Hurşit Külter, le président du DBP de Şırnak dont le nom est venu dans l’actualité avec une mise en garde-à-vue le 27 mai, a fait surface le 7 octobre, à Kirkouk en Irak. Depuis, une polémique ignoble s’est développée.
Pendant 133 jours aucune nouvelle n’était parvenue de Hurşit Külter, et les autorités refusaient de confirmer son arrestation.
Dès sa réapparition, malgré les explications de Hurşit sur sa détention pendant 13 jours dans un sous-sol, son évasion, les 45 jours où il s’est caché dans des immeubles vides dans la ville…. sous couvre feu, sa fuite à Kirkouk et son attente “pour se sentir en sécurité” avant de faire surface, une polémique a gagné l’opinion publique en Turquie, y compris dans les rangs qui logiquement devraient lui être favorables.
Pour certains son histoire est “douteuse”, pour d’autres, elle « dessert la cause », et l’opinion publique est divisée entre se “réjouir” du fait qu’il soit en vie et presque de “s’attrister” du fait qu’il ne soit pas “mort en martyr”.
Echanges sur les réseaux sociaux (mêmes très contrôlés), voire articles dans la presse, bien “auto-censurée d’office” elle aussi, alimentent une polémique.
En Turquie, les cas de “disparitions en garde-à-vue” ont fait partie du paysage dès les années 90. Les proches de nombreux/ses disparuEs, comme les Mères du Samedi recherchent encore aujourd’hui leurs proches.
Öztürk Türkdoğan, le président du IHD, İnsan Hakları Derneği (Association des Droits humains) souligne un point important :
En Turquie depuis 2004, il n’y avait pas eu de cas de disparition en garde-à-vue. Le fait de ne pas avoir eu de nouvelles de Hurşit nous a fait naturellement penser qu’on l’avait « fait disparaitre » de cette façon. Ce cas de figure serait pour l’Etat une honte et inhumain. Ce qui ferait penser que l’Etat a changé de politique, car les disparitions en garde-à-vue ne se déroulent pas seulement par la volonté des fonctionnaires de la sécurité, mais par des choix politiques des Etats. Si c’était le cas pour Hurşit, cela pourrait être le cas, aussi pour d’autres personnes.
Pour Eren Keskin, défenseure des Droits humains, la polémique sur Hurşit, sert surtout à décrédibiliser la lutte menée depuis des années pour la recherche des disparuEs.
Nous avons retrouvé des ossements des personnes qu’on avait fait disparaître en garde-à-vue. La lutte pour les disparuEs est un des combats les plus concrets sur ces terres. Nous ne savons pas encore les détails de l’histoire de Hurşit, mais nous sommes contentEs de le savoir vivant.
* L’article de Maxime Azadi, journaliste de Med Nuçe, bien qu’il date de 2011 et qui parle de “253 fosses communes contenant environ 3250 corps”, donne un aperçu sur ce sujet.
Et comme le dit un communiqué du HDK :
Si Hurşit est aujourd’hui encore en vie, il faut être fier de la solidarité qui s’est crée autour de lui et que nombreux ont été celles et ceux qui ont crié fort. Si Hurşit n’a pas été exécuté lors de sa détention de 13 jours, qui n’est passée dans aucun registre officiel, lors duquel il a subi des tortures dans le sous-sol où il était enfermé, c’est parce que nombreux ont été celles et ceux qui ont demandé des comptes sur sa disparition.
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Pour mieux comprendre les causes et les conséquences de cette polémique qui concerne Hurşit, nous allons donner la parole à Yannis Vasilis Yaylalı.
Yannis est un activiste antimilitariste d’origine grecque (de Pontos) vivant en Turquie. Il a une expérience de vie particulière : parti dans l’Est comme un commando très motivé, blessé et fait prisonnier par le PKK, il a eu le temps d’observer, de réfléchir. Pour connaitre son étonnant parcours, sa transformation politique, nous vous conseillons de lire le reportage que nous avions précédemment publié : Ibrahim le commando, devenu Yannis Vasilis.
Vous comprendrez pourquoi ses paroles sont légitimes.
La vérité ? Hurşit a choisi de vivre
Expliquer la vérité n’est parfois pas si facile, en y allant tout droit.
