Le HDP par­ti pro-kurde”… Appel­la­tion facile, lap­idaire et sim­pliste, accolée au mou­ve­ment d’op­po­si­tion chaque fois qu’il en est ques­tion dans les médias.

Non seule­ment cette appel­la­tion ren­voie inévitable­ment au dis­cours dom­i­nant en Turquie, dirigé con­tre la seule oppo­si­tion démoc­ra­tique capa­ble de porter ce nom, (le trait d’u­nion HDP = vit­rine du PKK = ter­ror­isme), mais en plus elle passe par pertes et prof­its, à la fois une péri­ode récente de la Turquie (soulève­ments autour de Gezi), et les com­posantes sociales, poli­tiques, écol­o­gistes, fémin­istes, représen­tantEs des minorités qui con­stituent tou­jours ce mou­ve­ment et en ont fait cette force unique.

 

hdp-pro-kurde-refrain-insupportableDe ce qui s’é­tait traduit en juin 2015, par l’ir­rup­tion dans le champ élec­toral, d’un mûrisse­ment poli­tique des années Gezi, sub­siste aujour­d’hui un par­ti attaqué de toutes parts, mais tou­jours représen­tant d’un rassem­ble­ment de l’op­po­si­tion démoc­ra­tique dans sa qua­si glob­al­ité. Nous dirons qua­si, car sur sa gauche, exis­tent tou­jours de petits mou­ve­ments qui font alliance ou non, selon les cir­con­stances (gauche de gauche turque ou groupes anar­chistes…). Ce choix du com­bat au sein des insti­tu­tions n’a pas fait l’u­na­nim­ité poli­tique, mais est aus­si une déci­sion prise au sein du mou­ve­ment kurde, dans la droite ligne d’une défense de la paix. Ce même mou­ve­ment kurde a choisi de pro­pos­er une poli­tique pour l’ensem­ble des Peu­ples de Turquie. Et c’est sur celle-ci que se sont rejoints les dif­férents mou­ve­ments issus des luttes anti régime des années précédentes.

Il n’y a donc pas une sim­ple “con­ver­gence” au sein du HDP, mais créa­tion d’un front orig­i­nal entre les propo­si­tions d’au­tonomie démoc­ra­tique pour la Turquie et les solu­tions de débouchés aux luttes recher­chées dans bien d’autres secteurs de la société civile, face à un Etat-nation turc oppresseur, néolibéral et big­ot. La non recon­nais­sance de toutes les minorités en général, y com­pris femmes et LGBTI, la pré­da­tion sur l’en­vi­ron­nement exer­cée par les grands pro­jets de développe­ment qui ne rap­por­tent qu’à leurs ini­ti­a­teurs, l’écrase­ment social de class­es pop­u­laires sou­vent exploitées et dis­crim­inées comme minorité dans les métrop­o­les, ont pro­duit des généra­tions mil­i­tantes qui naturelle­ment se trou­vent regroupées sous ce label HDP.

Nier sa com­posante kurde serait une imbé­cil­ité. Oubli­er qu’elle n’est pas “eth­nique”, ou le laiss­er croire, est une céc­ité poli­tique. Le HDP ne défend aucun droit et aucune propo­si­tion démoc­ra­tique qui ne saurait être retenue par l’ensem­ble de la mosaïque turque. Et la façon dont ont fonc­tion­né les munic­i­pal­ités élues au Bakur est là, pour démon­tr­er l’i­nanité de cette appel­la­tion “pro kurde”. Et c’est aus­si pour cela qu’en sus­pen­dant et met­tant sous tutelle AKP ces munic­i­pal­ités, le régime s’at­taque à l’ensem­ble de la Turquie, et non seule­ment aux seuls Kurdes.

Le HDP ne développe aucun nation­al­isme pan-Kurde, aucune volon­té séces­sion­niste pour le Bakur. Il a repris en grande par­tie les propo­si­tions qui étaient sur la table lors du proces­sus de négo­ci­a­tions inter­rompu en 2015. L’au­tonomie d’ad­min­is­tra­tion est un proces­sus démoc­ra­tique hor­i­zon­tal qui ne remet pas en cause “le vivre ensem­ble” à l’échelle de la Turquie, mais institue des formes région­al­isées de déci­sions démoc­ra­tiques pour les peu­ples des ter­ri­toires. Le respect des cul­tures, l’ap­pren­tis­sage des langues, le soin apporté à la stricte égal­ité homme/femme, se pra­tique non seule­ment dans un cadre con­sti­tu­tion­nel éventuel, mais à échelle humaine, com­mu­nal­iste et locale. Nous sommes là, très éloignés d’un nation­al­isme kurde qui lut­terait pour son “indépen­dance nationale”. Car­ac­téris­er le par­ti HDP de “pro kurde” revient à en don­ner cette image erronée.

