11 301 enseignants dont 9843 s’avèrent être des mem­bres du syn­di­cat enseignant Egit­im-Sen, vien­nent d’être sus­pendus lors d’un nou­veau coup de bal­ai dans l’é­d­u­ca­tion nationale. Les purges précé­dentes con­cer­naient déjà au moins 28 000 employés dans ce min­istère, depuis le coup d’É­tat raté du 15 juil­let. L’ac­cu­sa­tion, cette fois, désigne une com­plic­ité de ter­ror­isme avec le PKK, sans toute­fois le nommer.

Comme noti­fie Eti­enne Copeaux sur son blog Susam Sokak :

Les médias français par­lent, heureuse­ment, de la répres­sion visant les “Uni­ver­si­taires pour la paix”, ces enseignants-chercheurs qui ont signé au print­emps une péti­tion con­tre la guerre au Kur­dis­tan turc et ses horreurs. 

Depuis les mesures d’inter­dic­tion du quo­ti­di­en pro-kurde “Özgür Gün­dem et l’ar­resta­tion de la plu­part de ses respon­s­ables et rédac­teurs, quelques cas de répres­sion sont con­nus, dont celui de la célèbre écrivaine Aslı Erdoğan et de la tra­duc­trice et lin­guiste Necmiye Alpay.

J’ai choisi de pub­li­er ici un cas de répres­sion plus dis­crète, moins dra­ma­tique, sans empris­on­nement, mais qui illus­tre la manière obstinée par laque­lle le pou­voir et ses “derniers fil­a­ments” ten­tent de venir à bout des récal­ci­trants. A force, ce pou­voir cherche à obtenir une pop­u­la­tion mou­ton­nière, qui choisira de rester “tran­quille” pour avoir la paix. Un peu comme en URSS autrefois.

A not­er que la répres­sion s’ex­erce ici par une autorité admin­is­tra­tive, l’u­ni­ver­sité, qui a la pré­ten­tion de détenir un pou­voir judi­ci­aire. C’est en effet l’u­ni­ver­sité qui requiert la peine de prison !

Voici la tra­duc­tion, par Sibel Özbudun, de l’ar­ti­cle paru le 26 août 2016 dans le quo­ti­di­en Birgün.


yasin durak birgun enseignants

Yasin Durak au cours d’une con­férence de presse.
Pho­to pub­liée par Birgün le 26 août 2016

L’Université de Niğde a ouvert une enquête con­tre l’enseignant chercheur Yasin Durak en lui reprochant d’avoir insulté le Prési­dent dans son arti­cle paru dans le jour­nal BirGün. En prenant égale­ment une déci­sion dis­ci­plinaire, l’université a ouvert la voie à une procé­dure judi­ci­aire con­tre Durak, qui pour­rait aboutir à une con­damna­tion allant de un à qua­tre ans d’emprisonnement.

L’Université de Niğde a ouvert des enquêtes admin­is­tra­tives et dis­ci­plinaires con­tre l’enseignant-chercheur Yasin Durak en lui reprochant d’avoir insulté le Prési­dent dans son arti­cle inti­t­ulé « On ne peut pas être un héros sans défi­er un drag­on », paru dans le sup­plé­ment dimanche du jour­nal BirGün du 8 mai 2016.

Trois jours après la pub­li­ca­tion de l’article de Yasin Durak, enseignant chercheur à la chaire de Soci­olo­gie des Insti­tu­tions du départe­ment de Soci­olo­gie de la Fac­ultés des Sci­ences et des Let­tres, l’enquête du rec­torat s’est ter­minée à la vitesse grand V. Durak a reçu un blâme et la com­mis­sion d’enquête a ensuite autorisé l’ouverture d’une procé­dure pénale à son encontre.

Durak a con­testé la légal­ité de l’enquête menée à son encon­tre. On lui a répon­du « qu’il est établi qu’il a com­mis une infrac­tion prévue par l’article 299 du Code pénal turc mod­i­fié par la loi n°5237. » La direc­tion de l’université a donc prévu pour son employé une peine d’emprisonnement allant de 1 an à 4 ans, comme si elle était une juri­dic­tion pénale.