Celles/ceux qui chantaient des lamentations en l’absence de Hurşit, en sa présence, lui jettent des pierres, comme s’ils/elles caillassaient le diable. Si Hurşit n’avait pas été considéré comme mort, lamenté, peut être qu’aujourd’hui il ne serait pas lapidé comme un diable.
Voyez-vous, dans les 90, j’étais militaire à Şırnak. Je n’imaginais même pas que j’allais me retrouver prisonnier. Que s’est-il passé ? J’ai été blessé à mon pied et fait prisonnier par le PKK.
Je vais vous révéler ici, une réalité dont je n’ai jamais parlé à personne jusqu’à aujourd’hui. Je veux vous raconter la réalité de guerre dans les villes kurdes, et la psychologie de celles et ceux qui combattent ou qui résistent. Je veux parler au moins de notre psychisme, nous qui faisions alors partie des forces [militaires] de l’Etat.
Il fut un temps, j’avais abordé le sujet, en réalisant une interview avec Yüksel Genç, qui lui même était un un ancien combattant du PKK, revenu en Turquie avec le groupe de Paix,1ensuite emprisonné. Il est devenu journaliste après sa libération.
En discutant, un point commun entre les soldats et les combattants était ressorti : les personnes engagées des deux côtés, préféraient mourir que d’être prisonniers. Alors que je racontais mon souvenir de prisonnier, Yüksel Genç m’avait interloqué en précisant « Pour la guérilla, il est question de la même chose ».
La honte que j’ai pu ressentir en tombant dans la main de la guérilla, ne peut être décrite avec aucun mot. Comment une personne “patriote” comme moi pouvait tomber prisonnier, dans les mains de cette organisation que nous maudissions, et voyions comme une maladie, telle la dysenterie ou le palu ? « J’aurais mille fois préféré mourir. Quand j’avais été blessé et fait prisonnier, beaucoup de mes camarades avaient été tués, pourquoi, moi, je n’étais pas mort et avait été pris vivant ? » Des milliers de questions semblables m’avaient rongé la tête des jours et des jours, et plusieurs fois, j’avais pensé à me suicider. Vraiment, aucun mot ne peut décrire la honte que je ressentais à cette période.
Il y a quelques points manquants dans mon récit que j’ai raconté de nombreuses fois jusqu’à aujourd’hui. Et c’est très important. Je voudrais en parler, à cette occasion, à propos de Hurşit Külter.
Quand on me posait la question, jusqu’à aujourd’hui, je disais toujours que le PKK m’avait donné la possibilité d’appeler ma famille au bout de trois mois. Dans cette partie il y a quelque chose qui manque. En réalité, le PKK, dès le premier jour, m’avait proposé de contacter la famille. Mais j’ai reporté cette prise de contact pendant trois mois ; de honte. Avec mon état d’esprit de l’époque, que pouvais-je dire à ma famille ? Dans mon unité il y a avait eu des dizaines de morts. Tant de personnes ayant perdu la vie, que devais-je dire ? « J’ai eu peur de me faire exploser avec mes dernières grenades » ? Je n’étais pas prêt à dire cela.
Cela a duré jusqu’à ce que les dirigeants du PKK arrivent à me faire comprendre que la situation dans laquelle nous nous trouvions était une situation de guerre, et que dans les guerres, il était aussi normal de tomber prisonnier, que de mourir ou de rentrer chez soi. C’est seulement quand j’ai pu considérer la situation d’une façon saine, que j’ai pu appeler ma famille.
Malgré cela, cette pensée a du me marquer profondément sans aucun doute, parce que c’est seulement les polémiques sur Hurşit Külter qui m’ont aidé à exprimer cette situation.
Je pense qu’il est possible d’avoir une empathie avec Hurşit Külter et d’autres victimes de la guerre qui vivent des situations semblables, en prenant compte des points communs que nous avions évoqués lors de ma rencontre avec Yüksel Genç et ces souvenirs de nouveau rafraîchis.
Dans notre pays, il n’y a aucun travail entrepris pour faire des recherches sur les traumatismes de cette guerre qui dure depuis 40 ans, et pour aider à les dépasser. Puisque la notion de guerre civile est reniée, presque qu’aucun travail n’est fait sur ses traumatismes. Chacun essaye alors, à tâtons, de les traverser, se soigner, ou cela fait du bien de penser qu’on les traverse. Et tant que les traumatismes ne seront pas traités, ils se transporteront sans cesse vers l’avenir comme une Culture qui sera un élément de l’inconscient collectif.
