Sibel, trans femme, n’est ni la pre­mière, ni la dernière vic­time d’une totale injus­tice. Elle est aujour­d’hui en prison. Son his­toire recoupe celle de nom­breuses trans femmes, et elle tra­verse les mêmes dif­fi­cultés et injus­tices aus­si bien dans sa vie, que dans son expéri­ence du juridique et du carcéral.

Cet arti­cle est la tra­duc­tion d’un extrait du livre Voltaçark, Etre LGBTI en prison de Rosi­da Koyun­cu, activiste LGBTI. Il était un des invitéEs du fes­ti­val récent de Douarnenez, entre autres. Dans son livre, il recueille les témoignages de 17 détenus LGBTI. Le livre est édité en turc et en kurde dans le même tome. Vous pou­vez le com­man­der en envoy­ant un mes­sage.

trans femme

Le témoignage de Sibel

Je m’appelle Sibel. Cela fait main­tenant 4 ans et demi que je suis à la prison de Mal­te­pe. Je suis d’Azerbaïdjan. N’ayant pas de famille, j’ai gran­di dans un orphe­li­nat. A 8 ans, j’ai été vio­lée. Tous les gens que j’ai croisé et qui ont saisi mon iden­tité sex­uelle ont voulu prof­iter de moi. Ceux qui ont vio­lé mon corps dès le petit âge, ont aus­si vio­lé mon âme. Je ne suis pas dev­enue une trans femme, parce que j’ai été vio­lée, j’ai été vio­lée parce que je suis une trans femme.

J’ai tra­vail­lé dans divers boulot. Mais à cause de mon iden­tité trans, je n’ai jamais pu trou­ver un tra­vail cor­rect. A la fin, comme la majorité des trans femmes, j’ai été entraînée vers la pros­ti­tu­tion, par oblig­a­tion. Je ne suis pas dev­enue trans femme pour me pros­tituer, j’ai été obligé de me pros­tituer parce que je suis une trans femme.

sibel trans femme prisonJe subis­sais sans cesse la vio­lence de la per­son­ne que je con­sid­érais comme mon petit ami. Un jour, il m’a encore vio­len­tée et il a pointé son arme sur moi. J’ai com­pris de ses yeux, qu’il allait me tuer. Si à cet instant, je n’avais pas attrapé l’arme de sa main, il allait me tuer. Quand j’ai pris son arme, il est devenu fou et il m’a attaquée. J’ai eu peur et j’ai tiré. Avec la déto­na­tion, j’ai été sous le choc et je ne savais pas quoi faire, j’étais dés­espérée. Il était touché en bas de son bassin. J’ai appelé une ambu­lance et la police, mais je ne pou­vais plus par­ler et depuis je suis dev­enue bègue. Sans sor­tir de l’état de choc, je me suis retrou­vée au com­mis­sari­at, devant le pro­cureur, au tri­bunal et en prison.

Le trau­ma­tisme de ce qui s’est passé, et la vie en prison en tant que trans femme, a mis en mille morceaux mon corps et mon esprit.

Après mon arresta­tion, celles et ceux que j’appelais amiEs, avaient déjà pil­lé ma mai­son, ven­du mes affaires et mis l’argent dans leur poche. Mon ordi­na­teur a été trans­porté au com­mis­sari­at de Gayret­te­pe, je ne sais tou­jours pas ce qu’il est devenu. J’ai envoyé plusieurs requêtes, mais je n’ai eu aucune nou­velle de mon ordinateur.

Un procès est ouvert à mon encon­tre, pour meurtre délibéré, port et util­i­sa­tion d’arme, et util­i­sa­tion de fausse pièce d’identité au nom de Burhan. Cette pièce d’identité m’avait été ven­due con­tre 5000 livres turques, par un client, con­tact d’Internet. Il m’avait dit qu’il tra­vail­lait au Nüfus Müdür­lüğü (Direc­tion de l’administration qui s’occupe des recense­ment et des reg­istres de la pop­u­la­tion). Mon iden­tité en Azer­baïd­jan est FH mais je ne le recon­nais pas, parce que je suis Sibel.

