Abdullah Öcalan le leader du mouvement kurde est actuellement détenu dans la prison d’İmralı. Après des mois de non-contact avec le leader kurde, une rencontre a enfin eut lieu en septembre.
En septembre et octobre, une série de débats ont été organisés par le KCDK‑E (Congrès démocratique populaire kurde, européen) et le TJK‑E (Mouvement de femmes kurdes européen) dans toute l’Europe, pour discuter et informer des conditions de détention d’Öcalan. Le volet en France, est assuré par la présence de son avocat, Mazlum Dinç, du 22 septembre au 2 Octobre.
Kedistan a rencontré Mazlum Dinç, lors de sa visite au Centre Culturel kurde de Bordeaux. Une petite interview s’imposait.
Et rappelons tout d’abord, que les communications avec Öcalan ont été rendues difficiles, même durant le processus de paix, puis impossibles depuis la mi 2015. En 2011, le régime coupait les ponts avec les avocats, puis en 2014 avec sa famille. Le leader politique Öcalan fut ensuite mis en isolement, et les nouvelles ne parvinrent plus à l’extérieur par des voies normales.
Question : Pouvez vous en quelques mots vous présenter, pour les lecteurs/trices de Kedistan, et nous parler du rôle des avocats d’Öcalan, et des difficultés rencontrées depuis un an.
Je m’appelle Mazlum Dinç , je travaille dans un cabinet d’avocats inscrit au barreau d’Istanbul. Ce cabinet est en charge depuis 1999 du dossier Öcalan.
Moi, j’y suis depuis 2011.
Depuis le 27 juillet 2011 toutes les communications et visites sont interdites avec les avocats d’Öcalan, concernant les aspects juridiques. Il y a eu des discussions concernant la situation juridique d’Öcalan, bien sûr, mais pas seulement, car il est aussi le leader d’un peuple et il est aussi question de la solution du problème kurde dans les rencontres.
L’approche d’Öcalan n’a jamais été de type individuel, jamais il ne dissocie son avenir de celui du peuple qu’il défend. Sa défense et son combat juridique sont fondés essentiellement sur la défense des droits et des libertés de son peuple. C’est sur cela qu’il a basé sa défense auprès de la Cour Européenne des Droits de L’Homme.
Comme je vous l’ai dit, depuis juillet 2011, l’interdiction de toute visite et communication avec ses avocats est un frein au processus de paix. C’est aussi le cas pour les autres détenus qui se trouvent à İmralı, par lesquels nous avions des renseignements sur Öcalan. Il faut savoir que depuis mars 2015 cinq nouveaux détenus ont été amenés à İmralı.
Il s’agit de Ömer Hayri Konar, Hamdi Yıldırım, qu’il connaissait déjà avant İmralı, et Veysi Aktaş, Çetin Arkaş, Nasrullah Uran. Ce sont tous des partisans du PKK. Deux d’entre eux ont été transférés plus tard à la prison de Silivri.
Le processus de paix a été gelé par Erdoğan même avant les élections de juin 2015 ?
Le leader du PKK était bien conscient que la lutte serait très difficile en Turquie mais aussi dans le Moyen-Orient, dans cette zone du monde où dominent encore les impérialismes et une mentalité encore très archaïque et conservatrice. Il connaît bien la culture, la mentalité, les schémas archaïques de cette zone. Il sait aussi que les pays impérialistes et leur système de domination reposent sur la nécessité pour eux d’exister en divisant, et en désignant toujours un ennemi. La seule solution possible et pérenne, pour le leader, étant un système qui respecte les différences, les libertés, de manière démocratique, il est évident que cette vision du monde dérange bien sûr des intérêts politiques économiques des forces impérialistes.
La véritable lutte, et donc la résistance, pas seulement par la guerre, est de changer les mentalités et cette vision du monde, bouleverser un ordre établi. C’est bien sûr dangereux et difficile. Tant que ce changement ne s’opèrera pas, et que la résistance ne se fera pas dans ce sens, il est difficile d’espérer un avenir serein.
Öcalan comprend bien qu’actuellement une bataille, un combat nécessaire est menée contre Daech, et qu’il y aura bien sûr d’autres créations d’ennemis, et peut-être pire que Daech. Cela représente bien l’archaïsme du Moyen-Orient mais aussi la vision des pays impérialistes qui souhaitent conserver des codes d’un ancien temps pour mieux dominer les peuples.
Comment alors expliquer cette lutte menée contre le Rojava ?
Cette résistance, bien sûr, ne sera pas facile. C’est pourquoi Öcalan à plusieurs reprises invite les peuples, notamment le peuple kurde à être prédisposés à des conditions de guerre permanente et de lutte. Ainsi l’organisation et la préparation dans cette voie est plus que nécessaire. Le peuple kurde devra accepter et s’adapter à ces conditions de guerre. Il donne comme exemple le peuple de Gazza qui lutte face à Israël.