En fin de compte, nous vivons aujourd’hui, une vraie catastrophe, tous ensemble. Que ni l’Ouest, ni l’Est de la Turquie n’oublient ceci : nous sommes les victimes de cette guerre qui perdure depuis 40 ans, et dont on ne voit pas la fin. Nous vivons le traumatisme social aux limites de la folie de cette guerre. Ne l’oubliez pas, aucun de nos propos et nos commentaires ne sont indépendants de cette existence que nous avons.
Il n’y a plus rien qui n’a pas été dit à propos de Hurşit Külter. Partant de celles et ceux qui l’ont traité comme le fut Ertuğrul Kürkçü, rescapé du massacre de Kızıldere2jusqu’à celles et ceux qui expriment leur “honte” du fait qu’il soit toujours vivant. Il existe de tels propos que je ne me permets pas d’écrire…
Quand, des deux côtés, la mort est maladivement sacralisée, le droit à la vie, qui pourtant est le droit le plus sacré, devient un détail.
Nous avons vécu cela chez les militaires prisonniers dans les années 90. « Ils auraient du être morts, au lieu de revenir ». Nous comprenons donc aujourd’hui, avec le cas de Hurşit Külter, que nous pouvons constater des réactions et murmures semblables dans l’opinion publique kurde, épuisée par la guerre. Ce n’est même pas la peine que je souligne que cela n’est pas bon signe. Si cela continue de cette façon, ce sera à l’avantage du gouvernement. Avant de se serrer la gorge entre nous, les forces qui se réunissent non pas pour la mort mais pour la Vie, doivent se mobiliser au plus vite possible pour corriger cette désinformation inhumaine.
Yannis Vasilis Yaylalı
Voilà ce que Yannis exprimait dans un article publié sur le site “Barış için aktivite” (Activité pour la Paix) à propos de cette polémique.
Nous n’avons pas légitimité à KEDISTAN pour discourir sur les “martyres”, alors que nous sommes plutôt des “combattants du clavier”.
Mais cette polémique autour de Hurşit Külter est tellement grotesque, qu’elle doit nous faire réfléchir sur une psychologie de glorification de la mort, qui accompagne toutes les situations de guerre, et influent tellement sur les suites. Hurşit Külter est vivant, n’en déplaise aux croque-morts.
La symbolique de la mort a orné, tant du côté franquiste, que dans les troupes nazies, les uniformes des pires tortionnaires nationalistes. Et cette symbolique est reprise dans les “colifichets” de tous les groupes fascisants d’aujourd’hui. (Et ne parlons pas de Daech). Le culte du “martyre” peut être aussi un culte nationaliste par excellence, lorsqu’il célèbre la mort, plus que la vie, et le “combat” pour la vie.
Hacı Lokman Birlik il y a à peine plus d’un an, a perdu la vie. Et il faut le regretter, non pas glorifier sa mort. La cause kurde a perdu un combattant, une vie fauchée qui manquera à l’avenir. Elle n’y a rien gagné.
Lorsqu’en effet Hacı Lokman Birlik fut sauvagement assassiné par les forces de répression turques, ne pas respecter sa dépouille, a fait partie de la symbolique soldatesque. Empêcher qu’on se souvienne, non pas seulement du combattant, mais de la vie de l’humain qu’il était, de ses joies, de ses utopies, de sa culture, de sa langue, qui guidaient sa résistance, voilà quel était l’objet, symboliquement, de la dégradation de son corps. Et à l’occasion de cet anniversaire funeste d’un an, sa famille a demandé que ce soit sa mémoire de vivant qui soit mise en avant.
“Mourir pour la patrie d’accord, mais de mort lente”, disait un poète chanteur un peu anarchiste. Cela n’a jamais signifié ne pas combattre, mais le faire pour une vie meilleure, pas pour mourir. Quand à la “patrie”, on sait combien le mot est familier aux tribuns qui haranguent sans jamais combattre eux mêmes… La terre est pleine des ossements de ces “patriotes” qui les ont écouté.
De la même façon qu’une résistance armée existe contradictoirement pour servir la paix et la défendre, la mort d’un combattant est pleurée pour la perte d’une vie et d’un futur. Dans le cas contraire, et c’est le cas aujourd’hui en Turquie, une société devient schizophrène et cultive sa maladie au fil de son histoire.