La mode du “paaas bien Erdoğan” se dissipe dans les médias mainstream européens. L’intervention armée de la Turquie sur le territoire syrien y est sans doute pour quelque chose. Certains iraient même jusqu’à dire qu’elle préparerait “un espoir de paix et de sécurité”. La mode deviendra donc bientôt “haro sur les Kurdes qui divisent”.
Un accord se profile entre les USA et la Russie, pour geler pour un temps les combats en Syrie, et faire front commun contre Daech, dans l’échange d’informations militaires. Ces deux là, cependant, ont encouragé ou laissé se dérouler l’opération “bouclier de l’Euphrate” de la Turquie, puissance régionale membre de l’OTAN, visant à créer une zone de “sécurité” au Nord, avec l’aide de groupes djihadistes “politiquement acceptables”.
Celui ou celle qui s’y retrouve dans les drapeaux de référence des “barbus” a gagné un séjour à Jerablus.
Ce qui a été constaté sur place, c’est avant tout la dynamique de repli sans combat de Daech, en différents points névralgiques de la zone, et par contre l’agressivité anti kurde, tant dans les bombardements d’Afrin, que dans les assassinats de civils tentant de quitter les combats. Les djihadistes “libres”, supplétifs des chars turcs, font oeuvre de “pacification” à l’ancienne…
La paix que l’on prépare, ressemble encore bigrement à un sacrifice rituel sur l’hôtel de l’intérêt des Nations.
Et parions que l’on va bientôt lire “vaut mieux la paix que la guerre, même si des peuples doivent faire des sacrifices dans le compromis”. C’est vrai, je le reconnais, la “Paix” a toujours favorisé les affaires, fut-elle imposée et armée. C’est même là tout l’intérêt des Etats/Nations et une des raisons de leur consistance. Et supprimer les “causes” de l’exil des réfugiés syriens, rendez-vous compte ? Quels gains électoraux en perspective contre les populistes identitaires, dans toutes ces votations qui se profilent ! Ben oui, un “politicien”, ça raisonne aussi comme un tambour électoral, à droite comme à gauche, où qu’il soit.
Tout ce petit monde papotant des “politiciens internationaux”, représentants divers des oligarchies de la planète, qui rêve d’arrangements entre amis et de retour aux “équilibres”… quel bel ensemble ! Un vrai G20.
Et si cela doit passer par une mise en sourdine des crimes de Assad, par un coup d’éponge en parallèle sur ceux d’Erdoğan et de ses aventures guerrières, eh bien, vive le retour aux sources “libres” d’approvisionnement gazières et pétrolières ! Comment a‑t-on pu à ce point ne pas voir cette solution “pacifique” ? Alors qu’il suffisait d’un retour à “l’avant printemps arabe” ?
Daech ??? Ha ba oui, Daech… On les avait oubliés ceux là. Pourtant ils se signalent en abondance depuis quelques mois, partout dans le monde. Et s’ils contribuent, par effet d’aubaine, au renforcement des Etats/Nations (mode répression intérieure et militarisation), c’est pourtant l’épine dans la pantoufle.
Daech symbolise à elle seule la faillite politique des aventures militaires du néo libéralisme international, contre les Peuples dont il pille les richesses.
Cela ne lui donne pas pour autant vertu “révolutionnaire”, mais pervertit plus encore toutes les tentatives de ces Peuples pour reprendre leurs destins régionaux en main. Et comme le monde entier ne peut instrumentaliser sa présence comme le fit un Erdoğan durant quelques années, où le Golfe avec le “djihad”, sans courir le risque à court terme du “ver dans le fruit”, il faudra bien continuer la “guerre”.
Bref, les populations civiles de Syrie n’en ont pas fini avec les chars, les bombardements et les ambulances. Elles seront ravies d’apprendre que désormais cela se fera dans une tentative d’harmonisation internationale.
Et justement, cette “harmonisation” ne supporte pas la dissonance.
Le Rojava, rappelons le quand même, territoire encerclé par la guerre, morcelé par le régime, menacé et bombardé par le régime turc, face aux combattants de Daech, ressemble pourtant à une dissonance dans le concert des Nations. Ses habitants se dotent d’un projet politique, d’une volonté d’établir un mode de gouvernance commun et démocratique, au delà de sa mosaïque ethnique, et contre la gouvernance internationale qui ne garantit que le pouvoir de domination et d’exploitation des Etats/Nations. Bref, cela n’est qu’un processus politique fragile, appuyé sur 2 millions de personnes, dont 60% de Kurdes, avec tous les doutes possibles sur l’avenir… Mais visiblement, le projet dérange.
Il a jusqu’ici dérangé au point que les représentants du Rojava ont été tenus à l’écart de toutes négociations au sommet “officielles”. Il dérange le régime turc, qui y voit là des “Arméniens revenus au monde”, et la cause de tous les maux. Il dérange même un voisin pourtant à majorité kurde, l’entité irakienne où un Barzani tente de constituer un pactole possible pour exister dans le concert des nations, et sur le marché du pétrole. Il s’oppose à une Syrie dirigée par une “ethnie”, imposant un état au talon de fer à tous et toutes.
Alors oui, pendant que les politiciens rêvent, que Daech extermine, une “utopie” tente de se frayer un chemin. Profitez-en, tous les souffles violents se tournent vers sa lueur.
Et en Europe, où les “gauches” se targuent tant d’avoir inventé les lumières, on voit à peine pointer le début du début d’un intérêt pour ce projet politique d’émancipation des peuples et sa lueur portée. Seraient-elles dérangées elles aussi dans leur nationalisme de fait ?
Alors, elles se dépêchent d’afficher leur “soutien” aux Kurdes, en se gardant de débattre de leur projet politique, ou alors par effet d’affichage, lors de fêtes annuelles.
Il serait peut être temps de s’alarmer sur le possible “effacement” d’un projet politique au Moyen Orient, caché derrière tous les arrangements, qui aurait pour conséquence immédiate une plongée dans l’obscurité du fascisme turc, pour les populations kurdes dans leur ensemble.
J’ai vu de mes yeux, comment une “Paix” tant attendue en Bosnie Herzégovine, a fait, dans les années 1990, rentrer dans leurs tombes, tous les combattants d’un vivre ensemble multi ethnique à Sarajevo, et mis en selle 3 nationalismes. Cette “paix”, au passage, donna d’ailleurs libre cours ensuite à l’invention d’un “nationalisme musulman” acceptable, qui aujourd’hui plébiscite le régime turc. Quelle belle ténacité dans les projets européens !
Paas bien Erdoğan, paas bien la Syrie…
Oui, je sais, encore un billet bien excessif ! Fichez moi la paix à la fin !