La conjoncture actuelle n’est pas très optimiste.
Changer les mentalités, modifier la mentalité d’un État conservateur (en Turquie) n’est pas tâche simple.D’ailleurs, il explique lui-même qu’alors qu’en 2014 des pourparlers étaient en cours, l’État continuait à construire des commissariats, des gendarmeries, des barrages visant a façonner, enclaver même, le paysage du Kurdistan. Il augmentait le contingent des gardes (Köy korucusu) et continuait ses préparatifs de guerre, malgré le processus.
La solution au problème kurde et le processus de paix ne peuvent s’opérer que sur l’honnêteté des deux parties.
Le PKK avait parmi ses otages des commis d’état, il les a relâché sans conditions, sans négociations, sans aucune volonté de monnayer, afin de montrer sa volonté pacifiste.
Cependant le PKK malheureusement observe que même ses détenus politiques malades sont devenus des sujets de chantage politique et de pressions exercées par l’État.
Après avoir démontré cette approche malhonnête, et cette mentalité étatique, il a pourtant affirmé que cette guerre sans fin ne servirait à personne.
La volonté du leader du PKK a toujours été d’attirer l’État vers une solution diplomatique. C’est pourquoi la lutte démocratique a amené à fonder le HDK et le HDP, qui en étaient une projection.
Lors du processus de paix, beaucoup en coulisses insinuaient que Öcalan pactisait avec l’État. C’était aussi une manière d’humilier et de démoraliser les Kurdes. Même à cette période, durant le processus, Öcalan continuait d’affirmer que la lutte avec l’état continuait, que rien n’était acquis et que la réconciliation n’avait pas encore eu lieu.
La seule victoire dans un processus de paix serait effectivement le confédéralisme, où tous les peuples de cette région pourraient coexister et décider en commun de leur avenir.
Nous voyons bien dans l’exemple des attaques contre le Rojava que la mentalité étatique n’a pas changé, et qu’il faut forcer cette mentalité a une solution.
En Turquie, le HDP doit mener cette lutte et cette résistance. De la même manière, lors de la visite enfin autorisée de son frère, Öcalan a été informé de la mise sous tutelle des 24 municipalités du DBP. Il a critiqué vivement l’attitude de l’État, dit que c’était une atteinte et une agression contre la volonté des peuples.
Il explique qu’il faut absolument que le HDP et le HDK prennent ses responsabilités en organisant la résistance des peuples, et que dans cette conjoncture et dans le contexte actuel, que les kurdes et les opprimés ne doivent en aucun cas se décourager. Il insiste sur le fait que cette résistance ne peut se développer sans la participation du peuple. Il précise que les atteintes de l’État seront plus fréquentes et intensifiées cependant.
Qui sont selon lui les alliés des kurdes ?
Les coalitions stratégiques peuvent avoir lieu de temps en temps. Elles sont nécessaires selon la conjoncture, mais l’essentiel, la base de la lutte, reste les peuples, ceux qui vivent sur ces terres, les Syriaques, les Ezidis, les Turkmènes, les Kurdes et surtout les femmes, premier groupe opprimé de l’histoire, selon lui.
Le pouvoir défensif doit se construire ensemble et en concertation, c’est cela qui amène à la réussite.
Le leader est-il conscient qu’une guerre civile peut éclater à tout moment ?
Öcalan observe et affirme que la politique génocidaire contre les Kurdes ou les opprimés n’a jamais cessé. La lutte pour le Rojava est une victoire. Mais même si Daech est éradiqué, l’impérialisme dressera contre nous encore d’autres ennemis.
Tout le peuple kurde, les opposants, les opprimés doivent se préparer et se défendre contre ce risque.
La situation juridique depuis le 27 juillet 2011
Aucune visite d’avocat n’est autorisée. Ceci est pourtant un droit essentiel et universel. Depuis cinq ans, les visites de la famille s’effectuent une fois par an ou tous les deux ans. C’est pourquoi nous ne pouvons pas dire que le droit de visite de la famille est respecté.
La prison d’İmralı a été fondée sur un système de torture très lourd.
Jusqu’en 2013, pas le droit de regarder la télévision. Les journaux arrivent souvent avec un à deux mois de décalage, bien sûr avec des passages censurés. Pas d’accès à des journaux en langue kurde.
C’est un système d’isolement complet. Légalement, nous faisons le nécessaire pour lever ces lourdes conditions de détention. Nous envoyons tous les mois des rapports à l’Union Européenne, au CPT (comité pour la prévention de la torture) qui avait convenu que ces conditions étaient complètement illégales et contraires au droit international. Mais le CPT depuis n’a jamais pris de position ferme, et cela montre bien que même les instances défendant les droits de l’Homme sont complètement politisées.
(Interview traduite à partir d’un enregistrement audio).