J’ai été mise en prison le 16 mai 2012. Sans sor­tir de l’état de trau­ma­tisme je me suis retrou­vée à la prison de Metris, et dans des prob­lèmes et dif­fi­cultés qui me sont tombés comme une avalanche. La prison de Metris était un véri­ta­ble enfer. Cette prison organ­isée pour les hommes, était un endroit où une trans femme ne peut sur­vivre. Les gar­di­ens se moquaient de moi, car je bégayais tou­jours. Quand les gar­di­ens ont voulu me fouiller, j’ai résisté et j’ai con­testé : « Vous ne pou­vez pas me fouiller, il faut que des gar­di­ennes vien­nent ». Je ne me suis pas lais­sée faire. Une fois inté­gré à la prison, ils m’ont mise dans une cel­lule où 4 trav­es­tis se trou­vaient déjà. J’ai passé qua­tre mois avec ces amis. Ensuite, pré­tex­tant le fait que je sois psy­chologique­ment per­tur­bée, ils m’ont jetée dans une cel­lule d’isolement. En effet, très per­tur­bée dans cette prison, j’ai fait plusieurs ten­ta­tives de sui­cide. Un fois, j’ai été sauvée de justesse avec une opéra­tion d’appendice. Je n’avais aucun vis­i­teur, ni aucune aide. Même pour le sham­poo­ing et le déter­gent, je men­di­ais auprès des détenus des cel­lules voisines. Ce qui est le plus dif­fi­cile pour une trans femme en prison, c’est d’être vue comme un matériel (objet) sex­uel. Les détenus des cel­lules voisines, me par­laient et m’aidaient, pour prof­iter de moi.

Après mes sup­pli­ca­tions, ils m’ont retirée de la cel­lule d’isolation et m’ont mise avec les gays. J’y suis restée 5 mois. Ensuite ils m’ont emmenée à la prison de Mal­te­pe. Par rap­port à Metris, c’est une prison beau­coup mieux. Les besoins des détenuEs LGBTI étaient pris en con­sid­éra­tion. Mon plus grand prob­lème à Metris, c’était de ne pas pou­voir m’exprimer. Je ne trou­vais pas d’administrateurs à qui me con­fi­er. Même si j’essayais, ils ne me com­pre­naient pas.

Cela fait 2 ans et demi que je suis en prison. Je vais être jugée pour meurtre délibéré, pour port d’arme et util­i­sa­tion de fausse pièce d’identité. Je n’ai tué per­son­ne délibéré­ment. Si c’était délibéré, je n’aurais pas tiré une balle, mais vidé le chargeur, j’aurais tiré sur sa tête ou sur son coeur. Si j’avais com­mis un meurtre exprès, je n’aurais pas appelé l’ambulance, ni la police. Si c’était délibéré, je ne serais pas dev­enue bègue. Les assas­sins des trans et trav­es­tis béné­fi­cient des réduc­tions de peine pour « avoir été incités » par leur vic­time, mais quand les vic­times se défend­ent, c’est con­sid­éré comme délibéré. J’ai tué, pour ne pas mourir.

Note de Rosida Koyuncu

rosida koyuncu Nous nous sommes ren­con­trés avec Sibel, par l’intermédiaire de l’association CISST (Ceza İnf­az Sis­te­minde Siv­il Toplum Derneği- Asso­ci­a­tion, Société civile dans le sys­tème d’exécution des peines). Dans nos cor­re­spon­dances écrites nous avons par­lé de notre travaux sur ce livre et nous avons con­tin­ué nos échanges épistolaires.

Dans ses let­tres,  elle nous par­lait de ce mal­heureux événe­ment qu’elle a tra­ver­sé, de la vie à l’intérieur de la prison, de ses dif­fi­cultés finan­cières, de ses deman­des d’aides pour des pro­duits basiques auprès d’autres détenus… Elle nous racon­tait que son « ami gay » Ersen, lui appre­nait l’anglais, qu’il jouait très bien de la gui­tare et nous fai­sait entrevoir qu’elle por­tait tou­jours et mal­gré tout un bon­heur enfan­tin en elle.

