Deux dates sup­plé­men­taires fig­urent désor­mais au pan­théon de la Turquie, le 15 juil­let et le 7 août 2016.
Entre ces deux dates, le coup d’é­tat civ­il d’Er­do­gan aura pro­gressé à pas de géant.

En com­plé­ment des tra­duc­tions des dis­cours, de la descrip­tion factuelle du meet­ing de Yenikapı, ten­ter à chaud quelque analyse est indis­pens­able. Sans réflex­ion, com­ment entrevoir la pos­si­ble résis­tance à ce rouleau com­presseur.  Ne revenons pas sur le putsch man­qué, pre­mière pile de l’arche, et intéres­sons nous à la dernière.

La forme même de ce rassem­ble­ment, les rap­pels inces­sants de ses par­tic­i­pants ora­teurs, voy­ageant tous entre 1920 et 2023, forme un pont pour accueil­lir le tri­om­phe d’Erdogan.

Entre la présence de janis­saires sur scène, celle de la fig­ure emblé­ma­tique du père de la République, celle d’un offici­er de haut rang, et les retours en arrière vers l’évo­ca­tion de la “guerre d’indépen­dance”, il y avait bien une mise en scène poli­tique à usage du “petit peu­ple” et d’élites désor­mais “alliées”. Des réminis­cences de l’empire ottoman à l’évo­ca­tion de la Turquie nou­velle, celle des grands chantiers, du ray­on­nement mon­di­al de la “civil­i­sa­tion turque”, s’est con­stru­it là un réc­it pop­u­laire, dont la nou­velle fig­ure tutélaire est Erdo­gan en personne.

Le déco­rum même du meet­ing, entre moder­nité et per­ma­nence des emblèmes de la Nation “éter­nelle”, le tout sous le regard de “Dieu”, forge une con­ti­nu­ité avec le Palais, tout en déroulant aujour­d’hui ouverte­ment les alliances entre pou­voir, reli­gion, et acca­pare­ment des ori­peaux répub­li­cains au ser­vice d’une démoc­ra­ture. Ajoutez par là dessus, le poi­son d’une unité nation­al­iste, et les grandes lignes pour demain et après demain sont tracées.

Voilà pour le roman pop­u­laire qui a été servi dimanche. Le dra­peau appar­tient à tout le monde, la Nation/peuple est rede­v­enue sou­veraine, mais le Dieu qui décide est son berg­er, et en l’oc­curence le César de la tri­bune qui par­la le dernier.

Pour con­solid­er le tabli­er du pont, les dirigeants de par­tis, dont le CHP, classé comme par­ti  d’op­po­si­tion, prê­tent leurs dos à l’édifice.

Le coup d’é­tat civ­il a trou­vé une étape essen­tielle ce 7 août.

De fait, si rien n’a changé dans les pro­jets d’Er­do­gan et de l’AKP, déjà engagés bien avant juil­let, et depuis plus d’une décen­nie, le paysage poli­tique lui, se trou­ve éclair­ci. Toute oppo­si­tion à la marche en avant vers la Turquie nou­velle, désor­mais se retrou­vera “anti nationale” et “ter­ror­iste”, devant le “peu­ple sou­verain”, l’E­tat, ses forces de coerci­tion rassem­blées entre les mains du Prési­dent. Devenir un traître et un enne­mi de l’in­térieur à la sol­de de l’é­tranger sera facile­ment repérable. Cela ne pour­ra être qu’en dehors de “l’u­nion nationale” et du “mou­ve­ment de l’his­toire de la Turquie”, main­tenant que la fig­ure de Gülen a servi d’exutoire.

Réfléchissons sur le sort futur de ces mineurs, ces ouvri­ers de l’au­to­mo­bile ou du tex­tile, qui demain voudront partager les fruits de la “Turquie nou­velle”. Après une telle démon­stra­tion, et la présence de leurs direc­tions bureau­cra­tiques d’op­po­si­tion dans ce foutoir nation­al (Tak­sim, le Char­lie du 24 juil­let), nous pou­vons penser que les “reven­di­ca­tions” vont atten­dre. Il sera égale­ment intéres­sant d’ob­serv­er com­ment les pop­u­la­tions pour­ront con­tin­uer à défendre leur envi­ron­nement attaqué par les chantiers de la “moder­nité”, main­tenant que les écol­o­gistes eux mêmes ont fait les girou­ettes au lende­main du coup d’é­tat manqué.

