A Şır­nak, le cou­vre-feu déclaré le 14 mars est ‘par­tielle­ment’ levé depuis le 14 novem­bre, il reste en vigueur entre 22h et 05h…

Ce cou­vre-feu a duré 246 jours. Les habi­tants qui ont voulu ren­tr­er dans leur ville, ont trou­vé sur l’emplacement de leur mai­son, des débris et gravats.

carte-turquie-sirnakUn long arti­cle c’est vrai, de faits et de témoignages sim­ples, qui décrivent la bar­barie à l’oeu­vre, der­rière le por­trait par­fois moqué d’un régime qui s’in­stalle en Turquie, à par­tir d’un seul cas… qui pour­tant en résume tant d’autres.

Les quartiers les plus endom­magés sont ceux de Yen­ima­halle, Bahçelievler, Gazi­paşa, Dicle, Cumhuriyet et Yeşilyurt.

La pré­fec­ture annonce que sur 15 000 maisons et immeubles endom­magés lors des “opéra­tions menées con­tre le PKK”,  2 000 sont déjà détru­its, et env­i­ron 4 000 seront égale­ment rasés. Et il n’y a pas que des maisons d’habi­ta­tion, 3 écoles sont égale­ment totale­ment détruites.

Afin d’éviter un flux trop impor­tant” déclar­ent les autorités, “les habi­tants ne sont autorisés à revenir que quarti­er par quartier.”

Il n’y a plus de ville”

Ramazan Demir est avo­cat et mem­bre du Con­seil d’Ad­min­is­tra­tion du ÖHD (Asso­ci­a­tion des Juristes Libres), une des 370 asso­ci­a­tions récem­ment fer­mées par décret pro­mul­gué sous état d’ur­gence. Vous con­nais­sez sans doute son nom, car Ramazan fut arrêté et empris­on­né le 16 mars avec ses col­lègues. Une cam­pagne de sou­tien européen avait été alors lancée. Il avait été libéré le 9 sep­tem­bre dernier pour com­para­itre en liberté.

Ramazan est un enfant de Şır­nak. Pen­dant le cou­vre-feu, sa famille, comme beau­coup, s’est réfugiée chez des proches, habi­tant en dehors de Şır­nak. Ramazan fait par­tie de ceux qui sont revenus en ville pour chercher leur maison.

Au pre­mier sens du terme, je n’ai vu rien. Réelle­ment, il ne reste plus rien. J’ai aus­si vécu le Şır­nak de l’an 1992. J’é­tais alors un enfant, j’avais tout vu au tra­vers de mes yeux d’en­fant. Toutes les maisons étaient endom­magées, mais elles étaient répara­bles, viv­ables. Aujour­d’hui, il ne reste même plus les fon­da­tions. Vous pou­vez abat­tre le mur, trouer le toit, je ne sais pas moi, cass­er la porte, tout cela peut être réparé… Là, il n’y a même pas de fondations.

Alors, il n’y a plus de Şır­nak. J’ai un pays, qui n’a plus de ville.”

Şırnak ramazan-demir-maison-livre

J’ai repéré ma mai­son parce qu’il y avait un livre de QCM avec le nom de ma soeur.

Ramazan exprime ce qu’il a ressen­ti en cher­chant la mai­son dans laque­lle il est né et a grandi :

D’abord vous suf­fo­quez, vous vous enfon­cez dans un silence pro­fond et vous essayez de com­pren­dre. Vous essayez d’ac­cepter que rien de tout ce que vous avez lais­sé n’ex­iste plus. Vous n’ar­rivez pas à vous rap­pel­er que vous aviez été un enfant dans ces rues. Parce qu’au­cune don­née qui le prou­ve ne se trou­ve plus autour de vous. Vous regardez comme ça, dans le vide. Vous lais­sez tout der­rière vous, et vous partez.”

J’avais écrit depuis la prison, j’avais par­lé de notre mûri­er. Il n’est plus lui non plus, comme la mai­son de ma grand-mère.”
(avant-après)


Etat des lieux en vidéo

Ramazan pub­lie plusieurs vidéos, enreg­istrées dans les quartiers détru­its et il ajoute :

Avec l’é­tat d’ur­gence, le Droit est sus­pendu. Ceux qui com­met­tent ces crimes, seront con­damnés un jour, même si ce n’est pas devant les tri­bunaux de la Turquie, devant le Droit international.”

Quarti­er Yeni Mahalle est rasé. Les rues, les vies, tout…”

Nous avons dis­cuté avec oncle Yusuf, pour trou­ver de qui était la mai­son, cette épave. Mais nous n’avons pas pu être sûrs. (Quarti­er Yeni Mahalle)”

 

Quarti­er Dicle, la destruc­tion con­tin­ue non stop.”

Quarti­er Yeşi­lyurt et Place d’Azadi.”

Bahçelievler, le plus grand quarti­er de Şır­nak est égale­ment tout plat.”

Même les tombeaux…

Même le cimetière a été pro­fané. Le tombeau de Hacı Lok­man Bir­lik aus­si. Il avait été exe­cuté au mois d’oc­to­bre 2015, son corps attaché à un blindé, avait été trainé. Son cal­vaire et la haine con­tre lui n’a donc pas de fin…

tombeau-haci-birlik-profane

Hacı Lok­man était le neveu de Ley­la Bir­lik, une des qua­tre députéEs de Şırnak.

