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Qua­tre arti­cles de Aslı Erdoğan, ont été util­isés pour “instru­ire” les chefs d’accusation. Kedis­tan les pub­lie en sou­tien à la cam­pagne de sen­si­bil­i­sa­tion actuelle­ment en cours. #FreeAsliEr­do­gan !

Aslı Erdoğan, écrivaine, est détenue depuis 16 août 2016, dans la prison de Bakirköy à Istan­bul et la peine de prison à vie est demandée à son encontre.

Il est tou­jours périlleux de traduire de tels textes en urgence, et la langue d’Aslı, son écri­t­ure, en en tra­ver­sant une autre, peut y per­dre, comme dans un filet, quelques étoiles…


Arti­cle pub­lié le 17.06.2016

Lectures d’histoire d’un fou

Com­ment dire, le par­a­digme était sim­ple et clair à cette époque, acqui­escé par tout le monde, il cadrait avec la réal­ité. Dans cette ère “homogène” (fin 80, 90), dont les his­to­riens n’ar­rivaient pas à s’ac­corder sur la genèse, par exem­ple, “la ques­tion kurde” n’ex­is­tait pas, parce que le “Kurde” n’ex­is­tait pas encore. Les tribus qui, prononçant mal, mâchouil­laient la langue turque, étaient con­nues depuis pas mal de temps, ceux-là étaient mon­tag­nards, por­tant sarouals, fanas d’armes, et féo­daux. Dans ces temps où les pho­tos de Kenan Evren quit­tèrent les murs, ils étaient mon­tés à la mon­tagne, de laque­lle ils n’é­taient jamais tout à fait descen­dus, ils mas­sacraient des bébés dès qu’ils en trou­vaient l’oc­ca­sion, mais cette affaire allait se ter­min­er “au plus tard en fin d’été”. Dans la presse occi­den­tale, qui n’ac­cep­tait pas notre puis­sance, d’ ”étranges” nou­velles étaient pub­liées : Des villes étaient mis­es sous blo­cus, mitrail­lées des jours durant, le feu était ouvert sur des foules lors de funérailles, des gens se per­daient ; un enfant hand­i­capé men­tal, pour avoir porté un bracelet à trois couleurs, était attaché à un blindé, puis trainé. Elles étaient vrai­ment étranges les nou­velles… Les Arméniens avaient quit­té l’ac­tu­al­ité, nous savions qu’après avoir incendié, détru­it avec leurs gangs, ils avaient per­du l’e­spoir de défaire les Turcs, ils avaient quit­té ces ter­res en masse. En fait, à tout ceux qui n’aimaient pas ce pays, la même chose était conseillée.

Au com­mence­ment du mil­lé­naire, la Turquie était prête au grand change­ment, alors que le reste du monde était en attente du grand bug, qui allait dater leurs ordi­na­teurs cent ans en arrière, nous, nous atten­dions, souf­fles retenus, d’être trans­for­més. La Turquie était grande, elle allait grandir, elle apparte­nait aux Turcs, elle allait se démoc­ra­tis­er. La fin des régimes autori­taires était sur le point d’ad­venir, elle avançait peut être à petits pas, mais grands pour l’humanité.

Enfin, un beau jour, tout a changé. Bien que le pre­mier Kurde qui n’ait pas été trainé en prison, lynché, pour avoir par­lé en kurde dans un lieu pub­lic, ne soit pas iden­ti­fié, le mot “kurde” était entré dans l’e­space com­mun, dans les médias du courant dom­i­nant, s’é­tait instal­lé. La théorie sur le fait que le “kurde” serait un dialecte ottoman fut énon­cée au plus tard en 2006. La même année, pour la phrase qu’il a pu con­stru­ire sans faute d’orthographe, le prix Nobel a été décerné à un écrivain1turc. Mais la plu­part des Turcs ont pen­sé qu’il devait ren­dre son prix. L’au­teur nobelisé a été jugé pour cette phrase,2300 per­son­nes avaient été jugées aus­si cette année là, selon les mêmes arti­cles, il a été acquit­té. De fac­to et ipso jure, en Turquie, il y eut, désor­mais, la lib­erté d’expression.

Quand la “Loi de Lutte con­tre le Ter­ror­isme” con­sta­ta que ceux qui défendaient les mêmes visions que “l’or­gan­i­sa­tion ter­ror­iste” étaient aus­si des ter­ror­istes, nous étions en train de fêter, dans tout le pays, notre libéra­tion de la tutelle mil­i­taire. En cinq ans, un tiers des “crim­inels ter­ror­istes” au monde, avait été incar­cérés dans les pris­ons de Turquie. Durant ce temps, nous avions voté pour savoir si la libéra­tion de la tutelle mil­i­taire était suff­isante ou non, nous nous étions débar­rassé aus­si de l’E­tat pro­fond. Mal­gré la résis­tance de ceux qui étaient réti­cents sur l’au­tonomie, la Turquie changeait, et fai­sait la nique au monde. C’é­taient ces jours où les Kur­des étaient décou­verts comme “étant des frères”, tout le monde était dans les rues, nous avions bat­tu des records sur le gaz lacry­mogène. Notre indus­trie de l’arme­ment étant nation­al­isée, grâce au TOMA3le courage était revenu. Notre entrée dans Damas était une ques­tion de jours. Même les plus scep­tiques, en enten­dant le fait que l’or­dre de bom­barder 32 con­tre­bandiers kur­des sur la fron­tière,4Mas­sacre de Robos­ki, 28 decem­bre 2011était venu d’un civ­il, se sont tus, vrai­ment, on ne pour­rait plus appel­er cela “tutelle mil­i­taire”. Nous savions que les Kur­des étaient des frères, mais nous avions du mal à les appel­er des civils… C’est encore des civils, un ou deux, qui allaient donc décider du juge­ment des crimes que les mil­i­taires avaient com­mis con­tre les civils, ain­si notre “civil­i­sa­tion” allait attein­dre ses lim­ites finales.

En 2016, lors d’une céré­monie de funérailles loin­taine,5un rab­bin dis­ait à la Turquie de cess­er de tuer les Kur­des, ce dis­cours fut servi par les médias du courant dom­i­nant sous le titre “Un drôle de dis­cours”. Si les Etats-Unis avaient une mai­son blanche, nous avions un palais haut en couleurs, la terre entière en était con­sciente, les jours où nous rece­vions des ordres, des con­signes et des leçons de morale, étaient restés bien derrière.

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Créa­tion de l’ex­cel­lent audioblog Le Bruitagène
“En sou­tien à Aslı Erdoğan et tous les opprimés du régime de Recep Tayyip Erdoğan.”
Cap­sule sonore de Anaïs Denaux

ASLI


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