Elle se plaig­nait du fait qu’elle soit « ressor­tis­sant azer­baïd­janais » que ses droits étaient bafoués, et que le Con­sulat d’Azaibaïdjan ne s’occupait pour­tant pas d’elle.

Quand j’ai par­ticipé à son audi­ence à Çağlayan, l’avocat com­mis d’office par le Bar­reau, était comme d’habitude « excusé » et absent. Sibel s’est défendue face à l’acte d’ac­cu­sa­tion, toute seule dans une audi­ence sans avo­cat : « Je suis accusée de tuer délibéré­ment. Je n’ai tué per­son­ne délibéré­ment. Je n’accepte pas cette accu­sa­tion. Si je l’avais tué délibéré­ment, j’aurais tiré sur sa tête ou sur son coeur et je n’aurais pas appelé l’ambulance ni la police. J’ai été oblig­ée de me défendre pour sauver ma vie. En ce qui con­cerne la pièce d’identité, j’ai été dupée, je n’ai pas pro­duit un faux doc­u­ment. Après l’événement j’étais sous état de choc et depuis je suis bègue. »

La mère, le frère et les avo­cats du défunt étaient présent à l’audience. Des femmes “social­istes” qui étaient venues au palais de jus­tice pour suiv­re un autre procès, ont égale­ment par­ticipé à l’audience de Sibel par sol­i­dar­ité et pour obser­va­tion. Sur les paroles Münevver, qui fai­sait par­tie de ce groupe de femmes, « Sibel, tu n’es pas seule ! », le Prési­dent du tri­bunal s’est mis en colère : « Appelez moi cette femme aux cheveux blancs ! Qui est-elle ? ». Ensuite, en dehors de la salle d’audience, la mère du défunt, nous a insulté et qual­i­fié Münevver de « trainée » et nous a attaqué physique­ment. Leurs avo­cats et le frère se sont joint à la vio­lence. L’attaque a été arrêtée par l’intervention de la sécu­rité et la famille a été éloignée.

En Turquie, chaque jour, des trans femmes sont assas­s­inés avec haine. Les assas­sins béné­fi­cient des réduc­tion pour « inci­ta­tion » et écopent de peines allégées. Mais dès lors qu’une trans femme se trou­ve oblig­ée de tuer pour se défendre, les tri­bunaux, devant ces meurtres d’autodéfense adoptent une approche dif­férente que lors des procès des assas­sins de trans. Le fait que l’avocat de Sibel, qui est jugée avec une demande de peine de prison alour­die en per­pé­tu­ité, ne soit présent que sur le papi­er et non dans les audi­ences, et laisse Sibel sans défense judi­ci­aire, témoigne du dys­fonc­tion­nement de la Jus­tice. Par ailleurs, l’intolérance du Prési­dent du tri­bunal à une phrase de sou­tien telle que « Sibel, tu n’es pas seule » expose le sex­isme des insti­tu­tions de jus­tice. Le fait que, mal­gré la rec­ti­fi­ca­tion apportée au réquisi­toire, le terme « kas­ten adam öldürme » (tra­duc­tion lit­térale : « tuer délibéré­ment un homme », terme juridique util­isé quel que soit le genre de la vic­time), démon­tre claire­ment la mas­culin­ité du Judi­ci­aire. Car, pour le Droit, tuer un « homme » est le crime le plus lourd.

Parce qu’elle était esseulée et sans défense, Sibel a écopé de  30 ans et 8 mois de prison. L’ouverture de son dossier devant la cour Suprême, est estimée à un an. Je ne suis pas juriste, mais je peux affirmer en tant que témoin de son audi­ence, que j’ai ressen­ti très fort l’injustice dans ce procès. Il y avait égale­ment des vices de forme dans le cours de la procé­dure. Par exem­ple, dans mes pro­pres audi­ences le Prési­dent du Tri­bunal, m’avait infor­mé : « Une défense sans avo­cat n’a pas de valeur juridique. Il faut faire une défense dans une audi­ence où l’avocat est présent ». Pourquoi alors, la défense de Sibel est prise en con­sid­éra­tion dans une audi­ence où l’avocat était absent ? Est-ce légal ? Les procé­dures juridiques sont uni­verselles. Il est évi­dent que ce n’était pas un procès équitable et juste. J’espère que la Cour Suprême déclar­era ce procès caduc et en ouvri­ra un autre.

