Le 17 novembre dernier, la co-maire de Mardin, Februniye Akyol a été destituée par le pouvoir central d’Ankara dans le cadre post-coup d’état du 15 juillet 2016. Son collègue, Ahmet Türk a été arrêté le 21 novembre pour des charges relevant du terrorisme sous le prisme habituel d’avoir des relations avec le PKK, il est actuellement incarcéré.
La région de Mardin, dans les années 80, a été la zone de combats sanglants opposant les combattants de la branche armée du PKK à l’armée turque.
Du haut de ses 1 200 mètres d’altitude, Mardin est une des portes et carrefours stratégiques donnant vers les plaines de l’ancienne Mésopotamie. Elle est située sur “la route de la soie”. Elle abrite de nombreuses églises et un monastère. Historiquement, il s’agit d’une ville très commerçante, mais aussi d’un point de rencontre entre plusieurs civilisations. Le caractère cosmopolite de Mardin laisse la place à un vivre-ensemble durable et ancré dans le temps, malgré les répressions, les massacres ou le génocide arménien.
La ville est multi-confessionnelle. Elle abrite une importante communauté syriaque dans un pays où elle est estimée à près de 12 000 personnes. Cette minorité reste méconnue, mais appartient à la catégorie des “Chrétiens d’Orient” dont les nationalistes ici utilisent l’appellation pour soutenir les “bombardements des villes Syriennes”, sous le focus d’un soutien total et aveugle à Bachar Al-Assad. Pourtant, Mardin n’est pas située en Syrie, mais bien en Turquie, à une quinzaine de kilomètres de la frontière. Elle est considérée historiquement comme l’une des villes jumelles d’Alep. En effet, elle a été une des plaques tournantes commerciales dans l’Histoire.
À la tête de la municipalité, Februniye Akyol, ou de son originel “Fabronia Benno”, partageait le poste de co-maire avec Ahmet Turk. Elle avait été élue en mars 2014 sous l’étiquette du BDP (le Parti de la paix et de la démocratie, en turc : Barış ve Demokrasi Partisi). Inscrit dans le cadre du processus de paix, BDP avait gagné 98 mairies, avec un peu plus de 4 % de la totalité des voix exprimées.
À la tête de Mardin, plus aucune personne n’exerce de mandat. Un représentant désigné par l’Etat turc a repris les fonctions des deux co-maires. La ville est limitrophe de la zone autonome du Rojava. Il s’agit également d’un message fort adressé aux habitants du Nord de la Syrie.
La jeune mairesse âgée de 26–27 ans porte les trois caractéristiques : être une femme, être chrétienne et appartenant au BDP devenu DBP (Parti démocratique des régions, en turc : Demokratik Bölgeler Partisi). Si Februniye n’a pas encore été incarcérée pour un motif sorti tout droit de l’imagination du pouvoir, cela ne saurait tarder. En effet, le pouvoir met régulièrement en avant les liens entre le PKK et le HDP/DBP pour mettre en avant des charges concernant le “terrorisme”, quand bien même les dossiers seraient vides. Dans ce contexte, sa destitution ne pouvait être qu’une question de temps, mais cela montre toujours un peu plus le vrai visage du régime de la Turquie. La répression contre toutes les minorités bat son plein contradictoirement au nom de la sauvegarde de la démocratie. En effet, le nombre d’attaques contre le DBP a augmenté du fait qu’il est affilié au HDP. Rappelons inlassablement que Selahattin Demirtaş et d’autres responsables et éluEs du HDP/DBP sont toujours retenus en otage dans les geôles Erdoğaniennes.
Dans cette perspective, le terminus du Tramway d’Erdoğan Compagnie se rapproche, avec pour finalité, la démocrature et le parti unique qui s’installe, comme garant des intérêts des Turcs, mais aussi pour imposer encore davantage un modèle arbitraire dont la garantie des droits des minorités religieuses, politiques, sexuelles n’est plus assurée par le régime. Si le terminus tant vanté par le Sultan reste une métaphore, l’accélération du tramway risque de causer des dégâts irrémédiables d’une ampleur supérieure à celle que nous connaissons aujourd’hui. En effet, il est impossible de stopper un tramway ou train arrivant à toute allure dans un terminus. À la fin, il ne peut que dérailler entraînant avec lui, l’ensemble des passagers c’est-à-dire l’AKP, dans une confrontation terrible avec la butée en béton, pour finalement sortir de ses rails.
On ne peut appeler cela un accident, mais simplement le crash prévisible à moyen-terme d’un mégalomane qui voulait épurer la Turquie pour la rendre à son image.
Personne ne peut s’offrir le luxe d’attendre le crash, au risque d’une guerre civile, et d’une sortie dont les éléments politiques régionaux pourraient faire qu’elle soit pire encore que la situation actuelle au Moyen-Orient.