Notons que lors des dernières élec­tions du 1er novem­bre 2015, la total­ité des qua­tre députéEs représen­tant Şır­nak étaient des can­di­datEs HDP éluEs avec 85% des votes.

Ley­la Bir­lik et Fer­hat Encu ont été arrêtés le 4 novem­bre. Faysal Sarıyıldız est actuelle­ment à Brux­elles. Nous apprenons aujour­d’hui même, que son passe­port a été sup­primé et qu’un avis d’ar­resta­tion a été lancé à son encontre.

[Si vous souhaitez le connaitre un peu mieux, lisez le reportage de Kedistan avec Faysal, réalisé fin août à Douarnenez]

Le qua­trième député du HDP, Aycan İrmez, lui libre, pour le moment, est retourné à Şır­nak et partage ses constats :

Cer­tains quartiers sont entière­ment détru­its. Dans un tel état que les habi­tants qui revi­en­nent ne retrou­vent pas leur mai­son. La pop­u­la­tion de Şır­nak, s’est trou­vé devant un cou­vre-feu de 9 mois, jamais vu nulle part. Les habi­tants sont face à une pra­tique qui vise à effac­er la cul­ture, l’i­den­tité et la mémoire d’une ville.”

La Pré­fec­ture de Şır­nak a fait à son tour, une déc­la­ra­tion le 16 novem­bre et a annoncé :

Notre com­mis­sion d’é­val­u­a­tion de dégâts tra­vaillera rapi­de­ment afin de com­penser les dom­mages, le plus rapi­de­ment pos­si­ble et par­al­lèle­ment, nous allons recon­stru­ire un Şır­nak mod­erne et tout neuf.”

Selon Aycan İrmez les déc­la­ra­tions affir­mant “la Pré­fec­ture a mis en place les pos­si­bil­ités néces­saires à la dis­po­si­tion de la pop­u­la­tion” sont totale­ment hors de la réalité :

Nous essayons d’aider la pop­u­la­tion avec la con­tri­bu­tions des mairies et des organ­i­sa­tions de société civile. Mais vous le savez, avant la lev­ée du cou­vre-feu et l’ou­ver­ture de Şır­nak, le maire élu par la volon­té du peu­ple, a été relevé de ses fonc­tions et un tuteur a été nom­mé à sa place.”

Aycan ajoute égale­ment qu’il y a tou­jours des familles qui vivent sous des tentes et parta­gent les maisons à 15, 20 :

Ils doivent vivre comme cela, car ils n’ont pas d’autre lieu où aller.”

La ville promise aseptisée et vidée de ses âmes

Quant au can­di­dat AKP de Şır­nak Arslan Tatar, il a déclaré que 60% de la ville est détru­ite mais a nié le fait que les immeubles en état soient égale­ment détru­its. “Ces destruc­tions con­cer­nent des cas comme par exem­ple, tout une pâté de maisons qui sont détru­ites, dans laque­lle reste un seul immeu­ble.” et annonce : “Le gou­verne­ment a com­mencé un pro­jet pour 6 000 habi­ta­tions”. Bonnes nou­velles donc, pour les entre­pris­es de bâti­ment pro-régime…

 

Şırnak projet

Beau pro­jet pour un nou­veau Şır­nak flam­bant neuf.

Dans le nou­veau Şır­nak, ville promise par la Pré­fec­ture, “toute neuve” et toute “mod­erne”, la gen­tri­fi­ca­tion va accom­pa­g­n­er “l’épu­ra­tion eth­nique” comme cela a été le cas à Sur, quarti­er his­torique de Diyarbakır, récem­ment dévasté et totale­ment expro­prié.

Nous n’avons jusqu’alors pas enten­du dans la bouche d’un “respon­s­able” en Europe ou ailleurs, la qual­i­fi­ca­tion de “crimes de guerre”, terme juridique pour­tant util­is­able à min­i­ma, pour cette destruc­tion totale d’un lieu de vie, de son passé, de sa cul­ture, de ses paysages, et de nom­bre de celles et ceux qui ont ten­té de résis­ter à cette démarche géno­cidaire de l’E­tat turc, en pro­tégeant leurs familles. Şır­nak pour­rait pour­tant faire l’ob­jet de jume­lage avec des “Oradour”.

Par ces temps où le Tri­bunal Pénal Inter­na­tion­al est plus entre les mains de la géopoli­tique inter­na­tionale que dans celles de juges, il fau­dra sans doute atten­dre encore beau­coup pour que ces “dossiers” s’y retrouvent.

Désolés pour cet arti­cle, qui peut faire qu’on se sente impuis­sant devant la bar­barie. Ces faits doivent pour­tant être dénon­cés. Cela n’en ren­forcera que plus la com­préhen­sion que ce qui se passe dans cette région du monde (et de grâce, pas de mis­es en com­para­i­son, tous ces crimes sont liés), “sec­ouera inévitable­ment l’Eu­rope” comme le crie  Aslı Erdoğan, depuis sa prison.


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