Les courriers ne sont pas pris en compte

« Ces enquêtes font par­tie d’une plus large opéra­tion pour venir à bout des académi­ciens sig­nataires de la déc­la­ra­tion » dit Yasin Durak, et ajoute : « Des fonc­tion­naires ouverte­ment men­acés par le Rec­torat, qui agit man­i­feste­ment dans l’illégalité, refusent de pren­dre en compte mes deman­des. » [note: le “recteur” en Turquie est l’équiv­a­lent d’un prési­dent d’u­ni­ver­sité en France]. Durak souligne que plus de qua­tre mois après la déci­sion de resti­tu­tion à son poste, sa carte de per­son­nel ne lui est tou­jours pas remise et que toutes ses requêtes sont rejetées avec le motif suiv­ant : « Pas avant la fin des enquêtes vous con­cer­nant ». Comme retour à ses requêtes envoyées via BIMER [NdT : site Inter­net de com­mu­ni­ca­tion du gou­verne­ment], il déclare n’avoir reçu que des répons­es puériles comme « Votre carte de per­son­nel n’a pas été délivrée suite à une panne de la machine qui les fab­rique ». Il n’a par ailleurs pas reçu d’indemnités de trans­fert, ni d’autorisation de recherche en vue de ter­min­er ses recherch­es de ter­rain pour sa thèse, et n’a pas pu pren­dre son con­gé annuel. Yasin Durak a pré­cisé que Fat­ma Gül Eryıldız, académi­ci­enne sig­nataire de la déc­la­ra­tion [des “Uni­ver­si­taires pour la Paix], qui vient d’être rétablie à son poste à l’Université de Niğde, com­mence à subir le même traitement.

Une bigoterie organisée domine la bureaucratie !

Yasin Durak, auteur du livre Emeğin Tevekkülü (“Le Tra­vail dans les mains de Dieu”) trai­tant de l’islamisation des rela­tions de tra­vail en Turquie, était égale­ment le rédac­teur en chef du numéro con­sacré à la « Laïc­ité » du Jour­nal des Sci­ences Sociales Prak­sis. L’universitaire, con­nu pour ses écrits con­tre l’AKP et le con­ser­vatisme, déclare à ce sujet :

Ce que je vis n’est rien, com­paré à ce que vivent beau­coup de mes col­lègues. Tout uni­ver­si­taire qui a essayé de défendre les droits et lib­ertés en Turquie subit ce genre de traite­ments ridicules, même dans le passé. Nous sommes comme pris­on­niers d’une nou­velle d’Aziz Nesin [Ndt : écrivain satirique turc, aujourd’hui décédé], nous n’arrivons pas à en sortir.

Une big­o­terie organ­isée domine la bureau­cratie. Chaque gros bon­net qui met la main sur un tam­pon con­fond l’autorité avec le non-droit. Ils agis­sent avec la moti­va­tion ‘si tu n’es pas de notre côté, tu mérites tout ce qu’on te fait subir.’ La con­science publique a entière­ment dis­paru en Turquie. Dans un tel envi­ron­nement, les uni­ver­si­taires sig­nataires ont été, bon gré mal gré, sous les pro­jecteurs. Tous ceux qui veu­lent prou­ver leur dévo­tion au palais nous attaque­nt. Les direc­tions d’universités, sai­sis­sant l’opportunité de l’état d’urgence, sont en train de ren­voy­er des Uni­ver­si­taires pour la paix. En tant qu’universitaires exilés, licen­ciés, empris­on­nés, men­acés, fichés et oblig­és de s’occuper des injus­tices fraud­uleuses et var­iées, aucun d’entre nous ne cède, nous ne cèderons pas. Quoi qu’ils fassent, tant que nous sommes en vie et que nous pou­vons écrire, ils ne peu­vent pas nous arrêter ! 

Image à la une : Yasin Durak (photo KaosGL)

Traduction, par Sibel Özbudun, d’un article paru le 26 août 2016 dans le quotidien Birgün
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