Le terme de “génocide politique” est employé par l’opposition démocratique en Turquie. Il pourrait ici susciter des controverses. En Turquie, il fait sens.
L’opposition démocratique en Turquie n’est pas dans la revendication de “reconnaissance” de génocide pour elle même.
Le “génocide” des Arméniens fait partie intégrante du “refoulé” qui préside à l’installation de l’Etat-Nation turc. Le roman historique national qui a été écrit, rabâché, enseigné, commémoré, par tous les régimes qui se sont succédés depuis quasi un siècle en Turquie, contient aussi le “négationnisme”, autant qu’il a créé un mythe de “turcité” obligatoire. Toute minorité, tout Peuple de la mosaïque turque en devient le “colonisé”, susceptible d’être considéré comme “nuisible” à l’unicité de la Nation.
La simple utilisation du terme “génocide” en Turquie appelle à cette remise en cause du “roman nationaliste”. Et on ne peut résumer l’opposition de tous les régimes qui se sont succédés dans la “République” à un simple refus d’indemnisation des victimes. Les Arméniens sont toujours considérés comme des “adversaires politiques”, et les Kurdes aujourd’hui injuriés comme des “bâtards d’Arméniens”… Le régime fit assassiner Hrant Dink, considéré comme opposant dangereux… La réaction politique contre les élus de l’opposition démocratique procède de cette même volonté d’éradiquer la remise en cause fondamentale du nationalisme turc, aujourd’hui parfaitement incarné aussi dans le parti AKP au pouvoir, les ultra nationalistes alliés étant de simples satellites utiles aux basses oeuvres…
Je n’ai aucune intention de traiter en “juriste” de l’utilisation du terme génocide. Il fait même encore débat pour désigner la politique d’oppression et de destruction du Peuple colonisé palestinien… et pour cause…
On pourrait objecter que renvoyer l’opposition démocratique en Turquie à ce terme, revient à désigner la seule composante ethnique kurde de cette opposition, et revenir à nouveau à qualifier systématiquement par exemple de “pro kurde” cette opposition. Mais là, en l’occurence, il s’agit bien d’éluEs de régions et de villes, majoritairement représentatifs du Peuple kurde, en effet, lorsqu’on considère la suspension, le remplacement et l’arrestation des maires et co-maires en majorité au Bakur, par exemple, comme des députéEs.
Quelques chiffres :
La Co-présidente du HDP, Figen Yüksekdağ, et Selahattin Demirtaş également Co-président et député du HDP, les députéEs Leyla Birlik, Ferhat Encü, Nursel Aydoğan, İdris Bayülken, Gürsel Yıldırım, Abdullah Zeydan, Selma Irmak sont actuellement en prison.
Ziya Pir, Sırrı Süreya Önder, İmam Tasçıer, ont été libérés.
Sur 106 mairies HDP, des tuteurs-administrateurs ont été attribués à 34 mairies,( dont 3 mairies métropoles), 52 maires et co-maires ont été retiréEs de leurs fonctions et 39 misES en arrestation.
Sur 11 mairies DBP (Parti Démocratique des Régions)
- Siirt: Maire Tuncer Bakırhan arrêté (aujourd’hui), le Sous-Préfet AKP est aussitôt attribué comme tuteur.
- Tunceli: Maire Mehmet Ali Bul arrêté, un tuteur attribué
- Diyarbakır : Maire Metropole: Gülten Kışanak arrêtée
- Mardin : Maire Metropole Ahmet Türk éloigné de ses fonctions, un tuteur attribué.
- Şırnak: Maire Serhat Kadirhan, éloigné de ses fonctions, un tuteur attribué.
- Van: Maire Bekir Kaya arrêté (aujourd’hui). Le Préfet est attribué comme tuteur
- Batman: Maire Sabri Özdemir retiré de ses fonctions, un tuteur attribué.
- Hakkari: Maire Dilek Hatipoğlu retirée de ses fonctions, un tuteur attribué..
Restent ‑pour l’instant encore- trois mairies DBP dans les villes de Bitlis, Iğdır et Ağrı.
Même des ancienNEs maires y passent… Par exemple Edibe Şahin ancienne maire de Dersim, ancienne députée du #HDP et membre de l’assemblée de parti du HDP a été incarcérée, aujourd’hui.
Lorsqu’on sait que beaucoup de ces villes et quartiers ont subi durant des mois des couvres feux et états de siège, suivis de destruction massive, accompagné d’arrestations et de meurtres, on comprend qu’il n’y a pas là que des “chicanes républicaines”, ou des règlements de compte. Cette offensive politique est planifiée, contre des populations, des Peuples, et les représentations politiques qu’ils se sont données.
La guerre qui est menée au Bakur laisse derrière elle ses slogans nationalistes dans les ruines qu’elle cause. Et même les mots de “crimes de guerre” ne passeraient pas la bouche de responsables politiques ? Alors pensez, parler de génocide…
Je suis le premier à reconnaître que les “mémoires” demandent à être respectées, et le vocabulaire qui les accompagne clairement établi, dans ses formulations juridiques. Tous les combats contre le négationnisme l’exigent. Mais il est des cas où le déroulé même d’une répression et le régime qu’elle consolide, permet à mes yeux, l’utilisation de mots forts pour éveiller les consciences et rappeler les conséquences inéluctables qui suivent le silence devant les criminels en action.