ter­rain et que leurs délires virtuels se pas­saient sur Face­book avec une incon­science qu’ils avaient de pro­jeter des hommes au com­bat et que ces derniers fai­saient face à une toute autre réal­ité où ils n’avaient aucune pos­si­bil­ité d’interaction.

J’ai donc décidé de vol­er de mes pro­pres ailes et, ma seule assur­ance et lien sécu­ri­taire restaient les réseaux soci­aux par le biais de la créa­tion d’un blog régit par une “Mar­raine de Guerre” qui expli­quait à tous ceux qui le voulaient les faits au quo­ti­di­en par des écrits et des pho­tos. En échange, nom­bre d’en­tre eux se sont mobil­isés par l’in­ter­mé­di­aire d’une cagnotte pour m’ap­porter une aide finan­cière. Aujour­d’hui encore je tiens à les en remerci­er ain­si que “l’u­nité 732”. Certes en tout et pour tout il ne s’ag­it que de 850 Euro, mais cette somme m’a véri­ta­ble­ment per­mis de me sor­tir du guêpi­er irakien dans lequel je m’é­tais mis par l’in­ter­mé­di­aire de ce groupe français irre­spon­s­able et dan­gereux. Mes écrits ont aus­si per­mis à un grand nom­bre d’avoir du recul par rap­port aux nom­breuses inep­ties for­mulées par leurs responsables.

Je suis donc resté en Irak pen­dant un mois. Il était prévu l’ou­ver­ture d’un dis­pen­saire médi­cal dont j’au­rai eu la charge. L’ab­sence de pro­fes­sion­nal­isme chez les Pesh­mer­gas qui est d’ailleurs relaté dans un excel­lent arti­cle du pho­tographe turc Emin Ozmen (cour­ri­er inter­na­tion­al n°1361 du 1er et 7 décem­bre 2016) sur “Mossoul, lignes de front” et la réal­ité du chaos per­ma­nent ain­si que la venue d’un autre légion­naire qui devien­dra mon binôme sur le reste de mon séjour chang­eront une nou­velle fois la donne.

De retour à Suy­la­ma­ni­ah, nous avons été voir des autorités poli­tiques afin de rejoin­dre la Syrie et les YPG. En effet, c’est en Irak que j’ai décou­vert les ten­sions bien réelles qui exis­tent entre les deux clans kur­des irakiens que sont le PDK et l’UPK, au-delà d’un com­bat légitime con­tre DAECH. Je ne désir­ais pas être mêlé dans des his­toires de clans où il est clair que Barzani dans une pos­ture toute dic­ta­to­ri­ale a fait main basse sur une grande par­tie du Kur­dis­tan Irakien, en y plaçant de nom­breux mem­bres de sa famille. Un sys­tème mafieux où il n’hésite pas à col­la­bor­er avec le turc Erdo­gan et de priv­er par un embar­go sin­istre les kur­des syrien du Roja­va des matières pre­mières et médica­ments les plus élé­men­taires pour leur survie.

Pour­tant, les YPG ne sont pas con­sid­érés comme une organ­i­sa­tion ter­ror­iste en Europe ou aux Etats-Unis. Ils ne fig­urent pas sur la liste des organ­i­sa­tions dites comme telles où se trou­vent par exem­ple le PKK. Il est vrai par con­tre que pour la Turquie et d’une cer­taine manière pour le Kur­dis­tan Irakien de Barzani cette organ­i­sa­tion comme d’autres sont assim­ilées à des terroristes.

C’est dans ce con­texte que nous passerons en fraude la fron­tière irako syri­enne pour nous retrou­ver au Roja­va. En route, nous aurons pu voir de nom­breux camps de réfugiés, les affres de la guerre qui fait rage, la déso­la­tion et la clan­des­tinité avec ce que tout cela entraîne pour des enfants, des femmes, des anciens qui ne sem­blent pas les bien­venus chez nous. En per­ma­nence nous serons mélangés à tout cela et vivrons la guerre et la révo­lu­tion kurde avec eux au quo­ti­di­en pen­dant six mois.

De mon séjour au sein des YPG et YPJ il y a beau­coup à dire. D’ailleurs c’est un tra­vail et une étude que nous sommes en train d’ef­fectuer en col­lab­o­ra­tion avec les représen­ta­tions du Roja­va en Europe.

