A cette heure, same­di 16 juil­let, passées les infor­ma­tions factuelles et les témoignages à chaud sur le coup d’E­tat d’une par­tie de l’ar­mée en Turquie, un recul s’im­pose déjà.

Il fut une péri­ode en Turquie, où beau­coup prédi­s­aient et espéraient des « coups d’é­tat », à chaque pas sup­plé­men­taires fran­chis dans la mon­tée au pou­voir d’Er­do­gan et de l’AKP. C’é­tait au temps où les dra­peaux turcs géants étaient instal­lés sur les rives du Bospho­re par les « opposants », en guise de « protes­ta­tion répub­li­caine ». Depuis, les dra­peaux sont agités dans les meet­ings à la gloire d’Erdogan.

Puis vint, lors des négo­ci­a­tions en cours avec l’UE, le temps où celle-ci exigea des change­ments con­sti­tu­tion­nels, que s’empressèrent alors d’exé­cuter le « parte­naire turc », déjà bien sous con­trôle d’une AKP en pleine ascen­sion. Exit l’ar­mée et son pou­voir qua­si au dessus des insti­tu­tions, son omnipo­tence, et ses droits de veto. La « nor­mal­i­sa­tion était en route », sous la houlette européenne, et les investisse­ments correspondants.

Exit aus­si les « enquêtes » sur son rôle dans les années 1990, qui se mirent à traîn­er en longueur. Il y eut même ensuite une « purge » à l’E­tat Major, et une infil­tra­tion par la secte Gülen, là aussi.

Rap­pelons qu’a­vant ces « change­ments », tout offici­er se devait d’être « non religieux ».

La fidél­ité au kémal­isme et au nation­al­isme turc est un pili­er de l’ar­mée. Mais elle fut ébréchée forte­ment par cette mise à l’é­cart, dans la fin de la pre­mière décen­nie des années 2000. Pour autant Erdo­gan n’a pu l’éradi­quer totale­ment, tant il a eu besoin d’al­liances avec les ultra nation­al­istes. Il n’a jamais pu achev­er sa « nuit des longs couteaux ».

La reprise de la guerre con­tre les pop­u­la­tions kur­des ne pou­vait non plus lui laiss­er un répit pour ce faire, même si il s’est large­ment appuyé sur des mil­ices sup­plé­tives, la police et la gen­darmerie, ou le MIT, tou­jours cité dans les mau­vais coups.

Ceci explique en par­tie ce que per­son­ne ne croy­ait plus, la capac­ité d’une par­tie de l’ar­mée à repren­dre et revendi­quer ses prérog­a­tives et son « idéolo­gie », allant même jusqu’au coup d’Etat.

Mais ceci doit aus­si pos­er claire­ment les limites…

Cette armée n’a rien d’une « oppo­si­tion démocratique ».

Pour par­venir à réu­nir des forces suff­isantes, elle a du puis­er aus­si dans son aile ultra nation­al­iste, n’en dou­tons pas.

A cette heure, il est impos­si­ble, dans la con­fu­sion et la cen­sure de l’in­for­ma­tion, d’aller plus loin que les témoignages par télé­phone, vidéos, les déc­la­ra­tions contradictoires.

L’ap­pel d’Er­do­gan au « Peu­ple Turc » à s’op­pos­er au coup d’E­tat et descen­dre dans la rue est enten­du. Il a déjà provo­qué des con­flits vio­lents et des heurts entre police et frac­tions armées, autour de points névral­giques. La stu­peur passée, on peut s’at­ten­dre à une con­tre offen­sive de l’AKP, voire de frac­tions opposées de l’ar­mée. Les sou­tiens diplo­ma­tiques qui com­men­cent à lui être adressés sem­blent indi­quer un tou­jours pos­si­ble retour en arrière.

Mais ce qu’il faut garder en tête, même si une « chute » du pou­voir Erdo­gan réjouirait beau­coup de monde, c’est que cette armée n’a d’in­ten­tions « démoc­ra­tiques » qu’en rêve… Les ter­mes du com­mu­niqué lus hier soir sur la chaîne publique traduisent des inten­tions qui ne trompent pas.

[vsw id=“Tqx-lFS_xK8” source=“youtube” width=“640” height=“344” autoplay=“no”]

Tra­duc­tion :

La lec­ture de ce com­mu­niqué est faite sur demande et ordre des forces armées turques.

Aux citoyens de la République turque,

Les vio­la­tions de la Con­sti­tu­tion et des lois, sont dev­enues une men­ace impor­tante du point de vue de la nature de l’Etat et de l’existence de ses insti­tu­tions fon­da­men­tales. Toutes les insti­tu­tions de l’Etat, y com­pris les forces armées, ont com­mencé a être restruc­turées et par con­séquent elles sont mis­es en sit­u­a­tion de ne pas pou­voir rem­plir leur devoir. Les droits et lib­ertés sont bafoués par le Prési­dent de la République et les autorités gou­verne­men­tales qui com­met­tent nég­li­gences, tromperies et même trahisons: l’ordre démoc­ra­tique et laïc basé sur la sépa­ra­tion des pou­voirs est de fait détruit.

Notre Etat a per­du la répu­ta­tion qu’il mérite dans le con­texte inter­na­tion­al, et la Turquie a été trans­for­mée en un pays dirigé par une auto­cratie qui s’ap­puie sur la peur, et où les droits humains uni­versels et fon­da­men­taux sont niés.