Com­plé­ment apporté par Rosi­da à cet arti­cle, le 9 septembre :

Hier, je suis allé voir Sibel à la prison. Nous avons longue­ment dis­cuté. Je con­nais­sais son his­toire, mais comme elle est encore trau­ma­tisée, et qu’elle se livre dif­fi­cile­ment, elle m’a appris de nou­velles choses. Je tiens à trans­met­tre ces infor­ma­tions qui ont une impor­tance capitale.

Sibel m’a par­lé de son corps. J’ai réal­isé donc, qu’elle est née inter­sex­uée. Elle même ne con­nais­sait pas ce qu’est une per­son­ne inter­sexe et se déclarait jusqu’alors, comme « trans femme ».

Je cher­chais un motif pour son aban­don par sa famille. Avec cette pré­ci­sion, j’ai com­pris pourquoi elle s’était trou­vée dès son petit âge dans un orphe­li­nat. Sa famille l’avait aban­don­née juste­ment, parce qu’elle était intersexe.

Sibel, m’a expliqué qu’après avoir été vio­lée à 8 ans, dans l’orphelinat, elle a été « par­rainée » par une femme qui l’a emmenée en Turquie quand elle avait 10 ans. Elle a dit qu’elle « s’est détachée » de cette femme quelques années plus tard, et qu’elle a com­mencé à vivre dans la rue. Vous con­nais­sez la suite inévitable, la pros­ti­tu­tion, solu­tion de survie. Ensuite, vio­lences en couple…

La nation­al­ité de Sibel est très floue. Elle n’a pas la nation­al­ité turque. Pen­dant son juge­ment, le con­sulat d’Azerbaïdjan a déclaré qu’elle serait de nation­al­ité azer­baïd­janaise, en four­nissant un doc­u­ment dou­teux, et avec une iden­tité mas­cu­line. Mais, quand elle essaye de faire des démarch­es auprès des autorités azer­baïd­janais­es, on lui dit orale­ment, qu’elle n’est pas azer­baïd­janaise. Elle devrait pou­voir deman­der un statut d’apatride, pour pou­voir sol­liciter la nation­al­ité turque.

Seule­ment, un seul avo­cat lui est attribué, il ne peut qu’intervenir lors de ses procès (de plus, il était absent dernièrement).
— Elle n’a pas d’avocat pour porter plainte sur le fait qu’elle soit tenue dans une cel­lule d’isolement.
— Elle n’a pas d’avocat pour la soutenir pour clar­i­fi­er son prob­lème de nationalité.
— Elle souhaite une opéra­tion de réassig­na­tion, mais comme elle ne pos­sède pas la nation­al­ité turque, l’opération ne serait pas prise en charge par les ser­vices de santé.
— Elle veut entamer une procé­dure pour chang­er de nom et d’identité, mais sans résoudre son prob­lème de nation­al­ité elle ne sait pas à quel pays s’adresser.

Et pour couron­ner le tout, bien que les doc­u­ments médi­caux qu’elle pos­sède con­fir­ment son inter­sex­u­a­tion et qu’elle se qual­i­fie de « trans femme », elle est détenue dans une prison pour hommes !

Nous cher­chons de toutes nos forces, des per­son­nes motivées et des juristes pour l’aider sur place, voire en inter­na­tion­al. N’hésitez pas à pren­dre con­tact avec nous via notre page de sou­tien sur Facebook.

Hier, avant de quit­ter le par­loir, Sibel m’a dit : « Même à ma nais­sance je n’ai pas eu de la chance. Pourquoi j’ai un des­tin comme ça ? ».

Je me suis tu.


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Trans Kadın Sibel İle dayanış­ma İnsiyatifi
(L’initiative de sol­i­dar­ité avec Sibel, trans femme) 

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Rosida Koyuncu
Auteure
Activiste LGBTIQ+, jour­nal­iste et cinéaste, en exil à Genève. LGBTIQ+ aktivist, gazete­ci ve sinemacı. Cenevre’de sürgünde bulunuyor.