L’his­toire de la lutte du Peu­ple kurde ne date pas d’hi­er. Nous enfonçons là une porte ouverte. Et si au fil des affron­te­ments pour la recon­nais­sance d’un Peu­ple opprimé face à l’E­tat turc agresseur (pour la péri­ode la plus récente, les années 1980, les années noires de 1990… et l’an­née 2015/2016…) le Par­ti des Tra­vailleurs du Kur­dis­tan (PKK) et donc sa branche clan­des­tine et armée, a pris dans le cœur des pop­u­la­tions kur­des la pre­mière place, celles-ci n’en adhèrent-elles pas moins à une option de Paix. Et lorsque cette option, représen­tée par le HDP, et d’autres décli­naisons locales (DBP — Par­ti démoc­ra­tique des régions), s’est con­stru­ite, avec une alliance/convergence sur l’ensem­ble de la Turquie, elle a, dans le sondage que représen­ta l’élec­tion lég­isla­tive de 2015, été plébisc­itée en maints endroits, mal­gré fraudes, ter­reurs et menaces.

C’est donc l’op­tion poli­tique de Paix, dou­blée d’une prise en compte de toutEs, qui a été recon­nue par des mil­lions de turcs, quelle que soit leur deux­ième “iden­tité”. Fau­dra-t-il donc des années encore, avant que l’ap­pel­la­tion “pro-kurde” ne soit plus un réflexe facile ?

A la décharge des médias européens, et des commentateurs/trices de l’ac­tu­al­ité de Turquie, il faut dire que la notion même de “par­ti”, dans les républiques des Etats-nations qui sont les nôtres, dans les pays dits occi­den­taux, recon­nue dans les con­sti­tu­tions, est celle d’une machine à “alter­nance de pou­voirs”. Là où des républiques jacobines cen­tral­isées ont réduit les minorités, cela se man­i­feste par des droites, des gauch­es, des cen­tres, dans des cadres par­lemen­taristes. Là où, comme en Bel­gique par exem­ple, sub­sis­tent des reven­di­ca­tions cul­turelles et lin­guis­tiques, les appar­te­nances nation­al­istes repren­nent le dessus.

Quoi de plus sim­ple, dans ce for­matage de pen­sée en Etat-nation, que d’emboîter le pas pour désign­er l’op­po­si­tion démoc­ra­tique en Turquie, à par­tir d’une “iden­ti­fi­ca­tion” ?

Cela se com­plique, quand c’est la “gauche” elle même, qui propage le terme.

En ces temps de cam­pagne élec­torale fran­co française, et au rythme où les unEs et les autres se jet­tent à la fig­ure les grands mots patri­o­tiques, on peut com­pren­dre que cette ques­tion de la dénom­i­na­tion eth­nique du HDP n’en est juste­ment pas une. Tel ou tel tri­bun peut alors défendre les Kur­des, tout en les ren­voy­ant à sa pro­pre vision “nationale” de la ques­tion, tout en oubliant juste­ment que le prin­ci­pal par­ti d’op­po­si­tion en Turquie ne par­ticipe pas de sa vision “nationale” à lui pour le “Kur­dis­tan”.

Flat­ter ce nation­al­isme là, ne fait qu’ap­porter de l’eau sale au moulin de ceux qui jugeront les “otages”, en ce moment entre les mains d’Erdogan.


Et comme cette réflex­ion est née d’une autre, moins fran­co française, pub­liée sur un réseau social, nous vous en faisons part également :

Chers amis,

Vous enten­dez sûre­ment sou­vent par­ler ces jours-ci du par­ti HDP (Par­ti démoc­ra­tique des peu­ples) dont plusieurs cadres — y com­pris ses deux co-dirigeants — ont été arrêtés par le régime d’Erdogan. 

J’imag­ine que la seule chose que beau­coup d’en­tre vous savent sur ce par­ti, c’est qu’il est pro-Kurde. 

Nor­mal, c’est le seul qual­i­fi­catif util­isé pra­tique­ment par la total­ité des médias français. Alors pour ceux d’en­tre vous que ça intéresse, et je vous prie ami­cale­ment de vous y intéress­er, voici quelques infor­ma­tions fon­da­men­tales sur le HDP que je trou­ve plus que regret­ta­bles d’ignorer. 

