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Un article du Monde diplomatique de ce mois de juillet revient sur les relations épistolaires entre Öcalan, le leader emprisonné du PKK, et un penseur anarchiste américain, Murray Bookchin.
Nous leur emboîtons le pas, considérant que la description d’un dialogue entre un leader politique issu du marxisme léninisme et un penseur et activiste libertaire, à l’origine de la colonne vertébrale du programme politique actuel du PKK, rien de moins, manquait dans les archives du site.
En 2004, Abdullah Öcalan, par l’intermédiaire de ses avocats, qui était alors encore autorisés à le rencontrer, demande à prendre contact avec Bookchin. Öcalan lui envoie un manuscrit et lui fait savoir qu’il se considère comme son “disciple” et qu’il réfléchit sur les idées de l’écologie sociale appliquées au Moyen-Orient. Cette possibilité de dialogue fut écourtée du fait de l’âge de Bookchin, qui, à quatre-vingt-trois ans, ne pouvait plus réaliser l’effort et le travail qu’aurait impliqué de maintenir ce contact dans la durée. Elle fut cependant fructueuse et aboutit aux bases du “confédéralisme démocratique”, aujourd’hui en processus au Rojava. Bookchin envoya aussi ce message au Peuple kurde : « Mon espoir est que le peuple kurde soit en mesure d’établir un jour une société libre et rationnelle qui permette à son éclat de briller à nouveau. Vous avez la chance d’avoir un chef du talent de monsieur Öcalan pour vous guider. »
Venant de la bouche d’un libertaire tel que Murray Bookchin, cela pourrait étonner celles et ceux qui en resteraient à l’image du PKK véhiculée en Europe. En effet, le classement de ce parti de combattant(e)s sur les listes officielles internationales des “organisations terroristes”, lié à son passé marxiste léniniste “orthodoxe”, associé ici très souvent à la mouvance ex-stalinienne, et les relations jusqu’ici étroites de la diaspora kurde avec les partis bureaucratiques traditionnels de la Gauche, ne facilitent rien. Ajoutez à cela ce qui est perçu bien souvent comme un culte de la personnalité envers Öcalan, au vu des portraits et des calicots brandis, et vous avez le cokctail parfait pour ne pas porter l’intérêt qu’il mérite à ces questions de fond.
On ne peut pas dire non plus que “la gauche de la gauche”, et même beaucoup de courants dits anarchistes, aient aidé à faire connaître ses évolutions politiques, et surtout leur origine.
En 2006, lorsque Murray Bookchin décède, l’assemblée du PKK s’est référée à lui comme « l’un des plus grands spécialistes des sciences sociales du XXe siècle. Il nous a introduit à la pensée de l’écologie sociale et a contribué au développement de la théorie socialiste afin d’aller de l’avant sur une base plus solide. Il montré comment faire d’un nouveau système démocratique une réalité. Il a proposé le concept de Confédéralisme, un modèle que nous pensons créatif et réalisable. Les thèses de Bookchin sur l’État, le pouvoir et la hiérarchie seront mises en œuvre et réalisées dans notre lutte… Nous mettrons cette promesse en pratique comme la première société qui établit un Confédéralisme démocratique tangible. »
Pour qui s’intéresse aux processus politiques en cours au Rojava, et soutient le combat des Kurdes, tant en Syrie qu’en Turquie, passer le pas des approximations politiques à l’encontre du principal parti combattant historique kurde, considérer qu’il s’est ouvert à des idées et pratiques, des utopies constructives qui n’étaient à l’origine pas les siennes, permet de mesurer les évolutions et le chemin parcouru au fil des luttes et échecs auxquels il a été confronté. Mesurer également la fracture existante entre ce projet politique kurde en Syrie, celui porté par le HDP en Turquie et celui d’un Barzani en Irak, permet de compléter une approche.
Cela permet surtout de sortir de ce slogan plaqué par la gauche européenne en permanence sur la lutte du Peuple kurde, tiré de la trilogie Peuple/Etat/Nation, à savoir la reconstitution d’un “Kurdistan réunifié, indépendant et national (au sens ethnique)”… c’est à dire la quasi antithèse du “confédéralisme démocratique”.
Nous n’avons jamais dit que cette thèse n’existait plus dans le mouvement kurde, et notamment dans sa diaspora en europe, influencée par des partis parlementaristes et nationaux. Nous savons qu’elle est tenace, et transmise par ignorance volontaire ou non, à l’écart des évolutions majeures de la pensée politique au sein des mouvements activistes kurdes de cette dernière décennie.
Ce premier article vous permettra de vous familiariser avec Murray Bookchin, et sera centré sur lui, la découverte d’extraits, et du personnage politique :
Compilation de textes de Murray Bookchin
Pour télécharger le pdf cliquez ICI
C’est un livret gratuit, prêt à imprimer ou partager. Faites-le sans pitié !
Un certain nombre de sites et publications m’ont aidé à rédiger ces quelques notes d’un premier billet sur Murray Bookchin.
- Un article de 2013, sur un site libertaire, glané parmi d’autres sur le net.
- Un “entretien” avec celle qui fut sa compagne, Janet Biehl.
- Des extraits de “From Urbanization to Cities” (Londres, Cassell, 1995). Traduit par Jean Vogel pour la revue Articulations. (Municipalisme libertaire)
Je vous ferai une bibliographie, promis. Mais si vous êtes pressés, vous en avez une ICI.
Et pour vous familiariser avec l’humanité du personnage, cette vidéo en plusieurs parties, d’une intervention de l’année 1985. Vous y découvrirez l’énergie militante et la force de conviction d’un penseur que l’on a manqué pour beaucoup d’entre nous, et ce qui nous manquera désormais :
Et bien sûr, je ne pouvais pas terminer ce premier article, sans lancer un appel et relayer celui du mouvement kurde, pour obtenir des nouvelles d’Öcalan, maintenu au secret depuis des mois, et pour qui on peut légitimement avoir des inquiétudes, dans ce chaos d’après coup d’Etat en Turquie.