Des « administrateurs » ont été attribués par décret à 28 mairies kurdes, dans le Sud-Est de la Turquie. Les Co-maires éluEs démocratiquement, sont démiEs de leurs fonctions à partir de 09h ce matin. Des rassemblements de protestations spontanés se déroulent dans certains localités.
Dans le quartier Sur, à Amed (Diyarbakır), pendant que le personnel de la mairie faisait la lecture d’un communiqué de presse, en présence du Co-maire d’Amed Métropole, Gültan Kışanak, et des députés HDP Sibel Yiğitalp, Feleknas Uca et Meral Danış Beştaş, le groupe a été attaqué par la police, avec usage intensif de canon à eau et matraques. Suite au fait que les habitants protestataires se réfugient dans les bureaux du DBP (Parti Démocratique des Régions) et du HDP (Parti Démocratique des Peuples), la police a essayé de s’introduire dans ces locaux, en cassant les portes. La population a contenu la police. Hüseyin Bayram, secrétaire adjoint de la Mairie d’Amed Métropole et un habitant ont été placés en garde à vue. La police continue à faire des annonces pour disperser le rassemblement mais les protestataires refusent de quitter les lieux.
Autour de 15h30 (heure locale), pendant que nous écrivons ces lignes, l’attente continuait dans une ambiance tendue.
Par ailleurs, dans les villes kurdes en Turquie, les connexions Internet fixes et mobiles sont coupées depuis 00h30 hier soir. Bien que l’agence DHA annonce que le blocage ai été enlevé à 12h, dans certaines villes les difficultés continuent. Nos contacts habitants dans la région sud-est, nous informent que les connexions Internet sont encore bridées. Ils nous font savoir que, suite aux discussions avec les différents fournisseurs d’accès, les chargés de clients, ont avoué à demi-mot que les ralentissements ne venaient pas de travaux techniques éventuels, mais qu’ils ne peuvent pas en dire plus, car ils sont “tenus au secret sur ce sujet”, ce qui confirme officieusement les doutes sur l’existence d’ordres officiels pour que les blocages perdurent.
L’état d’urgence AKP
Rappelons que le Ministre d’intérieur turc Süleyman Soylu, avait avancé une drôle de thèse lors d’une déclaration le 9 septembre dernier : « La direction de 28 mairies passeront sous contrôle de Qandil dans les 15 jours à venir ».
L’attribution des administrateurs remplaçant les maires s’est effectuée suite au décret n°674 du 1er septembre, décret d’état d’urgence concernant les mairies, et qui prévoit le retrait de leurs fonctions des maires qui soutiendraient et aideraient les “organisations terroristes telles que FETÖ, PKK et KCK”.
Ce décret est contraire à de nombreux articles de la Constitution turque, aux conventions internationales, ainsi qu’à la Convention européenne des Droits Humains, et aux Droits universels et au Droit humains fondamentaux. Sa pratique est perçue par les populations locales, comme un “coup d’Etat administratif”, et apporte le questionnement : “Quelle est la différence entre ceux qui tentent le coup d’Etat du 15 juillet et ceux qui en criant « Nous mettons la main sur la direction ! » et entrent dans les mairies dont les responsables sont des élus du Peuple ?”
Ce coup d’Etat administratif, cible principalement les villes kurdes, et les mairies élues avec 65–95% de votes. Il s’agit des mairies de 2 villes et 24 provinces et 2 localités : Batman, Hakkari, Adana-Pozantı, Ağrı-Diyadin, Batman-Beşiri, Batman-Gercüş, Diyarbakır-Silvan, Diyarbakır-Sur, Erzurum-Aşkale, Erzurum-Hınıs, Giresun-Çamoluk, Iğdır-Tuzluca, Konya-Ilgın, Mardin-Dargeçit, Mardin-Derik, Mardin Mazıdağı, Mardin Nusaybin, Muş-Bulanık, Siirt ‑Eruh, Şanlıurfa-Suruç, Şırnak-Cizre, Şırnak-Silopi, Van-Edremit,Van-Erciş, Van-İpekyolu, Van-Özalp, Batman-Beşiri-İkiköprü, Iğdır-Merkez-Hoşhaber.
12 d’entre eux ont été à ce jour arrêtés.
Les Etats-Unis sont “inquiets” mais soutiennent néamoins la Turquie
L’Ambassade des Etats-Unis, a fait une déclaration sur son site Internet :
« Nous sommes inquiets des nouvelles de conflits dans le Sud-Est de la Turquie, qui suivent la décision de retrait des maires de leurs fonctions et de l’attribution d’administrateurs à leur place, avec la thèse du gouvernement que certains responsables locaux soutiendraient le terrorisme.