En rai­son des déci­sions erronées pris­es par l’administration poli­tique, le ter­ror­isme [c.à.d. la rébel­lion kurde] s’est aggravé et de nom­breux citoyens inno­cents et mem­bres des forces de sécu­rité chargés de le com­bat­tre ont per­du la vie..

La cor­rup­tion et le vol dans la bureau­cratie ont pris des pro­por­tions sérieuses et le sys­tème judi­ci­aire qui doit lut­ter con­tre ces irrégu­lar­ités n’est plus en état de fonc­tion­ner. Dans ce con­texte et dans de telles cir­con­stances, les forces armées turques, gar­di­ennes de notre République bâtie par la nation, grâce à des sac­ri­fices extra­or­di­naires, sous la direc­tion du Grand Atatürk, et guidée jusqu’à présent par le principe « Paix dans le pays, paix au monde », ont pris le pou­voir pour main­tenir l’unité indi­vis­i­ble de la patrie; pour assur­er la survie de l’Etat et de la Nation ; pour élim­in­er les dif­fi­cultés devant lesquelles notre République se trou­ve; pour sup­primer les entrav­es à l’Etat de Droit, pour empêch­er la cor­rup­tion menaçant la sécu­rité nationale; pour ouvrir la voie à la lutte intense con­tre la ter­reur et toute sorte de ter­ror­isme; pour restau­r­er les droits humains uni­versels et fon­da­men­taux, pour tous nos citoyens, sans dis­tinc­tion de reli­gion ou d’eth­nic­ité, pour restau­r­er l’ordre con­sti­tu­tion­nel basé sur le principe de l’Etat laïc, démoc­ra­tique et social, afin de retrou­ver la répu­ta­tion inter­na­tionale mise à mal de notre Etat et de notre Nation, afin d’in­stau­r­er de meilleures rela­tions et coopéra­tions pour le rétab­lisse­ment de la paix, la sérénité et sta­bil­ité dans l’environnement international.

La direc­tion du pays sera effec­tuée par le con­seil « Paix au pays ». Le con­seil « Paix au pays » a pris toutes les pré­cau­tions pour tenir les engage­ments avec l’ONU, l’OTAN et toutes les insti­tu­tions inter­na­tionales. Le pou­voir poli­tique qui a per­du sa légitim­ité est retiré de ses fonc­tions. Il sera fait en sorte que toutes les per­son­nes et organ­i­sa­tions ayant trahi la patrie, ren­dent dans les plus bref délais des comptes devant des tri­bunaux habil­ités à décider au nom de la Nation dans la jus­tice et l’équité. Dans tout le pays, le cou­vre-feu est insti­tué jusqu’à nou­v­el ordre. Il est impor­tant que nos citoyens respectent cet inter­dit, pour leur pro­pre sécu­rité. Con­cer­nant les sor­ties du pays, des mesures sup­plé­men­taires sont mis­es en place dans les aéro­ports, postes frontal­iers et ports.

Voilà donc ce qu’é­tait l’é­tat d’e­sprit des mil­i­taires en ce début de coup d’E­tat, tou­jours en cours.

Depuis, des affron­te­ments spo­radiques ont eu lieu, et cha­cun y est allé de sa vidéo où l’on voit qui, des mil­i­taires se ren­dre, qui, des mil­i­taires bom­barder… La sit­u­a­tion sem­ble se ren­vers­er, les députés ultra nation­al­istes ayant lâché les mil­i­taires, et même les dirigeants poli­tiques du prin­ci­pal par­ti kémaliste.

Une sit­u­a­tion à l’é­gyp­ti­enne, où des forces sociales ont un instant crû à une armée sal­va­trice, pour­rait bien se dévelop­per, créant der­rière une désil­lu­sion plus grande encore, et une répres­sion. Fort de sou­tiens retrou­vés, Erdo­gan pour­rait lui aus­si créer la sur­prise et tir­er au final par­ti de cette sit­u­a­tion. Nous con­nais­sons cette équa­tion, et celle qui pour­rait per­dur­er en affron­te­ments civils, en attente d’une vic­toire d’un des camps…

Des mem­bres du mou­ve­ment kurde ont déjà déclaré “ce n’est pas notre guerre”. Le HDP a déclaré son oppo­si­tion de principe aux “coups d’é­tat”. Cette analyse est sans doute la plus juste, même si on sait que toute rup­ture peut amen­er un nou­veau rap­port de forces et chang­er une sit­u­a­tion. Mais cela ne peut pass­er par l’in­térieur de ce qui est l’arme prin­ci­pale d’op­pres­sion d’un pou­voir d’E­tat, à savoir son armée.

Après cette nuit, on pour­ra cepen­dant dire que rien ne sera plus comme avant, selon la for­mule, sauf pour ceux qui souf­frent et subis­sent l’op­pres­sion. Pour eux, vic­times toutes trou­vées des uns et des autres, le réveil sera douloureux.

En tout état de cause, si ce coup d’é­tat d’une frac­tion de l’ar­mée échoue, celui d’Er­do­gan aura réussi.


Traductions & rédaction par Kedistan. | Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Kedistan’ın tüm yayınlarını, yazar ve çevirmenlerin emeğine saygı göstererek, kaynak ve link vererek paylaşabilirisiniz. Teşekkürler.
KEDISTAN on EmailKEDISTAN on FacebookKEDISTAN on TwitterKEDISTAN on Youtube
KEDISTAN
Le petit mag­a­zine qui ne se laisse pas caress­er dans le sens du poil.