Ecou­tons avec atten­tion les men­aces non voilées proférées par Erdo­gan, à l’en­con­tre des ter­ror­istes “présents et à venir”, le PKK étant nom­mé­ment cité et placé sur un pied d’é­gal­ité avec les gülenistes de l’é­tranger et Daech… Le com­bat social et la ques­tion de toutes les minorités du pays ne devra pas se réclamer de ces anti unité nation­al­iste là, où sera sous le coup du “net­toy­age”… avec la béné­dic­tion des “démoc­rates”.

C’est donc bien cela qui a changé. La capit­u­la­tion poli­tique totale de ces représen­tants de l’ex laïc­ité, de la république juste, de la défense de l’é­gal­ité. Bref, la mise à jour d’une supercherie de “cen­tre gauche”, comme on nous l’an­nonce encore sur le cat­a­logue des fronts.

Ce 7 août est un recul his­torique pour les mou­ve­ments soci­aux et les forces poli­tiques qui s’op­posent à la démoc­ra­ture. Le “front pop­u­laire” qui vient de se créer est celui de la résig­na­tion et de l’ac­cep­ta­tion du César, du Dieu et de son tribun.

Tout cela n’au­rait pu se faire sans bain de sang, si der­rière ce mou­ve­ment là, qui con­forte Erdo­gan, pour­tant en dif­fi­cultés inter­na­tionales il y a quelques mois encore, et en prise avec des suc­cès économiques en berne, si der­rière ce mou­ve­ment, les grands secteurs économiques et financiers n’ac­com­pa­g­naient pas le processus.

Erdo­gan n’a pas abor­dé de front ces ques­tions. Il sait qu’il doit garder la con­fi­ance de la finance, et con­trôler la cor­rup­tion. Avoir dans sa manche la carte des libéraux soci­aux du CHP ne lui suf­fi­ra pas. Avoir passé ce cap sans être lui même con­traint d’en­gager le coup de force, et avoir prof­ité du putsch man­qué lui aura servi aus­si à con­tenter les milieux d’af­faires qui ont besoin de calme et d’or­dre. Ceux là même l’avaient con­traint à respecter les “formes” par­lemen­taires et les proces­sus élec­toraux. Peut être devra-t-il aller au delà dans son sâcre, et chang­er la con­sti­tu­tion par référen­dum plébiscite, pour faire boire le cal­ice jusqu’à la lie à sa pseu­do opposition.

Dans le bal­let diplo­ma­tique, c’est aus­si avec der­rière lui cette liesse pop­u­laire et cette union nationale, qu’il se ren­dra à Moscou, et prob­a­ble­ment deman­dera à revoir la copie des tri­pa­touil­lages en Syrie. Le Roja­va sera dans la bal­ance, une fois de plus.

Alors, dans tout cela, les ater­moiements alle­mands sur le trop grand nom­bre d’I­mams turcs et les men­aces de ne pas céder sur les visas sont petite mon­naie. Le chan­tage à l’UE sur les réfugiés se trou­ve ren­for­cé, et le dis­cours sur la peine de mort mon­tre bien que “l’in­té­gra­tion européenne” n’est pas le souci de l’heure.

C’est à peu près ce qu’on peut tir­er à chaud de ces événe­ments du 7 août.

Et pour ne pas ter­min­er sur une note aus­si pes­simiste, on peut dire que l’avenir d’une Turquie démoc­ra­tique ne repose plus désor­mais que sur les quelques mil­lions de Turcs et de Kur­des qui ont déjà com­pris, ou com­pren­dront demain, que ce pays est dirigé par une démoc­ra­ture qui mène des peu­ples à l’abîme, à la guerre pos­si­ble­ment et à un désas­tre social, pour le tri­om­phe de son Sul­tan et d’une économie cap­i­tal­iste sauvage, destruc­trice de vies, de cul­tures et d’en­vi­ron­nement humain.

Nous avions envie nous, de faire le pont avec la réal­ité crue sous la page d’histoire.


Dossier spé­cial : 7 août 2016

Ce dossier nous a semblé nécessaire pour à la fois avoir les éléments factuels et des supports d’analyses, et donner nos parti pris, qui ne sont que les nôtres, afin d’amorcer un débat. En effet, tant dans la diaspora kurde et turque en Europe ou ailleurs que dans les gauches européennes et le mouvement libertaire dont nous sommes proches, ce débat internationaliste est indispensable, puisqu’il rejoint tous les autres sur l’avenir des luttes et la défense des utopies qui nous feront avancer.

Chapitres 

Annex­es

et bien d’autres…
Notam­ment sur Susam Sokak pour ses analy­ses, le blog d’Etienne Copeaux….
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