Les Kur­des méri­tent une recon­nais­sance inter­na­tionale et le respect de toutes les com­mu­nautés. Ce sont des mil­liers de jeunes gens qui ont lais­sés leur vie au Roja­va dans l’e­spoir de cette recon­nais­sance et d’une aspi­ra­tion à des lib­ertés face à l’ob­scu­ran­tisme religieux que représente DAECH et ses combattant(e)s entraînés, déter­minés et bien équipés. Je n’ai jamais vu de gens aus­si courageux face à l’ad­ver­sité, aux défis et aux con­di­tions jour­nal­ière. Mais, le courage ne suf­fit pas. Elle ne suf­fit pas face à un enne­mi aus­si red­outable mais aus­si aux aspi­ra­tions dont les kur­des pré­ten­dent légitiment.

Qu’est-ce que la lib­erté ? Que faire de celle-ci dans ce monde et cette cul­ture ori­en­tale ? Com­ment con­stru­ire une démoc­ra­tie sociale ? En trois ques­tions nous voilà con­fron­tés aux prob­lèmes kur­des et à la réal­ité de son assim­i­la­tion for­cée pen­dant plus d’un siè­cle. Les prob­lé­ma­tiques qui sont d’ordre struc­turel, idéologique et de men­tal­ité sem­blent issues de l’essence même des thé­ma­tiques revendiquées par les YPG dans un envi­ron­nement qui est encore forte­ment imprégné du trib­al et du patri­ar­cal. En somme cette révo­lu­tion sera gag­née quand l’état d’esprit des YPG (hommes) sera celui des YPJ (femmes). Pour cela un gros tra­vail d’ap­pren­tis­sage, de for­ma­tion et d’é­d­u­ca­tion dans la mix­ité doit être entre­pris rapi­de­ment afin que ces nom­breux Ṣehîdên (mar­tyrs) ne soient pas une généra­tion perdue.

Il est urgent d’ou­vrir les écoles et de stim­uler la curiosité de la recherche du savoir qui amèn­era chaque YPG et YPJ à se sen­tir citoyen du Roja­va. Là, où il a une place et un rôle à jouer dans une per­spec­tive d’évo­lu­tion per­son­nelle et com­mu­nau­taire. Ceci égale­ment afin de met­tre un frein au principe d’icône qu’est Öcalan (Apo) ain­si que l’adulation des Ṣehîdên (Mar­tyres mort au com­bat) qui sont la colonne vertébrale de la mou­vance YPG. Certes, elles sont respecta­bles et méri­tent d’être étudiées par tous pour con­naître les fonde­ments qui ani­ment la société kurde et ses aspi­ra­tions dans une lib­erté orig­i­nale et unique. Mais, il y a une dif­férence entre la recherche du savoir et la pro­pa­gande omniprésente de ces deux entités qui ressem­blent à s’y mépren­dre à de « l’intégrisme intellectuel ».

A défaut, et compte tenu égale­ment de la real-poli­tique où les grands gag­nants de ce con­flit sont la Turquie, Assad, l’I­ran et la Russie. Je crains que l’His­toire ne se rap­pelle de cette révo­lu­tion comme la vic­toire trag­ique des Kur­des à l’im­age des nom­breuses pertes à Menbij.
Le chemin sera dif­fi­cile, mais je reste con­fi­ant dans la ressource des kur­des d’ar­riv­er à terme au résul­tat escompté.

Mal­gré des con­di­tions pré­caires et des jours dif­fi­ciles semés par­fois d’in­com­préhen­sion et de frus­tra­tion, comme tous les volon­taires ayant accom­pli mon temps au Roja­va je ne peux éprou­ver que des sen­ti­ments frater­nels vis-à-vis de ces gens avec qui j’ai partagé le pain et qui, quel que soit l’eth­nie, le sexe, la reli­gion vous dis­ent mer­ci pour l’aide que vous leur avez apporté.


Hors quelques reportages, il n’est pas simple de se faire une idée du quotidien d’unE combattantE des YPG-YPJ au Rojava. Lorsqu’il s’agit de volontaires étrangers, ces reportages prennent parfois des tournures incongrues, dérivant vers la fascination des armes.
Par ailleurs, il est bien évident que des informations d’ordre purement militaires ne peuvent faire l’objet de publications tous azimuths. Là, des « volontaires internationalistes » nous ont proposé de diffuser leurs notes personnelles prises au jour le jour, pour relayer leur propre carnet de bord. Nous avons accepté, tout en sachant qu’il nous était impossible de vérifier ces informations. Nous vous livrerons donc de façon brute « une chronique de guerre au Rojava ». Kedistan se fera donc un simple vecteur de publication de ces notes, respectant la subjectivité et le style de leurs auteurs.
Voir chroniques précédentes ici : Chroniques du front.

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