Les Etats-Unis, condamnent le terrorisme, et soutiennent le droit d’autodéfense de la Turquie. Nous souhaitons souligner l’importance du respect des procédures de Droit, et le respect des droits individuels dont le droit d’expression politique pacifiste, comme il est inscrit dans la constitution turque, en attendant que les autorités turcs enquêtent sur les thèses sur le fait que certains responsables locaux auraient rejoint des groupes terroristes, ou qu’ils les auraient soutenus financièrement.
Nous espérons que les attribution d’administrateurs seront provisoires et les citoyens seront autorisés bientôt, à élire des responsables locaux, en respect des lois turques. »
Si ce n’était que les maires…
Les attaques et la répression contre les responsables du HDP ne s’arrêtent pas aux maires. Les 59 députés du HDP sont toujours sous le coup de leur levée d’immunité parlementaire, en vue d’enquêtes, au titre de la nouvelle loi anti-terroriste. Les arrestations ont été “différées”, du fait du putsch manqué. L’AKP se réserve l’offensive politique et répressive pour un moment favorable. Rappelons que cette levée de l’immunité fut le fait d’un vote unanime à l’Assemblée, contre les 59 députés, pseudo opposition kémaliste comprise.
Le 9 septembre, Alp Altınörs, Co-Président adjoint du HDP a été arrêté, lors d’une perquisition à son domicile. Selon la déclaration du bureau central du HDP, Alp Altınörs est retenu pour le ‘délit’ d’avoir participé à l’enterrement de Zakir Karabulut, une des victimes de l’attentat à la bombe commis le 10 octobre 2015 à Ankara. Alp Altınörs avait pris parole lors de la cérémonie, et en parlant de Zakir, étudiant de 24 ans, il avait dit « Notre camarade Zakir était notre responsable d’organisation à Tokat. »
Cette arrestation ne repose sur aucune légalité.
Il y a quelques jours, c’était aussi, rappelons les 11 301 enseignants, dont 9 843 membres du syndicat Eğitim-Sen, qui étaient suspendus, après les avocats, les universitaires, les journalistes et intellectuels… Et la répression au titre de la loi antiterroriste et de l’état d’urgence, ne vise désormais que l’opposition démocratique non-nationaliste, et au premier chef, ses représentants.
On peut cependant avoir des craintes motivées sur la capacité de riposte “unitaire” en Turquie. Le mouvement “pour la Paix”, est resté en partie désuni et morcelé depuis un an, du fait même de directions de partis et de mouvements qui ne peuvent dépasser leur horizon kémaliste, et aujourd’hui se retrouvent dans la démarche “d’union nationale pour la démocratie et contre la terreur”. Le gouvernement AKP sait qu’il peut frapper ainsi sans front commun de riposte. L’inertie politique d’une pseudo opposition laïque s’ajoute au marteau de l’état d’urgence.
Ajoutons à cela que les regards extérieurs sur la Turquie (et nous ne parlerons pas des soutiens honteux des gouvernements européens), qui pourraient venir des “démocrates” en Europe, s’arrêtent bien souvent à la compassion, ou pire, à la formule magique “pas de ça dans notre belle Europe”. On pourrait attendre au moins une défense “professionnelle” de la part de syndicats enseignants, ou une “solidarité démocratique” venant d’élus en nombre. Les tambours électoraux, dans certains pays européens, couvrent déjà les questions internationales, sauf quand il s’agit de refuser les “réfugiés”.
Alors faisons quand même en sorte d’être de petites caisses de résonance, d’autant que l’offensive intérieure va de pair avec l’agression turque nationaliste contre le Rojava à l’extérieur.
Image à la une :
La Mairie de Hakkari, mise en place des drapeaux turcs, pour dire : « Nous mettons la main sur la direction ! »
Ajout du 12 septembre : Kedistan, se doit quand même de signaler que les spécialistes du grand écart entre leurs alliances avec Erdogan au pouvoir, et leurs démangeaisons démocratiques internes, se sont fendus d’un “communiqué”, par l’entremise de leur “Secrétaire national chargé du pôle mondialisation, régulation, coopération”, dans lequel ils précisent : “Le Parti socialiste, attaché au respect des règles et des valeurs démocratiques, condamne vigoureusement cette nouvelle et grave atteinte aux droits de l’homme et au respect du suffrage universel. Il demande la réintégration immédiate des maires dans leur fonction, la libération de ceux arrêtés et appelle à l’arrêt des actions prises à l’encontre de ses partis frères”. Bon, c’est mieux que rien, et cela devrait inciter à faire bien davantage… que de mettre le communiqué dans un tiroir.
En anglais : “28 Kurdish Mayors Removed for Office” Cliquez pour lire