C’est un par­ti évidem­ment issu du mou­ve­ment poli­tique kurde, mais qui ne se réduit pas à ça et qui com­porte en son sein dif­férents groupes, et de nom­breux mem­bres et députés qui ne sont pas Kurdes. 

C’est un par­ti de « gauche » et « social­iste » (le seul au Par­lement en Turquie). Il est acces­soire­ment affil­ié au Par­ti social­iste européen et à l’In­ter­na­tionale socialiste. 

C’est un par­ti écol­o­giste (le seul égale­ment au Par­lement en Turquie). C’est un par­ti fémin­iste, par­i­taire et qui défend ouverte­ment les droit des LGBTI (le seul encore au Par­lement en Turquie). 

C’est un par­ti qui défend plus d’au­tonomie démoc­ra­tique régionale, et ce pour toutes les régions de la Turquie, pas seule­ment les régions majori­taire­ment kurdes. 

C’est un par­ti qui défend les droits et les lib­ertés de toutes les minorités de Turquie, y com­pris des Arméniens (le seul, oui encore, au Par­lement en Turquie) et pas seule­ment ceux des Kurdes. 

C’est un par­ti laïque, qui défend la lib­erté de culte et la sépa­ra­tion des affaires religieuses des affaires éta­tiques et qui prévoit la sup­pres­sion du Min­istère des affaires religieuses (Et c’est le seul ). 

Ce par­ti a obtenu, en juin 2016 près de 6 mil­lion de votes (autour de 13% des voix), avec aus­si le sou­tien de nom­breux “Turcs” démoc­rates et/ou de gauche. Ayant obtenu 80 sièges à l’Assem­blée, il a empêché l’AKP d’obtenir la majorité suff­isante qu’il guet­tait pour chang­er la Con­sti­tu­tion et pass­er au régime prési­den­tial­iste souhaité par Erdo­gan. Ce dernier a refusé d’ad­met­tre les résul­tats de ces élec­tions, annon­cé des élec­tions anticipées et depuis cette date, l’ar­mée turque a lit­térale­ment assiégé plusieurs villes kur­des dans le cadre de ses “opéra­tions con­tre le PKK”, en cau­sant la morts de cen­taines de civils kurdes. 

Le HDP a subi un nom­bre inces­sant d’at­taques. Les atten­tats de Daesh visant les Kur­des de Turquie se sont mul­ti­pliés. L’AKP a réus­si à faire vot­er (avec la com­plic­ité des autres par­tis “d’op­po­si­tion”) la sup­pres­sion de l’im­mu­nité par­lemen­taire pour les députés du HDP — pre­mière étape de la cha­rade dic­ta­to­ri­ale dont l’ar­resta­tion cette semaine des cadres du HDP est la dernière étape -

Le HDP n’est pas un par­ti nation­al­iste, séparatiste, indépen­dan­tiste, bel­li­ciste — pour lequel la seule appel­la­tion “pro-Kurde” pour­rait laiss­er penser. Au con­traire c’est, selon moi et beau­coup d’autres Turcs, le seul par­ti réelle­ment démoc­ra­tique de la Turquie. 

En tout cas ce sont mes opin­ions en tant que citoyen turc et chercheur spé­cial­iste de Turquie — pour ce que ça vaut.

Ali­can Tayla

Et s’il fal­lait enfon­cer le clou sur la nature de ce par­ti, il suf­fi­rait de con­stater la déci­sion prise, suite à l’emprisonnement de nom­bre des leurs, par les députéEs HDP, d’entamer un boy­cott par­lemen­taire, y com­pris dans la par­tic­i­pa­tion à des com­mis­sions, en déclarant que désor­mais, les élus restants se « con­sacreront à celles et ceux qui les sou­ti­en­nent et les ont élus, dans les villes, les régions et les cam­pagnes ».

Là où est le Peu­ple, seront ses députés. Les maires et co-maires des­ti­tués par décret avaient entamé une démarche ana­logue, en dis­ant « de mai­son en mai­son, là est la com­mune ».

Evidem­ment, vu d’i­ci… Mais l’op­po­si­tion démoc­ra­tique en Turquie, et le proces­sus poli­tique en cours chez les voisins du Roja­va, ont décidé­ment beau­coup à apporter à la réflex­ion politique.


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