Voilà ce que ma soeur a enten­du, qui sor­tait de la bouche du livreur d’eau, l’autre matin. Sur ce coup là, il est repar­ti sans pourboire.

Je con­nais bien ma soeur, elle a du se charg­er de lui remet­tre les idées en place, au jeunot. Parait qu’il a essayé de se jus­ti­fi­er en dis­ant « j’dis ça parce que tout le monde en met ».

Mais c’est vrai, dans le quarti­er, les chif­fons aux fenêtres se font rares. ça me ras­sur­erait plutôt.

En effet, depuis le coup d’Etat raté, les maisons s’écroulent sous des dra­peaux. Avant c’était les kémal­istes et les défenseurs de la laïc­ité qui s’exprimaient par dra­peau accrochés, une protes­ta­tion paci­fiste qui annonçait la couleur, face aux agisse­ments du régime. Des grands dra­peaux s’élevaient dans les quartiers opposants. Depuis deux ans l’AKP a acca­paré le sym­bole. Depuis une semaine, il y en a jusque dans les toi­lettes des dames.

Pour­tant, j’aime le dra­peau turc. Tout ce que j’aime est dessus. La lune bien sûr, l’é­toile, et mon rouge préféré. Mais là, franche­ment, j’en vomis.

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Les petits vendeurs, dans les rues com­merçantes, ont arrêté les paque­ts de mou­choirs en papi­er pour te four­guer du nation­al dans le creux de la main, en te regar­dant de tra­vers si tu ne le prends pas. Je crois que les touristes vont s’imag­in­er que c’est fête nationale, s’il n’ont pas encore vu les blind­és de police aux coins des rues.

Comme tout le monde, le coup d’é­tat m’a flan­qué un peu la trouille. A mon âge, aujour­d’hui ou demain, quelle impor­tance, mais quand même pas un jour de putsch !

Erdo­gan a dit qu’il puni­rait les coupables. Mais j’ai vu qu’il ne s’est pas con­tenté de leur tir­er les oreilles, il leur a car­ré­ment fait couper à cer­tains, j’ai vu une pho­to pass­er. Du coup, entre les casqués et les bar­bus, faut pas me deman­der de choisir. Je tiens aux miennes.

Du dra­peau, du dra­peau, je vous dis. On ne sait plus qui est dessous. Qu’ils essayent de m’en met­tre un sur le bal­con, ils ver­ront bien ce que j’en ferai !

Je n’ai pas recon­nu ma ville à la télé. Je deviens comme une étrangère. C’est com­pliqué comme sen­sa­tion. Ne plus recon­naître son pays, et vom­ir son dra­peau. Je ne pen­sais pas vivre ça à mon âge. Je ne pen­sais pas surtout que tant de monde si étranger à « ma » Turquie pour­rait crier et prier dans la rue, tant de jours après le coup d’état.

drapeaux immeubleDes coups mil­i­taires, j’en ai con­nu… On croy­ait que ça nous débar­ras­sait des uns, et c’é­tait pire der­rière. Et il fal­lait tout recom­mencer. Celui là avait un goût de dernière car­touche… comme un pétard mouil­lé. Mais der­rière, c’est le grand ménage. Cha­cun peut se deman­der quand « ils » vien­dront frap­per à la porte et deman­der « il est où votre dra­peau ? ». Il y aura peut être bien­tôt une taille régle­men­taire, faut que je me renseigne.

Pour être un peu plus sérieuse, je dois dire que j’ai vécu ces journées col­lée à la télévi­sion au début. Mais du Erdo­gan au déje­uner, je m’en suis lassée, comme du drapeau.

Je me suis sen­tie com­plète­ment impuis­sante, comme je dis­ais, étrangère à ce pays là.

J’ai vu dimanche qu’il y avait un autre rassem­ble­ment que celui des bar­bus et des têtes d’am­poule de l’AKP.… avec des dra­peaux. Heureuse­ment qu’ils l’ont fait dimanche dernier, parce que bien­tôt ils se seraient réu­nis devant la caserne recon­stru­ite à Gezi, nos union­istes nationaux.

Mais je me dis en écoutant les chiffres qu’ils s’ha­bil­lent avec le chif­fon pour paraître plus nom­breux. Cela me ras­sure. Quand les jeunes man­i­fes­taient pour Gezi, et que je jouais de la casse­role, j’ai eu l’im­pres­sion qu’ils étaient plus nom­breux à ce moment là. Mais ils sont passés où depuis ? En tous cas, j’ai gardé la casserole…

Bon, il fait chaud, et si je peux me pass­er du dra­peau, je ne veux pas man­quer d’eau. Va fal­loir qu’on se trou­ve un autre livreur, ma soeur et moi. Et ça va pas être facile…

Image à la une : Le dra­peau géant fait par la munic­i­pal­ité de Mersin, sur les monts Tau­rus. 5 tonnes de pein­ture sur 4.532 m² de surface.


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Mamie Eyan
Chroniqueuse
Ten­dress­es, coups de gueule et révolte ! Bil­lets d’humeur…